- Enquête sur les terrains synthétiques
Terrains synthétiques : les malades s’interrogent
De nombreux malades ont contacté So Foot après la diffusion de nos enquêtes. Joueurs réguliers sur synthétiques, ils se demandent si les petites billes noires peuvent avoir causé leurs symptômes parfois sans précédent. Voici leurs témoignages.
Depuis l’été dernier, So Foot enquête sur les terrains synthétiques, leurs pollutions et leur impact sur notre santé. Nous avons notamment révélé que la France s’est contentée d’une étude partielle et très ancienne pour autoriser l’utilisation de granulés de pneus usés sur ces terrains. De nombreux élus se sont ensuite appuyés sur nos travaux (et sur ceux de nos excellents confrères hollandais de Zembla désormais sous-titrés et consultables ici) pour demander au gouvernement de réagir. C’est maintenant chose faite, puisque les ministères concernés ont saisi le 27 février dernier l’ANSES (l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) pour qu’elle produise une analyse des dangers potentiels.
De nombreux joueurs de foot malades nous ont contactés pour partager avec nous leurs interrogations. Dont celle-ci, terrible : leurs cancers et infections peuvent-ils avoir un lien avec leur pratique du sport sur terrain synthétique ? Nous vous proposons de découvrir trois de ces témoignages ci-dessous. Deux sont diffusés également dans le podcast Football Recall.
Impossible pour nous, bien sûr, de trancher sur un lien éventuel entre leur maladie et leur pratique. Mais ces témoignages rappellent les nombreuses études qui montrent la présence dans ces granulés de substances cancérigènes ou que la pratique du foot sur ces terrains augmente le risque de contracter des infections.
Ils donnent plus de poids à la demande de plusieurs scientifiques que nous avons interrogés : réaliser une grande étude épidémiologique sur la dangerosité des terrains synthétiques. C’est-à-dire interroger des milliers de sportifs sur synthés en France et dans le monde entier, comprendre exactement comment ils ont été exposés et tenter de calculer s’ils sont ou non plus nombreux à contracter telle ou telle maladie que la population globale. À ce sujet, le toxicologue et professeur d’épidémiologie à la Yale School of Public Health Vasilis Vasiliou recommandait dans notre interview : « Il ne faut pas se concentrer seulement sur le cancer. Tout le monde parle de cancer au sujet de ces terrains et de ces granulés, mais nous nous inquiétons aussi pour l’asthme, des réactions allergiques et beaucoup de maladies en fait. » Il ajoutait : « Dites aux malades de se réunir et d’entrer en contact avec des scientifiques, ou avec Amy Griffin (coach et ancienne championne du monde de foot, Amy Griffin tient une liste des malades déclarés en Amérique du Nord). C’est la chose la plus utile que vous pouvez faire actuellement. » Si vous êtes concernés, nous vous proposons donc de continuer à nous écrire à cette adresse : [email protected].
Yannice, 23 ans, étudiant à Bordeaux
« J’habite sur Bordeaux, et je joue au foot la plupart des dimanches avec mes potes sur un terrain synthétique. J’ai écrit à So Foot parce que j’ai eu un souci de santé et je me suis dit que ça pouvait être en lien avec les terrains synthétiques. J’ai eu un érysipèle, c’est une maladie très rare, une grosse inflammation au niveau de la peau. Je me suis levé un samedi matin, j’avais mal en haut de la cuisse. Autour de midi, je me sentais vraiment mal, j’étais bouleversé, j’avais de la fièvre, j’ai vomi.
Ma jambe a commencé à gonfler, la peau s’est craquelée au mollet tellement elle était énorme. Elle était hyper rouge, on le voyait très bien alors que je suis black, et très vite je n’arrivais plus à poser le pied. J’ai fini par faire venir SOS médecins qui m’a prescrit des antibiotiques, et ça a mis trois jours à aller mieux. En général, cette maladie n’arrive qu’aux personnes âgées quand elles ont déjà pas mal d’autres maladies. Moi je suis jeune, je suis très sportif, je fais très attention à mon alimentation, ce n’est pas du tout normal d’avoir cette maladie avec mon profil. Avec les médecins, on ne comprenait pas, le médecin que j’ai vu m’a dit qu’il n’avais jamais vu un jeune avec cette maladie. Apparemment, un érysipèle démarre toujours avec une entaille dans la peau. Je me souviens que j’avais joué au foot juste avant ce problème, j’avais une petite plaie sur le tibia et je n’avais pas de pansement. Peut-être que ça vient de là et que le fait de jouer sur le synthé a déclenché le problème. Ça m’a fait vraiment peur, surtout qu’on m’a dit que si ça avait été diagnostiqué un peu plus tard, j’aurais risqué l’amputation. Ça aurait pu arriver parce que comme je suis jeune, c’était très difficile pour les médecins de comprendre que j’avais un érysipèle. Ça m’a vraiment fait flipper, ça m’a beaucoup refroidi. Je me suis mis à la course à pied, alors que j’aime bien courir après un ballon. Quand, aujourd’hui, on me dit : « Viens on fait un foot« , je réponds : « Ah ouais sur synthétique ? Sans moi !« »
Bruno, 52 ans, région parisienne, commercial
« Je joue au foot depuis tout petit. J’ai commencé à joué sur des terrains synthétiques en 2004. En septembre 2016, à la reprise de l’entraînement, je me suis aperçu que j’avais une boule sous la voûte plantaire. Au début, j’ai cru que c’était une tendinite.
J’ai consulté mon médecin qui n’avait jamais vu ça, et qui m’a envoyé chez un podologue pour avoir des semelles orthopédiques. Les semelles, je n’ai jamais pu les mettre parce que la boule ne disparaissait pas. On a fait des examens, on a fait une échographie, un scanner, une IRM. À l’IRM, ils se sont aperçus que ça pouvait être quelque chose de malin. On a fait une biopsie, et au mois de novembre, j’ai eu les résultats et on m’a dit que c’était cancéreux. C’est une maladie qui est tellement rare qu’ils ont du mal à savoir d’où ça vient. Ils disent que ça peut être génétique, ils n’ont pas d’idée là-dessus en fait. Le seul remède pour guérir, c’était l’amputation, donc j’ai été amputé au niveau trans-tibiale.
Depuis que j’ai eu cette maladie, je me demande comment j’ai chopé ce truc. Les médecins me disent de ne pas trop y penser, parce qu’on ne saura jamais, mais ce n’est pas facile. Un ami m’a parlé de l’article de So Foot, et je me suis dit que ce que j’avais eu, surtout placé à cet endroit-là, ça pouvait venir des terrains synthétiques. L’été, le terrain chauffe les pieds et dégage une odeur. Il faudrait pousser les recherches, ne pas laisser tomber, parce qu’on ne voit plus que ça comme terrains. Depuis mon amputation, j’ai à peu près une vie normale, je suis autonome, je peux conduire, faire du vélo, c’est juste le foot qui est plus compliqué. »
Édouard, 32 ans, région parisienne, directeur commercial
« Je joue au foot depuis 8 ans en tout. Depuis quatre ans, je joue au foot à 7 dans trois équipes différentes, ce qui fait que je joue environ trois fois par semaine, parfois sur des terrains classiques, parfois sur des synthés. Je cours beaucoup aussi, j’ai fait trois fois le marathon de Paris. Il y a un an et demi, j’ai commencé à ressentir une gêne en jouant. Quand je faisais des séries d’accélérations, j’avais du mal à respirer, j’avais l’impression de devenir asthmatique, je me disais que c’était peut-être à cause de la pollution.
Je suis allé chez le médecin, j’ai fait des tests et on m’a dit que ce n’était pas du tout le cas. C’est dommage qu’on n’ait pas fait plus de tests à l’époque. Parce qu’en novembre dernier, en novembre 2017, on m’a diagnostiqué un cancer appelé cancer GIST, situé aux intestins en gros. J’ai lu un peu après ça l’article de So Foot, ça m’a paru évident, enfin potentiellement évident de faire le lien. C’est un cancer très rare que j’ai, il concerne 15 personnes sur 1 million. Les médecins n’ont aucune idée d’où ça peut venir, mais ce qui est sûr, c’est que je suis jeune, très sportif, je ne suis vraiment pas quelqu’un de stressé, je ne fume pas, je bois de l’alcool plutôt raisonnablement, je viens d’une famille où il n’y a pas de maladie héréditaire. Quand je cherche une explication, c’est sûr que je pense aux synthés. Le chirurgien m’a dit que ça pouvait juste arriver n’importe quand à n’importe qui, mais bon, forcément j’y pense. Je suis maintenant une chimio-thérapie qui doit faire diminuer la tumeur en attendant une opération. Je ne fais plus de foot, mais je continue à courir, c’est sûr que mes performances ont diminué de manière catastrophique, mais je me dis que ça contribue à mettre toutes les chances de mon côté pour ma guérison. »
Propos recueillis par Thibault Schepman