ACTU MERCATO
The corrida
Cible annoncée de Manchester City depuis de nombreuses semaines, Kyle Walker a donc débarqué vendredi contre un chèque de près de soixante millions d’euros. Chronique d’un délire.
Chaque fois, le même refrain. Même Didier Domi ne s’en cache pas : « Latéral, c’était le poste le moins sexy. » C’était hier et, dans l’imaginaire collectif, l’arrière droit ou l’arrière gauche était avant tout un mec qu’on avait déplacé à ce poste par défaut. De combien de grands latéraux se souvient-on ? Une petite poignée. Gamin, c’était le même casse-tête : personne ne voulait jouer en défense, encore moins sur le côté. Puis, le foot a évolué et certains penseurs ont eu la belle idée d’intégrer les latéraux au jeu. On se souvient aussi de l’Ajax et du Liverpool de Dalglish pour ça. Demain, personne n’oubliera Daniel Alves, Philipp Lahm, Marcelo. Aujourd’hui, le latéral est devenu agréable, offensif, créateur et surtout indispensable dans la construction. Et l’histoire a voulu que les planètes s’alignent ainsi un jour de fête nationale où la garde républicaine s’est envoyée du Daft Punk devant un président de la République fier de ses propres vannes : à Manchester, Kyle Walker a débarqué pour s’engager cinq ans avec Manchester City, à Milan, Leonardo Bonucci a signé avec l’AC. Deux histoires qui n’ont rien à faire ensemble et qui ne peuvent surtout être comparées, car il y a définitivement deux mondes : l’Angleterre et les autres. La saison dernière, Walker était probablement le meilleur latéral droit de Premier League. Le voilà aujourd’hui défenseur le plus cher de l’histoire de son sport.
Gueule de bois
Partout, la même réaction : l’incrédulité. Comment Kyle Walker peut-il coûter cinquante-sept millions d’euros alors que Bonucci, considéré par beaucoup comme le meilleur défenseur du monde, a filé à Milan contre quarante-deux millions qui paraissent aujourd’hui bien peu ? Parce que la Premier League, les droits télé, l’entertainment cher à Richard Scudamore, la bulle, le marché, l’absence de limite. Walker n’est qu’une ligne de plus dans un été qui a déjà commencé à danser avec le délire et où Romelu Lukaku est devenu l’un des footballeurs les plus chers du monde, où Jordan Pickford, trente-cinq matchs de Premier League entre les gants, a été arraché à Sunderland contre autant de millions, où Alexandre Lacazette a déménagé à Londres dans un sweet sixty. Cet argent n’est pas le nôtre, mais, à l’heure où austérité est devenu un mot familier, l’Angleterre s’est réveillée ce week-end avec une sale gueule de bois. Peut-être aussi parce qu’elle sait mieux que personne ce que représente Kyle Walker : un bon joueur, avec une expérience solide de la Premier League, qui ne pèse que 27 sélections avec les Three Lions, qui a perdu sa place en fin de saison au profit de Kieran Trippier et qui peut vriller hors des terrains à tout moment. Là, on pense à Francis Cabrel : est-ce que ce monde est sérieux ?
L’investissement normal
Pas forcément, il est déconnecté, simplement. Kyle Walker a aujourd’hui vingt-sept ans, réussira probablement à City et vient d’intégrer le cercle des cinq défenseurs les plus chers de l’histoire. Les noms des autres ? John Stones, Luke Shaw, Eliaquim Mangala et David Luiz. Comme quoi… Le fonctionnement des clubs a changé, il faut s’y habituer et un joueur est aujourd’hui un produit vitrine pour une entreprise qu’il faut faire tourner, quel qu’en soit le prix. Cinquante millions de livres seraient donc devenus un investissement normal, et on sait déjà que les prochaines années offriront des transferts négociés autour de la centaine de millions d’euros. Et alors ? La Premier League est un spectacle, il faut le monnayer et le spectateur doit consommer, tout en fermant sa gueule et en sachant qu’il ne sera plus vraiment consulté. C’est brutal, un peu cynique, mais c’est bien le monde dans lequel on vit. Qu’il soit sérieux ou non, c’est un refrain auquel on commence à s’habituer.
Pour le plaisir
Par Florian Cadu