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Tcheks Play : la nouvelle identité du foot français née dans les quartiers
Depuis plusieurs semaines, une tendance TikTok séduit de nombreux footballeurs amateurs comme professionnels. Plus qu'un simple buzz sur les réseaux sociaux, le terme est devenu un véritable cri de ralliement pour certains espoirs français et pourrait devenir une philosophie de jeu à part entière.
Mercredi 17 octobre, stade des Alpes, Grenoble. Pour le premier rassemblement de l’équipe de France espoirs sous la houlette de Thierry Henry, les Bleuets ont réalisé un sans-faute. Lancé par une première victoire à l’arraché contre l’outsider du groupe, la Slovénie, le groupe à la sauce Titi vient refermer sa première fenêtre internationale par une leçon donnée aux jeunes Chypriotes (9-0). Devant les caméras de la FFF, Elye Wahi et Mathys Tel expliquent la raison de leur étincelante prestation : « C’est le Hakilo ! », rigolent-ils en pointant le bandage qui leur tient le poignet droit, bien qu’aucun des deux jeunes n’ait la moindre gêne à cette articulation. « C’est le Tcheks Play, c’est notre identité, c’est l’identité des Français », clame à son tour Lucas Gourna-Douath, la sentinelle du RB Salzbourg nommé au Golden Boy, doigt levé vers le ciel.
Les espoirs > les A pic.twitter.com/NFwycvXkNI
— Tristan fan account (@ssvntvnawrld) October 19, 2023
« Hakilo », « Tcheks Play », ces deux termes sortent tout droit de l’imagination d’une seule et même personne : La Maniane, comme il se présente sur TikTok, où il cumule plus de 80 000 abonnés. Lunettes de soleil sur le nez, ce Parisien de naissance partage ses analyses footballistiques tel un véritable shōnen. Celui qui réfléchit en parallèle à la conception de son premier manga s’est également fait le porte-parole « d’une philosophie part entière » : le Tcheks Play. Ce mot d’argot tout droit sorti de son canapé (une dérivation du mot « quartier » en « tieks » puis « tchecks » pour montrer que ce terme peut être adopté par tout le monde) est devenu une trend TikTok ayant séduit plus d’un résident à Clairefontaine et qui pourrait devenir le pendant des philosophies technico-existentielles que sont le tiki-taka espagnol, le joga bonito brésilien ou le kick and rush anglais.
@telefoot_tf1 « Hakilo », « Tcheks Play » on est parti à la rencontre du créateur de tous ces mots @LA MANIANE pour mieux comprendre le phénomène. 📕
Le plaisir comme base de ce courant de pensée
Le théoricien de cette « nouvelle idéologie de jeu de la jeunesse » se défend d’avoir inventé quoi que ce soit : il n’a fait que mettre un mot sur une réalité ancienne, mais jamais conceptualisée. Avec son propre lexique teinté de dialectes africains et de références aux mangas, le Tcheks Play est à son sens un mouvement d’émancipation, une volonté d’expression de la personnalité de chacun à travers le jeu. Une philosophie née dans la région parisienne qui s’est diffusée parmi toute la jeunesse française, à en croire l’influenceur. Si bien qu’aujourd’hui, cette tendance ne se borne pas aux quartiers, mais a conquis une génération issue de milieux sociaux divers, des univers différents tels que la danse ou même le basket, et même à l’étranger. « Certains disent que Zidane a été le précurseur du Tcheks Play », explique le maître à penser, citant entre autres exemples Nicolas Anelka, Neymar, la génération 87 de Benzema, malgré ses échecs, ou encore Olive et Tom.
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Celui qui n’est « pas un mec des réseaux de base » revendique le fait de s’appuyer sur son expérience pour « parler de l’émancipation des jeunes dans le foot », face à un jeu devenu robotique à ses yeux. « En voyant certains jeunes bridés dans leur prise d’initiative, je me suis reconnu en eux », replace celui qui est passé parmi plusieurs grandes écoles du foot francilien dans les catégories jeunes, des Gobelins (désormais Paris 13 Atletico) à l’ACBB, avant de finir sa jeune carrière en tant que titulaire à la JA Drancy en U17 Nationaux, installé au milieu de terrain aux côtés d’un certain Marcus Coco. « J’étais grand, fort physiquement. L’entraîneur me disait mot pour mot : “Toi, t’es costaud, tu casses et tu donnes à Marcus, tu le laisses jouer.” Je me disais : “Pas de problème, le coach c’est le boss, il sait ce qui est le meilleur pour moi.” À la fin de la saison, pourtant, j’étais dégoûté. Je ne prenais plus de plaisir à jouer, à venir aux entraînements. » Voilà comment une histoire d’amour avec le football de club s’achève amèrement, à l’issue d’une saison où il voit son compère filer en Bretagne, où le Guadeloupéen ne tardera pas à éclore. Aujourd’hui, il tire un principal enseignement : « Si les jeunes n’ont que peu de chances de percer, ils sont maîtres d’une seule chose que personne ne pourra leur enlever : leur plaisir. »
@anthonyelanga Tcheksss Play ⚡️ précispaspressé
Le monde pro, prochain univers à convaincre
La nomination de Thierry Henry à la tête des Espoirs est aux yeux de La Maniane un signe de l’inéluctable prise de pouvoir de cette génération Tcheks Play. Un avènement symbolique, qui ne saurait masquer une problématique plus large au sein de la formation à la française selon l’aspirant mangaka : « La plupart des jeunes en centre de formation se retrouvent dans cette mentalité, ça leur parle. Mais les coachs qui connaissent ces jeunes, qui vivent dans le même milieu, pourquoi n’ont-ils pas leur chance en centre de formation eux aussi ? Il n’y a pas de passerelle entre cette nouvelle école et l’ancienne. Les anciens connaissent leur football, il faut qu’il y ait une fusion entre les deux. » Cette opportunité, Yann Lecoq, entraîneur au centre de formation d’Amiens, a pu la saisir. Son expérience y a commencé en juillet dernier, lui qui a débuté dans le club de sa ville de Neuilly-Plaisance pour gravir les échelons des U15 DH aux U19 nationaux de Torcy, années au cours desquelles il a pu côtoyer… Randal Kolo Muani ou Lucas Gourna, devenus des joueurs emblématiques du courant Tcheks Play. « Je ne suis pourtant pas meilleur que certains entraîneurs qui font un super boulot dans leurs clubs amateurs et qui mériteraient sans doute eux aussi d’avoir cette opportunité, précise d’emblée celui qui n’a jamais joué au haut niveau. Si beaucoup de bons joueurs sortent du bassin parisien, c’est qu’il y a de bons éducateurs. Nous avons des codes qui permettent de créer des connexions avec ces joueurs, qui peuvent être issus des mêmes coins. Un joueur qui se sent mieux compris se sentira forcément plus à l’aise dans son projet. » Si les jeunes joueurs peuvent passer pro, pourquoi pas leurs formateurs ? Certainement parce que dans ce milieu fermé où les places valent cher, les éducateurs issus du monde amateur se heurtent à la concurrence d’anciens joueurs professionnels qui leur grillent la priorité pour passer les diplômes de formateur.
Ce manque de communication entre deux mondes, quand bien même le football professionnel dépend de son affluent amateur, a comme premières victimes les joueurs. « Un jeune qui va refuser ces codes, il se fait virer du centre de formation, car il existe des milliers de joueurs comme lui, voire meilleurs ! Et le jeune se sent comme un produit, appuie La Maniane. Le moindre acte peut parfois être pris comme un affront, et le jeune est mis à la porte alors qu’il suffirait de le recadrer, comme un grand frère, comme saurait le faire un éducateur en club. » Ce que pointe le TikTokeur, c’est une forme d’uniformisation du foot de haut niveau qui serait complètement coupée du monde réel à l’extérieur, avec donc le risque de finir avec une certaine odeur de renfermé. « Tout le monde joue de la même manière, les joueurs s’oublient, et le jeu devient triste, déplore son créateur. Le Brésil a perdu son identité de jeu, sa magie. Le joga bonito, ce football du ghetto a ramené les cinq étoiles, le plus grand palmarès du football mondial. Quand je veux voir du foot, c’est pour voir des identités de jeu se confronter, pour voyager à travers les équipes. » Un voyage que pourraient bien lui offrir ces Bleuets, qui auraient bon goût de faire triompher les valeurs Tcheks Play dès les prochains Jeux olympiques.
Par Baptiste Brenot
Tous propos recueillis par BB, sauf mentions.