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Terem Moffi : « Tout le monde sait que je suis un bon joueur »
Si Lorient réalise un début de saison canon, s'accrochant au podium, ce n'est pas seulement grâce à Régis Le Bris. Les Merlus peuvent compter sur un Terem Moffi retrouvé, après une saison compliquée. Le Nigérian porte l'attaque bretonne, autant qu'il a porté celle de Courtrai et du FK Riteriai en Lituanie. Entretien avec quelqu'un qui a plus de chance de remporter le Ballon d'or que Master Chef.
Lorient est la sensation de ce début de saison. Es-tu surpris que l’équipe soit si forte ? Je ne suis pas surpris parce qu’on a une bonne équipe. Je sais qu’on peut faire de grandes choses si on travaille tous ensemble. On ne pense pas encore au fait de terminer sur le podium, on essaye juste de faire la meilleure saison possible, de finir le plus haut possible. C’est normal qu’on gagne des matchs parce qu’on travaille beaucoup pour ça. Ce n’est pas un accident. On joue très bien et on travaille en équipe. On n’est pas en surrégime, on mérite chaque victoire qu’on a remportée cette saison.
Penses-tu que vous pouvez rester sur le podium et jouer la Ligue des champions ? Certaines personnes disent que c’est impossible, mais on va faire de notre mieux pour finir le plus haut possible. Donc je ne dirais pas la Ligue des champions, la Ligue Europa ou la Ligue Europa Conférence, mais on va tout faire pour être en haut. On fait un très bon début de saison, on va essayer de continuer comme ça, puis de finir comme ça.
À part toi, qui est le meilleur joueur de l’équipe ? Et pourquoi Enzo Le Fée ? (Rires.) C’est un sport collectif ! Ce n’est pas du tennis ou du ping-pong. On travaille très dur en tant qu’équipe. On ne se dit pas entre nous qu’on est le meilleur joueur de l’équipe. On a besoin de tout le monde, donc il n’y a pas vraiment de « meilleur joueur de l’équipe ».
Même pas un qui t’impressionne plus ? Cette saison, Dango (Ouattara) a été bon, Enzo (Le Fée) a été très bon, Laurent Abergel, Yvon Mvogo, Talbi aussi. On a tous été très bons. C’est ce qui fait qu’on en est là pour l’instant.
Selon toi, c’est quoi votre match référence jusqu’ici ? Je pense que c’est le match contre Lyon (3-1). Tout le monde a été excellent, l’équipe a été incroyable. On a su produire un beau jeu, on a bien géré la possession et on a inscrit de beaux buts.
C’était comment ton enfance au Nigeria ? J’ai grandi dans le sud du pays, à Calabar. J’allais au collège, je jouais au foot, je passais du temps avec ma famille… Ce n’était pas vraiment spécial, je jouais juste au football dans la rue pour le plaisir, rien n’était important. J’ai commencé très tôt à taper dans un ballon. Tellement que je ne m’en souviens même plus. On jouait entre potes.
À chaque fois que tu parles de ton enfance, tu as l’air un peu nostalgique… Quand tu grandis, c’est vraiment la meilleure période de ta vie ! Tu n’as à te soucier de rien, il n’y a pas de pression, tu vis juste ta meilleure vie. Tu fais ce que t’aimes, tu ne payes pas de factures, tu joues juste au foot, tu passes du temps avec ta famille, tu sors avec tes amis. Tu t’amuses ! C’était la meilleure période de ma vie.
Le fait que ton père soit un ancien joueur a influencé ton amour pour le football ? Oui, je pense, parce que je me souviens qu’il me ramenait tout le temps des crampons, des ballons, des maillots. Ça m’a forcément influencé dans mon choix de me tourner vers le foot. Je pense que le football coule dans notre sang, dans celui de notre famille. Mon grand-père jouait aussi au foot, c’est comme une tradition familiale.
C’était quoi ton premier maillot ? Honnêtement, je ne me souviens plus du nom du club, mais j’ai une photo de moi dans mon téléphone avec ce maillot. Je ne sais pas quel club c’était. Ça devait être un maillot au hasard qu’il m’avait rapporté. En revanche mes premiers crampons, c’était des Adidas Copa. Le premier maillot dont je me souviens vraiment devait être celui de l’équipe du Nigeria. Mais je ne sais plus si c’était Okocha ou Nwankwo Kanu qui était inscrit au dos.
Dans le portrait que So Foot t’avait consacré, ton père disait que l’un de tes frères aînés aurait été un bien meilleur attaquant que toi s’il n’avait pas choisi les études. C’est vrai ou c’est une légende ? Non, c’est totalement vrai. Mon deuxième frère était… C’était vraiment le meilleur. C’était un buteur, moi j’étais encore milieu de terrain, et il avait tout. Tout ! Il était costaud, puissant, rapide. Je pense qu’il aurait été un meilleur attaquant que je ne lui suis maintenant. Mais il a choisi d’aller à l’école ! (Rires.)
Pourquoi n’as-tu pas fait comme ton grand frère en choisissant l’école plutôt que le foot ? Je pense que quand j’ai eu l’opportunité de choisir entre le foot et l’école, j’ai choisi le foot parce que je savais que j’irais loin grâce à mes qualités et mon mental.
Comment ton père, en tant qu’ancien footballeur, vit ta réussite ? Il te pousse encore, ou il estime que le chemin est déjà fait ? Non non, il n’est jamais satisfait. Il me pousse tout le temps à être meilleur. Il regarde tous mes matchs, donc il est toujours en train de les analyser pour me dire que je pourrais faire ceci ou cela. Et j’essaie de l’appliquer lors du match suivant. Il n’est jamais satisfait, il veut toujours plus de ma part.
Quand tu as quitté le Nigeria pour l’Angleterre, tu as quand même chopé un diplôme en business management. Donc tu n’avais pas non plus complètement abandonné l’école ? Oui, j’ai bien ce diplôme ! Il me sera très utile parce que je prévois de retourner à l’école au cours des deux ou trois prochaines années, pour étudier. Il y a une vie après le football, donc je dois être prêt pour ça.
Tu n’as que 23 ans et tu penses déjà à ton après-carrière ? Bien sûr ! Dès que je serai prêt, je retournerai à l’école. Je veux poursuivre dans la voie du business management.
En Angleterre, tu as également impressionné un préparateur physique qui pensait que tu aurais pu faire un bon sprinteur. Tu es le Lorientais le plus rapide ? C’est vrai ! Je ne sais pas combien je fais sur 100 mètres, je n’ai jamais essayé. Dans l’équipe, je pense que je suis le plus rapide sur cinquante mètres. Sur dix ou vingt mètres, je pense que Steph’ (Stéphane Diarra) ou Théo Le Bris sont les plus rapides. Ils ont une grosse accélération.
Si tu n’avais pas été footballeur, tu aurais pu te reconvertir en sprinteur ? Non, je n’aurais pas fait un autre sport que du foot, je pense. Je serais sûrement allé à l’école pour étudier plus !
Ensuite, tu es allé en Lituanie. C’est vrai que tu as dû chercher sur Google pour savoir où c’était ? (Rires.) Oui, je n’avais jamais entendu parlé de ce pays avant ! Quand mon agent m’a dit que j’avais une opportunité dans un pays nommé Lituanie, j’ai dû googliser pour savoir où c’était et quel genre de nation c’était. Mais je n’ai même pas hésité une seconde à aller là-bas, c’était une chance énorme pour devenir professionnel.
Après six mois là-bas, tu as été écarté des terrains pendant près d’un an et demi. Comment as-tu vécu cette situation ?C’était une période vraiment difficile. Je ne pouvais pas avoir de visa pour la Lituanie, donc j’ai dû passer par l’ambassade en Égypte, puis aller en Afrique du Sud. C’était terrible. Donc j’étais juste chez moi au Nigeria, à m’entraîner dur. Ce n’est pas quelque chose que j’aimerais vivre à nouveau.
Être de retour au pays après avoir touché ton rêve de devenir pro en Europe, tu l’as vécu comme un échec ? Non pas du tout. J’étais avec ma famille, bien sûr, et je n’ai jamais perçu ça comme un échec.
À chaque fois que tu parles de cette expérience en Lituanie, tu évoques la gastronomie locale. C’était si terrible que ça ? Oh mec… Je ne dirais pas que c’était terrible, mais… Pour être honnête, ce n’était pas vraiment la meilleure, quoi. Après, ce n’était pas le genre de gastronomie à laquelle j’étais familier. Donc je n’en ai pas vraiment profité. Pas du tout, même.
Sais-tu cuisiner ?Techniquement, je sais, oui. Mais je ne suis pas parfait, je ne suis pas bon à ça. Mon plat signature, c’est le riz jollof à la nigériane.
Alors qui te fait à manger à Lorient ? Maintenant, j’ai un chef qui fait ça pour moi. Donc je mange bien et équilibré. Pâtes, poulet, légumes… Mieux qu’en Lituanie, c’est sûr !
Qu’est-ce qui était le plus terrible ? Le froid et la météo ou la bouffe ? Clairement, la météo. Je suis nigérian, et chez moi, il fait toujours chaud, c’est tout le temps l’été. Quand tu vas dans un pays où parfois il fait -20 degrés, c’est dingue. C’est trop dur.
En même temps, depuis que tu es en Europe, tu es passé en Angleterre, en Lituanie, en Belgique et maintenant en Bretagne. Ce ne sont pas des régions très chaudes…C’est sûr, mais dans tout ça, je préfère la Bretagne parce que parfois il fait chaud pendant l’été. Il pleut un peu aussi, et j’aime bien. Il ne fait jamais vraiment très froid, donc la météo ici me plaît plutôt bien.
Tu as déjà dit que tu ne savais pas ce que c’était la pression, que tu t’en fichais du prix d’un transfert, que c’était ton métier. Ça ressemble beaucoup à du Balotelli. Ce que je veux dire, c’est que c’est du football et que c’est ce que j’ai choisi de faire. Évidemment, les gens parlent beaucoup, il y a plein de critiques, mais en choisissant d’être un joueur de foot, j’ai accepté de recevoir ces commentaires. Je dois les mettre derrière moi. Il n’y a aucune pression, que ce soit sur le prix que j’ai coûté ou quoi que ce soit d’autre. Je me concentre sur moi.
L’année dernière, ce n’était clairement pas ta meilleure saison, et c’est la première fois que tu as dû recevoir des critiques. Comment as-tu vécu ça ? Il y a eu beaucoup de paroles et de critiques, mais je sais, et tout le monde sait, que je suis un bon joueur, donc c’était facile pour moi de le gérer.
C’est intéressant parce qu’après ta première saison, où tu marques 14 buts, tu ironisais en te demandant qui était ce Terem Moffi au milieu de Mbappé et Neymar. Maintenant, tu dis que tout le monde te connaît. Quand est-ce que le changement s’est fait ? Il y a des moments où tu t’assois et où tu regardes ce que tu as accompli en tant qu’être humain. Et c’est comme ça que j’ai réalisé : « Oui, je suis un très bon joueur. » Je pense que je suis arrivé à cette conclusion l’année dernière. Je me suis assis, j’ai regardé mes vidéos, j’ai vu les commentaires de la part de journalistes, d’analystes du sport aussi, et je me suis dit : « Okay, je suis plutôt un bon footballeur. » Et beaucoup de gens aussi m’ont dit que j’étais très bon. C’est quelque chose que j’ai enregistré.
En plus des journalistes, peut-être que le fait d’avoir reçu des offres de grands clubs t’a conforté dans cette idée ? Je ne vais pas dire que j’ai eu des offres de grands clubs, mais quand tu entends des rumeurs comme quoi cette équipe s’intéresse à toi, tu commences à te dire : « Oh, je suis si bon que ce club veut m’acheter et dépenser beaucoup d’argent. »
Sachant que ta famille est fan de Chelsea, la Premier League pourrait être un objectif ?En fait, dans ma maison, on a des fans de Chelsea, des fans de Manchester United et des fans d’Arsenal. On est divisés.
Et toi, dans quel camp es-tu alors ? Je suis fan de Lorient !
Oui bien sûr, depuis que tu es enfant, tu es fan de Lorient… (Rires.)Non, en réalité je supportais Chelsea.
C’est quoi la compétition qui te fait rêver ? Évidemment, chaque footballeur veut jouer la Ligue des champions et la Coupe du monde. Malheureusement, cette année je ne pourrai pas participer au Mondial, donc je vais devoir attendre 2026 et espérer y être. Sinon, la Ligue des champions, je veux vraiment la jouer. Pourquoi pas avec Lorient l’année prochaine, on ne sait jamais !
En tant que fan de Lorient depuis ton enfance, ce serait un rêve en plus… (Rires.) Oui, ce serait parfait, et tout le monde serait content.
Qui est le meilleur défenseur contre qui tu as joué en Ligue 1 ? Je n’aime pas du tout affronter Kimpembe. Il est fort, rapide… C’est toujours dur de jouer contre lui !
Est-ce que tu sens que les défenseurs sont plus concentrés sur toi que lors de ta première saison ? Bien sûr. Depuis l’année dernière, je sais qu’ils font plus attention à moi. C’est pareil cette saison. Quand tu marques beaucoup de buts, tu attires l’attention, et tout le monde doit être prêt pour toi.
Tu as 23 ans et déjà pas mal baroudé. Comment décrirais-tu ton parcours, du Nigeria jusqu’en France ? Je dirais époustouflant et effréné. Du Nigeria, à l’Angleterre, en passant par la Lituanie… Tout ça s’est fait en très peu de temps, en quatre ou cinq ans. Et il y a aussi le fait que j’ai aussi bien réussi dans le football. C’est inspirant et à couper le souffle, je trouve. C’est surprenant aussi. Parce que certaines personnes mettent beaucoup de temps avant d’arriver en Ligue 1, et moi ça ne m’a pris que trois ans.
Propos recueillis par Léo Tourbe