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Télé Vision
Télé Santana, c'est avant tout une vision du football. Le jeu d'abord, le résultat ensuite, quitte à souvent perdre de la plus belle des façons. Mais à occuper les cœurs pour toujours.
On peut estimer que Télé Santana est un loser. Et que vient faire un loser ici ? Il n’a rien gagné à la tête de la sélection brésilienne à cause, ou malgré le plus beau milieu de terrain que Dieu puisse offrir à une entraîneur. Zico, à la manœuvre, Sócrates, à la manœuvre, Falcao, à la manœuvre, Toninho Cerezo, à la manœuvre. C’était en 1982, à la Coupe du monde en Espagne. Ce tournoi est son chef-d’œuvre, inachevé et en même temps l’aboutissement précoce de sa philosophie suicidaire. Au bout de la logique d’un jeu d’adresse avec les pieds et deux de ses fondamentaux : la passe et le contrôle. Le Brésil de 1982 était la passe et le contrôle. Et cela n’a pas suffi. Pour gagner une Coupe du monde, il faut de la chance et quelqu’un pour la mettre au fond.
Son Brésil a été éliminé par l’Italie de Paolo Rossi, en pleine rédemption, de retour en sélection après le scandale du Totonero, une sombre histoire de matchs truqués pendant la saison 79-80 de la Serie A pour laquelle l’attaquant de Pérouse avait été suspendu deux saisons. Une Italie qui, dans la distribution des rôles et jusqu’à cette brûlante journée de juin au stade de Sarria de Barcelone, avance tel un vengeur masqué. L’Italie de Bearzot est tout ce que le Brésil de Santana n’est pas. Peut-être parce que le Brésil a traversé le tournoi sans avant-centre. Il y a bien Serginho, mais à côté des hommes du milieu, il est presque gênant à regarder. Télé Santana le sait mieux que quiconque, qu’il n’a pas d’avant-centre. Il n’a pas encore Careca sous la main, appelé en sélection au lendemain de l’élimination de 82. Cela n’empêche pas Santana II de se faire éliminer par la France en 1986. Pour ces deux coupes du monde, Santana n’a pas non plus vraiment de gardien de but. À croire qu’il se fout des extrémités, cantonnées à trop peu d’espace. La surface de réparation pour le goal, et 30 mètres pour les avants-centres qui, à l’époque, ne défendent pas beaucoup. Avec Santana, tous les autres étaient libres, à commencer par les latéraux, Leandro et Junior qui tirent des bords de 60 mètres. Dix ans avant l’invention du Cafu et du Roberto Carlos.
Les anti-Galactiques
Alors, pourquoi c’est beau, Télé Santana ? Comme toutes les équipes qui marquent l’histoire, c’est beau, parce que c’est simple. Dans ce cas, une question de tempo. À quel moment je fais la passe. Le moment décisif, identique à celui de Henri Cartier-Bresson quand il décide d’appuyer sur son Leica. Pam, maintenant, pas avant, pas après, l’intelligence du footballeur, l’instinct du passeur. Now or never ! Je calcule la vitesse de mon coéquipier, celles des adversaires et celle du ballon. Et pam ! La solution du problème. Trois Écossais dans le vent ! Là ! Pas ailleurs. Le Brésil ne joue pas « dans les pieds » , toujours un mètre devant, dans la course, même s’il peut aussi jouer à une touche de balle. Le contraire du football-torero des années 2000 des Galacticos. Je la reçois dans les pieds, je la garde, je nargue mon adversaire et finalement je la redonne, toujours dans les pieds.
Dans le Brésil de Santana, contrôler la balle est un accompagnement. La balle ne doit pas ralentir, conserver sa vitesse, son mouvement. Le même qui anime les équipes de son contemporain, Lobanovski, mais avec la douceur et l’improvisation en plus. Les Brésiliens courent moins que les Soviétiques, mais courent plus intelligemment, sauf Sócrates qui marche souvent. Comme ses joueurs qui n’ont pas besoin de courir, le Brésil de Santana n’a pas besoin de gagner des compétitions pour donner du bonheur et rester dans l’histoire. Tout est dans les préliminaires : la remontée de balle, la préparation, l’intention sont presque aussi jouissives que le but, même ceux d’Eder, et le score final. Il a fini par gagner des titres, bien plus tard, entre 1990 et 1995, avec le FC São Paulo de Raï et Leonardo. Comme un entraîneur lambda.
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Par Joachim Barbier