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Tévez, la fausse aberration
Rayonnant avec la Juve, trentenaire, papa pour la troisième fois, Carlos Tévez est sans aucun doute au top de sa carrière. Et pourtant, jamais convoqué par Sabella, il n'ira pas au Brésil avec l'Argentine. Une aberration à première vue, un choix logique en s'y penchant de plus près.
Tout en haut du classement des buteurs du Calcio, devant Rossi, Toni et Higuaín, apparaît Carlos Tévez, avec 15 buts. Dont les deux derniers, superbes, face au Torino et au Milan AC. Seulement huit mois après son arrivée à Turin pour 10 petits millions d’euros, le bilan est déjà tout tiré : Tévez à la Juve, c’est une réussite totale. Buteur, performant, intégré, Carlitos régale supporters, staff technique et coéquipiers. Récent trentenaire, l’homme de Fuerte Apache est, comme Ribéry, au sommet de sa carrière. Mais contrairement à Francky, Tévez n’ira pas au Brésil. C’est clair comme de l’eau de roche, Alejandro Sabella n’en veut pas. « Le groupe, c’est comme une maison. L’important, c’est ce qui ne se voit pas, le ciment. Comme disait Antoine de Saint-Exupéry, l’essentiel est invisible à l’œil nu. » Comprendre : je galère depuis plus de deux ans pour essayer de former quelque chose de solide, hors de question que Tévez vienne tout casser. Le joueur l’a bien compris. Jamais convoqué depuis la nomination de « Pachorra » à la tête de la sélection, ce ne sont pas ses (excellentes) performances qui l’enverront à Belo Horizonte. « Je sais que même en marquant 130 buts, que même si quelqu’un se blesse devant, je n’irai pas au Mondial. » La question est : pourquoi ?
Pas indispensable
La première raison est purement sportive. L’attaque de l’Argentine n’est pas le problème de Sabella, bien plus préoccupé par sa défense et son dernier rempart, pour l’instant remplaçant à Monaco. Devant, l’ex-entraîneur d’Estudiantes a ses inamovibles « Quatre Fantastiques » , Messi, Higuaín, Agüero et Di María, efficaces et à l’aise dans un système qui a jusqu’à présent fait ses preuves (l’équipe reste sur 15 victoires, 8 nuls et une défaite, avec une première place tranquille dans les éliminatoires Amsud). Sur le banc, « Pachorra » possède deux solutions de rechange, Lavezzi et Palacio, qui ont depuis longtemps intégré leur rôle de joker au sein de cette sélection. Et qui ont marqué des points quand on a fait appel à eux. Avec le brassard autour de son mini biceps, Messi a fini par gagner le respect et la confiance des Argentins et de ses coéquipiers, et pris, malgré son manque de charisme, le leadership d’un groupe désormais habitué à vivre ensemble. Et au sein duquel la hiérarchie est, au moins sur le plan offensif, claire et acceptée. En résumé, l’Albiceleste n’a pas besoin de Tévez dans son onze de départ. Et pas envie de Tévez sur son banc de touche.
« Des pressions extérieures »
C’est l’autre point. En Argentine, Carlos Tévez n’est pas n’importe qui. Il est « le joueur du peuple » . L’une des deux plus grandes idoles actuelles de Boca Juniors (avec Riquelme), club supporté par 40% des Argentins. Il est aussi celui qui, comme Maradona, est sorti d’un quartier extrêmement pauvre de la banlieue de Buenos Aires. Au pays, le joueur a un statut, et il en est parfaitement conscient. Un statut qui l’autorise à faire des déclarations telles que « jouer pour la sélection argentine te fait perdre du prestige » , en septembre 2011, ou encore « la sélection ne me manque pas, je préfère la regarder de l’extérieur, pour l’instant je n’ai pas envie d’en faire partie » , en juin 2012. Rarement titulaire au moment d’aborder les grandes compétitions internationales depuis ses débuts en 2004, Tévez finit toujours d’une manière ou d’une autre dans le onze de départ. Le dernier exemple en date, la Copa América à domicile, en 2011. Sergio Batista, qui n’en voulait pas, le convoque soudainement moins d’un mois avant le début de la compétition, alors que le joueur est hors de forme. Et le titularise lors des deux premiers matchs. Tévez pose ses conditions (être seul dans sa chambre, par exemple), fragilise le groupe et rate son péno face à l’Uruguay, synonyme d’élimination. Deux ans plus tard, Batista se confie. « Oui, il y a eu des pressions extérieures pour que je le convoque. J’essayais de gérer ça, mais c’était trop difficile. Les pressions venaient d’en haut : de la AFA, des sponsors et du monde politique. À ce moment-là, j’aurais voulu m’en aller. » Daniel Scioli, son « ami » gouverneur de Buenos Aires, est déjà entré en campagne. Sabella a encore trois mois à résister.
Par Léo Ruiz