- Amérique du Sud
- Argentine
Tévez, la foule sentimentale
C’est donc le feuilleton de Noël : Carlos Tévez serait prêt à s’offrir une dernière pige dorée et à devenir le football le mieux payé du monde en Chine. L’Argentin a déjà dit au revoir à la Bombonera dans les larmes. Peut-être simplement car cet épisode raconte parfaitement la vie de Carlitos qui a toujours différencié son football du football des autres.
Carlos Tévez n’a jamais baissé la tête. Sauf deux fois. Enfant, le gosse de Fuerte Apache ne rêvait que de « foot et de cumbia » . C’était le temps de l’insouciance, celui des combats aussi face à un destin qu’il a toujours mis sous silence par pudeur. « Sans le football, j’aurais terminé comme beaucoup d’enfants de mon quartier, je serais mort ou en taule ou drogué quelque part dans la rue. » Est-ce à ça que pense Tévez à cet instant ? Ou peut-être se repasse-t-il le fil de ses longues discussions avec son second père, Ramon Maddoni, au cours desquelles le jeune Carlitos riait à l’idée de devenir un jour « l’un des meilleurs joueurs du monde » ? Cette fois encore, il a compris. Les larmes ne sont que l’expression de sa prise de conscience. Ce soir de décembre, Carlos Tévez n’a pas la force de dire au revoir à son peuple, sa famille, ses amis, pour la seconde fois de sa vie.
Lorsqu’il avait quitté pour la première fois la Bombonera il y a douze ans, Carlitos savait qu’il allait débuter sa carrière professionnelle au sens propre du terme, avec des contrats, des beaux chèques, et donc pour faire son métier avant de revenir un jour. Oui, Tévez quittait son pays pour travailler et non pour s’épanouir personnellement. C’est ce qui a souvent accompagné sa carrière, de São Paulo à Turin : l’homme a atteint des sommets sur un terrain, mais n’a cessé d’avancer dans la peau d’un expatrié marchant avec le mal du pays. Comprendre Carlos Tévez revient avant tout à comprendre le fonctionnement culturel de l’Argentine du foot. Le mot carrière revient à partir en Europe pour tester ses limites et se frotter aux gros bras avant de revenir se rouler dans l’insouciance. Là, tout est compris : si Tévez pleure ce soir de décembre, après une simple victoire contre Colón (4-1) à la Bombonera, ce n’est pas parce que Boca – son club – est en tête du championnat, mais simplement parce que l’enfant, retombé dans l’insouciance en juin 2015, doit quitter sa maison pour la seconde fois pour ce qui peut être qualifié de « pont d’or » . Surtout quand on a trente-deux ans.
Le CDD et l’enfant
Le bruit circulait depuis plusieurs mois au rythme de déclarations incomprises, de prestations moins tranchantes que lors des premières semaines – le rythme du football européen aidant, le cadre de vie avec –, mais aussi de quelques polémiques assez inutiles. Voilà : Carlos Tévez devrait donc une nouvelle fois quitter Boca, où tout devait s’arrêter – et où tout s’arrêtera certainement –, pour s’offrir une dernière pige folle en Chine. En partant de Turin après une finale de Ligue des champions perdue avec la Juventus au printemps 2015, l’Argentin affichait un large sourire, car il allait quitter le spectacle européen pour retrouver l’engagement sentimental que signifie jouer pour son club, sa famille et ses amis. Là, Tévez pleure, car il quitte son peuple, mais aussi car il file vers l’inconnu.
C’est aussi dans cet épisode que la différence culturelle entre l’Europe et le football sud-américain est audible. Explications : selon plusieurs médias, Carlitos devrait toucher trente-huit millions d’euros pour une saison avec le Shanghai Shenhua soit 730 000 euros par semaine, 104 000 euros par jour, 4300 euros par heure et 71 par minute. Oui, on touche à l’indécence, mais Carlos Tévez n’a pas demandé à toucher tant d’argent. Son crime serait donc de l’avoir accepté pour les suiveurs du foot européen qui aiment lui coller l’étiquette de mercenaire sur le visage. Alors mercenaire, vraiment ? Il suffit d’écouter les chants de la Bombonera qui, elle, comprend la démarche : elle sait que Tévez reviendra, elle sait qu’il vient seulement d’accepter un CDD d’un an pour compléter son CV pro – et se mettre un peu plus en sécurité pour la suite de sa vie –, mais qu’il reviendra rapidement pour reprendre le cours de sa vie normale. Celle de l’enfant Tévez, celui qui aime le football, son football. Celui de la Primera.
La vie des émotions
Voilà le problème principal de la perception lié à l’époque : le joueur de foot a été posé dans un cadre dans lequel il touche des fortunes, vivrait une vie de dingue, avec tout ce qu’il désire et il n’aurait donc plus le droit de ressentir d’émotions. Voir revenir Carlos Tévez à Boca il y a dix-huit mois a définitivement prouvé qu’il était humain, et chaque personne connaissant son histoire au-delà des chiffres de ses contrats en a conscience. En partant en Europe, Tévez voulait voir et il n’a plus à prouver aujourd’hui qu’il fait partie des tout meilleurs attaquants du monde, même s’il a été replacé en soutien de deux attaquants à Boca. S’il est revenu, c’est pour sa famille, son club et pour aider Boca.
Oui, il était attendu et, oui, les critiques lui font mal, mais plus que tout, celles qui fusent à propos de son départ sont injustifiées. Sauf que l’époque veut ça, et le récent scandale Football Leaks n’a fait que filer des cartouches aux critiques du monde du foot. Sauf qu’au-delà du sport, des agents, des contrats, des primes, il y a des hommes et certains ont des valeurs morales. Il est donc temps de se poser une question : quelle personne de trente-deux ans aurait refusé une pige d’un an pour une telle somme ? Aucune. Même Carlos Tévez et surtout depuis que la Bombonera lui a donné l’autorisation. Comme une dernière occasion de jouer pour les contrats, de faire son boulot – ou de s’arrêter définitivement ? – avant de revenir offrir sa vie à ce qui l’anime : son foot, celui des sentiments.
Par Maxime Brigand