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The Riot Klopp
L’histoire s’écrit depuis maintenant treize mois. 396 jours. 66 matchs. Il y a quelques semaines encore, certaines voix se demandaient pendant combien de temps pourrait résister Jürgen Klopp face à l’impatience d’Anfield. L’Allemand voulait du temps pour trouver la constance, il l’a eu et voilà son Liverpool au sommet du Royaume. Pour y rester ?
Ce soir-là, Jürgen Klopp est seul. Il ne lui aura finalement fallu que quelques semaines pour prendre les problèmes de Liverpool en pleine tête. Du coin d’Anfield Road, les supporters de Crystal Palace hurlent leur plaisir. Pour la première fois depuis son exil à Los Angeles, Steven Gerrard est revenu chez lui et repense certainement à sa dernière représentation à Anfield où les Eagles avaient gâché ce qui devait être sa fête. Ce 8 novembre 2015, Scott Dann a décidé de salir le début de mandat de Klopp de la tête et de replonger Anfield dans le doute, déjà. Liverpool s’est bien imposé à Londres face à Chelsea une semaine plus tôt, mais cette déroute à domicile dessine parfaitement ce que va être la première saison version Klopp. Soit un oscilloscope qui laisse apparaître de belles éclaircies – à Manchester face à City (4-1), à Birmingham face à Villa (6-0) ou pendant une mi-temps face à Dortmund (4-3) – et des rechutes qui posent l’inconstance des premiers mois malgré une finale de Ligue Europa et une autre de League Cup. Dès le premier jour, Jürgen Klopp avait demandé du temps pour installer un football qu’il rêve « sauvage » . Le cas de Liverpool pose des questions que l’approche moderne a bousculé : combien de temps faut-il pour perdre confiance en un entraîneur ? En combien de temps un changement d’approche peut-il être visible ? Dans le cas de Klopp, quelques mois, tout au plus. Il y a un an, il se sentait seul face à son chantier. Aujourd’hui, ils sont un peu plus de 53 000 à le chanter. Dimanche, lors de la nouvelle démonstration offerte face à Watford, il n’y avait qu’à tendre l’oreille pour entendre Anfield danser : « Liverpool, Liverpool, top of the league » . Sans contestation et avec un sourire assuré.
La violence facile, la pression totale
396 jours. 66 matchs. Voilà le temps qu’il aura fallu à Klopp pour poser de nouveau Liverpool en haut du Royaume, et ce, pour la première fois depuis mai 2014. Au cours des vingt-quatre premières années de l’ère Premier League, les Reds ont connu ça trois ou quatre fois. Mais aucun groupe, que ce soit celui de 2014 ou celui de 2009, n’a dégagé autant de puissance, de confiance, de facilité, à cette période de la saison. Novembre est souvent le temps des premières conclusions, non définitives. Ce Liverpool dégage pourtant un sentiment nouveau, un sentiment différent. Complètement différent. Pourquoi ? Car ceux qui étaient hier des artisans occupés à œuvrer à la construction d’un projet exigeant sont devenus des artistes. Les hommes de Klopp maîtrisent désormais leur sujet, les idées de l’entraîneur allemand et cette culture folle de la conquête de l’espace. L’approche est violente, sans pitié, explosive et démolit doucement tout sur son passage. Il n’y qu’à s’arrêter sur ce qu’a fait Liverpool dimanche contre Watford avec un succès autoritaire (6-1) et plein de sens. Depuis ses débuts sur un banc, Jürgen Klopp voit son football comme un son de heavy metal plutôt que comme une « symphonie silencieuse » . Alors voilà comment il a réussi à la mettre définitivement en musique : un pressing fort, constant ; des mouvements permanents organisés par un quatuor Mané-Firmino-Coutinho-Lallana insolent de facilité ; un Henderson arrivé au niveau auquel on l’attendait ; et une profondeur de banc permettant d’exercer une pression totale. Dimanche, Liverpool a tabassé la défense des Hornets pendant une grosse heure, alignant cinq buts magnifiques contre un Watford désarticulé par des erreurs qu’on ne peut commettre lorsqu’on se déplace à Anfield, et a ensuite lâché un peu jusqu’au nouveau souffle apporté par Sturridge et un sixième but collectivement parfait.
Au point que le peuple rouge se mette à chanter ceci : « If we still had Suárez, he’d be on the bench. » La prestation d’hier a déjà permis d’expliquer pourquoi Sturridge est sur le banc et pourquoi Firmino est indiscutable, tant il bosse comme un chien, ouvre des espaces et joue par ses mouvements. Face à Watford, il a probablement été le meilleur sur le terrain, bien accompagné par Coutinho et Mané, dans la continuité de ce qui avait été fait face à Crystal Palace (4-2). « Si quelqu’un pense qu’avoir un point d’avance après onze matchs est déjà décisif pour la suite du championnat, je ne peux pas aider cette personne. On reste tranquille.(…)Le seul truc que l’on peut faire est de bosser et de rester concentré.(…)Pour le moment, il n’y a aucune pression et nos concurrents sont encore très forts. Ici, vous pouvez faire une bonne saison et terminer cinquième ou sixième, et personne ne serait vraiment content » , a coupé Klopp après la rencontre. Il ne faut pas tirer de conclusions sur l’instant, mais ce Liverpool a une sérieuse gueule de prétendant, surtout sans campagne européenne et après n’avoir perdu qu’une rencontre cette saison (à Burnley 0-2, ndlr). Tout simplement car il n’a jamais paru aussi affamé.
La faille défensive
Si Klopp tient aujourd’hui à éteindre tout type d’extase, c’est qu’il connaît aussi les limites d’un effectif qui en a quand même quelques-unes. Le déplacement à Londres face à Palace ou la gifle donnée à Watford l’ont une nouvelle fois montré. La défense des Reds ne rassure pas encore complètement, même si Milner impressionne sur son côté gauche, et l’Allemand cherche encore la bonne association pour gagner en solidité (neuvième défense de Premier League). Cette faille n’a pas encore coûté trop de points à Liverpool, à l’exception de la déroute collective à Burnley, mais l’explosion offensive ne pourra pas toujours masquer le problème. L’histoire veut que quand une équipe est fébrile défensivement, on solidifie le milieu de terrain, mais, une fois encore, Klopp a décidé de prendre une approche différente : vivre avec ses idées, continuer de jouer et marquer toujours plus que l’adversaire. C’est ce que les Reds ont toujours fait, à Norwich la saison dernière (5-4), contre Dortmund (4-3), à Arsenal (4-3) ou face à Palace (4-2). Mais Jürgen Klopp sait qu’il perdra des points en route malgré la magie qu’il a réussi à créer et les sourires qu’il est parvenu à dessiner dans son effectif. Il n’y a qu’à regarder le niveau auquel il a amené Coutinho. Quelques minutes de son jeu suffisent à montrer à quel point une première prise de balle peut être dévastatrice. Liverpool a encore du chemin, comme le Chelsea de Conte, mais au bout de celui-ci peut-être trouvera-t-il la fin d’une attente de vingt-six ans. Plus que jamais.
Par Maxime Brigand