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The Buzzcocks : « Manchester a toujours été une équipe imprévisible »
À l'occasion de l'exposition Europunk, les légendaires Buzzcocks, groupe séminal du punk anglais (fondé en 1977), était de passage sur Paris. Inutile de bouder son plaisir de vieux de la vieille, et on se retrouve donc à tailler le bout de gras avec Steve Diggle, guitariste emblématique du groupe, à propos de Manchester United, James Joyce et Georges Best. Diggle balance ses vieux souvenirs plus vite que ses riffs. Un condensé de mancunisme appliqué, avec dedans l'amour intact pour les Red Devils et ses impressions sur l'équipe de David Moyes.
Quand as-tu commencé à supporter United ?Cela m’a pris très jeune, à la fin des années 60. Nous avions une équipe incroyable. Imagine un peu ces années-là : Georges Best, Bobby Charlton et puis bien sûr Busby. Je les ai tous vus jouer. Des matchs incroyables à domicile. Best avait atterri très jeune au club, à 17 ans je crois. Cela dit, je me souviens surtout de la finale de Coupe d’Europe contre Benfica en 1968. Je n’y étais pas évidemment, j’avais à peine treize ans. Je l’ai suivie devant le poste. Quelle émotion, un moment magique, surtout quand Georges Best a pris à contre-pied le gardien de but de manière si intelligente. Il ressemblait à un Beatles tu sais, le cinquième Beatles. Il a été l’un des premiers footballeurs à porter les cheveux longs. Avant, les joueurs semblaient si sages, ils avaient déjà l’air si vieux. Je pense que la rupture s’est produite en 1958, avec le crash dramatique de Munich, quand toute l’équipe et les fameux « Busby Babes » disparurent dans ce drame. Bobby Charlton et Matt Busby ont survécu certes. Ce fut toutefois le début d’une nouvelle ère pour le club. En même temps, les sixties arrivaient, avec les Rolling Stones, ce rock’n’roll qui déferlait chez nous. Football et musique évoluaient ensemble.
Trouves-tu vraiment pertinent d’affirmer que Georges Best fut le premier footballeur avec une attitude punk ?J’aime bien l’idée. Il reste surtout représentatif de la « mode » , de l’esprit des sixties, de cette période. Je me souviens avoir entendu une fois à la télé qu’il avait disparu deux jours sans se présenter à l’entraînement, évaporé, comme ça. En fait, il avait picolé pendant tout ce temps. Pour nous en Angleterre, à l’époque, ce comportement était assez inédit pour un footballeur.
Quand vous avez formé les Buzzcoks en 77, la première scène punk n’était pas franchement porté vers le foot ?Cela ne marchait pas vraiment main dans la main le football et le punk au départ, c’est certain. Le punk renvoyait à la frustration d’une génération, à la politique, au chômage, à cette musique quasi morte avec l’hégémonie du rock progressif. Tout cela nous semblait déconnecté de notre quotidien et de ce que nous vivions dans la rue. Pour nous, l’urgence consistait à interroger cette ambiance amorphe, cette industrie du disque sclérosée. Notre premier single durait 3 minutes, un truc fou d’oser cela de nouveau. Une musique directe. Même si nous étions de Manchester et pourtant sans les ordinateurs, notre 45 tours a circulé a une vitesse incroyable. Nous répondions à une attente chez les gens.
Dans vos concerts, vous ressentiez parfois la rivalité entre supporters, comme cela a pu être le cas à Londres ?Franchement, c’est arrivé bien plus tard dans le punk. Pour nous, les Clash, les Sex Pistols, les Damned ou les Jam, les cinq premiers groupes de 76-77, la grande affaire se déroulait ailleurs. Au départ, le punk représentait peut-être une démarche très intellectuelle, mais aussi très physique. Notre musique en particulier était un assaut. Nous impulsions un existentialisme dans le rock, comme le défendait Sartre, ou même James Joyce. Pas besoin d’autre choses comme excitation, pas besoin de combats ou de bastons, même si cela pouvait se produire. Nos morceaux, nos concerts se révélaient suffisamment primitifs pour se passer de hooliganisme.
Tu viens d’évoquer James joyce, on a envie d’avoir une explication…Pour moi en tout cas, il fut une influence certaine, un livre comme Ulysse, avec ce langage très cinématique, cette façon de disposer des fragments de vie, un peu aussi comme le cut-up de William Burrough, qui se retrouvaient également dans ce que faisait David Bowie. Dans James Joyce, j’ai puisé une philosophie appliquée, une psychologie singulière. Il était très punk finalement, surtout quand il est venu s’installer à Paris. Il était irlandais après tout, comme Georges Best…
Et aujourd’hui, tu suis encore United ?J’ai déménagé à Londres, néanmoins le club m’a invité voici deux ans, quand ils ont perdu de justesse le titre. J’ai été interviewé dans le magazine de Manchester United ! J’avais composé une chanson pour un de mes albums solos intitulée Victory road. J’ai alors pu expliquer qu’une de mes inspirations pour ce titre fut d’entendre tous ces gars, ces supporters, sur le chemin de Old Trafford chanter Walking down the Warwick Road. J’espère qu’un jour ils chanteront ma chanson.
Que penses-tu de l’opposition entre City l’ouvrière et United la bourgeoise ?Pour moi, cela relève du mythe. Manchester United a juste rencontré plus de succès que City, sauf ces dernières années. Je trouve que c’est une bonne chose de voir les deux équipes aussi bonnes. Mais United a une plus riche histoire, c’est tout.
À l’instar de la musique, tu n’as pas un peu le sentiment que tu peux désormais acheter le succès, le bon producteur ou le bon avant-centre ?Mais tu ne peux pas acheter la meilleure musique du monde, tu dois la sortir tout seul… Vendre beaucoup ou non d’albums n’est pas forcément un indicateur de la qualité.
Selon toi, il demeure donc une âme à United ?C’est une année difficile. Avec un nouveau coach. Il s’agit de la nature profonde du football. Nous avons remporté le championnat la saison dernière. Nous avions gagné la Coupe d’Europe avant. À Manchester, il se manifeste pourtant toujours une sorte d’excitation inexplicable, comme dans le punk finalement. Tu ne sais jamais ce qu’il va arriver. Tellement de petits incidents viennent perturber le pitch, un but à la dernière minute, une question de différence de buts, etc. Manchester United a toujours été une équipe imprévisible.
Es-tu de ceux qui regrettent déjà Sir Alex ?Vingt-sept ans avec le club et il a été extraordinaire. Les gens oublient seulement trop rapidement ses débuts qui n’ont pas été aussi idylliques que la fin. Je l’ai rencontré voici deux saisons. Un des directeurs du club s’avère être un gros fan des Buzzcocks et il est venu nous voir en concert sans même que je le sache. À son anniversaire, il m’a invité. Toute l’équipe était là, Wayne Rooney, Ryan Giggs… et bien sûr Alex Ferguson. C’est marrant finalement, car David Moyes a entraîné Rooney à Everton et maintenant, chez nous.
Et David Beckham, il t’inspire quels sentiments dorénavant ?Il était vraiment fort au départ. Voilà une belle métaphore foot et musique, quand tu vois son destin après qu’il ait épousé la Spice girl Victoria.
Il existe parfois une rivalité entre groupes de Manchester au sujet du foot ?Nous avons participé à un gros festival en Espagne, à Bènicassim, avec les Stones Roses, et Noël Gallagher. Nous partagions les mêmes loges. Ian Brown des Stones Roses et moi sommes donc pour United, et Gallagher pour City, comme tout le monde le sait. Il avait accroché le drapeau des Blues. Et Ian ne cessait de dire : « Descends-moi cette merde. » Mais au fond, l’essentiel reste que nous venons tous de Manchester. Tu dois garder le football un peu éloigné de la musique. La rivalité ne me semble de toute façon pas si importante, du moins pour ce qui concerne mon expérience. Sauf peut-être pour Gallagher (rires).
L’exposition Europunk actuellement à la Cité de la Musique à Paris.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov