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Tata Martino, l’Argentine sans moustache

Par Markus Kaufmann, en Argentine
6 minutes
Tata Martino, l’Argentine sans moustache

Après avoir rencontré le pape à Rome à l'occasion du match pour la paix ce lundi, Tata Martino poursuit sa semaine folle : ce mercredi, il s'apprête à guider la sélection de son pays pour la première fois. Les mêmes joueurs que ceux de l'aventure de Sabella – ou presque – mais des systèmes, des idées et des concepts nouveaux. Et un objectif : la Copa América 2015 chez le voisin chilien.

En Argentine, cette Coupe du monde 2014 au Brésil a longtemps été un rêve inimaginable. Longtemps, jusqu’à ce que l’Allemagne de Löw la ramène à la réalité brutale d’une reprise de Götze. Quelques semaines plus tard, alors que la nation argentine est encore en train de faire le deuil d’une coupe au pays de Pelé, voilà qu’elle se souvient que la Mannschaft avait eu l’idée judicieuse de l’inviter à Düsseldorf il y a quelques mois. L’occasion de pleurer un bon coup, et de se rendre compte définitivement du travail accompli au Brésil. Les ratés de Palacio et Higuaín remontent brusquement à la gorge, oui, certes, mais les duels gagnés par Garay et le leadership de Mascherano aussi. Quand Tata Martino avait atterri à Barcelone, Cesar Luis Menotti s’était exclamé : « Son travail va être très difficile. Comment est-il possible d’améliorer la Joconde ? En lui mettant une moustache ? » Un an plus tard, l’homme de Newell’s arrive en terrain connu : ce nouveau projet semble fait pour lui.

L’héritage d’Alejandro Sabella

Si l’Argentine est revenue du Brésil avec d’innombrables souvenirs, elle n’a pas oublié de ramener à la maison quelques certitudes tactiques. En premier lieu, Javier Mascherano. Placé devant la défense, le « meilleur transfert du Barça des dernières années » d’après Pep Guardiola est devenu le héros de tout un peuple. Des tacles salvateurs, des sacrifices sur les côtés, une lecture du jeu de classe mondiale, et une bonne direction du jeu. À droite, à gauche. Sans faire du Redondo, El Jefecito a su manœuvrer un milieu. Un peu plus haut, à sa gauche, Ángel Di María. La transformation du néo-Mancunien est à mettre sur le compte du mandat de Sabella, qui a astucieusement replacé le gaucher de Rosario Central à un poste de relayeur qui offre à sa vision du jeu toute la largeur du terrain. Un milieu dans lequel presque n’importe qui aurait pu se glisser : même Lucas Biglia, anonyme avec la Lazio, a su obtenir un rôle. Derrière, une charnière centrale qui s’est imposée malgré le scepticisme du monde entier : Garay au duel, Demichelis à la couverture. Enfin, l’équilibre des latéraux : le sérieux Zabaleta, toujours mis en avant par ses entraîneurs, mais dont la reconnaissance générale semble fuir pour toujours, et le moins sérieux – et plus offensif – Marcos Rojo.

En phase défensive, le bloc Garay-Demichelis-Masche-Zabaleta n’a encaissé qu’un but en phase éliminatoire. À la 113e minute de la finale. Bilan : une structure à trois milieux et une défense plus à l’aise dans le duel que dans la relance. C’est dans la combinaison du trio offensif que l’Argentine n’a pas trouvé de réponse. Trois postes pour Messi, Higuaín, Agüero, Lavezzi, Palacio. Quelle position pour Messi : un quatrième milieu constructeur ? Un attaquant de soutien ? Un numéro 9 ? Un numéro 10 pour qui des attaquants coureurs – Lavezzi et Higuaín – doivent se sacrifier ? Et comment l’entourer : avec des ailiers de métier pour écarter le terrain, ou des buteurs mangeurs de profondeur ? Entre 4-4-2, 4-3-1-2 et 4-3-3, Sabella a souvent changé de navire lors de la traversée du Mondial. La première mi-temps de la finale aura été révélatrice : l’élaboration du jeu allemand avait besoin de temps et de précision, alors que les contre-attaques argentines n’avaient besoin que d’une direction. Tata Martino arrive donc à un moment où l’Albiceleste a atteint un certain seuil de stabilité tactique, pour lui donner des alternatives à la rigueur défensive et au génie, qui avait fini par lui manquer.

Du Loco au Tata

Tata Martino est un disciple de Marcelo Bielsa. Ils partagent une passion : Newell’s. Et ils partageaient un projet : au début des années 1990, El Tata n’est autre que le leader des Old Boys d’El Loco. Ainsi, la philosophie du nouveau sélectionneur tient logiquement en trois concepts : pressing haut, jeu court et verticalité. « Il faut avoir une posture d’acteur, ne pas attendre, être agressif pour récupérer le ballon et le faire très haut. Ne laissons pas de place à la spéculation. S’il faut défendre, on défendra parce que le rival nous obligera à défendre, mais on ne fera pas de calculs défensifs. » À la tête de la sélection du Paraguay, Martino avait choisi le 4-4-2, et la paire Santa Cruz-Cardozo, mais sans jamais oublier le pressing haut. D’ailleurs, l’Espagne championne du monde 2010 ne l’a pas oublié. À son époque Newell’s, Martino préférait le 4-3-3, mais surtout l’esthétique, partant en guerre contre l’Argentine de la consommation de résultats. Il lui aura laissé un champion magnifique. De retour au pays, saura-t-il lui rendre une Albiceleste capable de mener le jeu avec consistance ?

Mais le métier de sélectionneur est souvent celui de personnages avant d’être celui de tacticiens. Et avant d’être un entraîneur vertical, Martino est une modestie, une flexibilité, une bonne humeur. Avant d’être le plus célèbre entraîneur dont personne ne connaît le prénom, El Tata est avant tout l’homme de la situation. Une situation où le sélectionneur argentin va devoir trouver un équilibre entre le respect du travail qui a été fait, et la nécessité de trouver sa propre voie. « Tata » , c’est le papa. Le père dans un rôle de grand frère bienveillant ou de grand-père affectueux. Une sorte d’oncle au grand cœur, celui à qui l’on peut tout dire, celui qui est toujours là, et enfin celui qui sait toujours dire la vérité. Un Aimé Jacquet, un Vicente del Bosque, à seulement 51 ans. C’est tonton Gérard. En Argentine, bien au-delà des hinchas de Newell’s, tout le monde apprécie Gerardo. Une première victoire qui devrait lui donner le temps nécessaire pour dépasser la pression qui accompagne le poste de sélectionneur du vice-champion du monde.

« À court terme, je ne vais rien changer »

En fin diplomate, Martino a donc ouvert toutes les portes de la maison à l’heure d’inviter la presse à dîner. D’abord, il sélectionne tous les vice-champions du monde. « À court terme, rien ne va changer. » Puis il écarte les problèmes et montre les solutions. Tévez ? « Parfois, les meilleurs se trouvent tous dans un seul endroit du terrain. Mieux vaut alors trouver une parade pour qu’aucun ne se retrouve sur le banc… Pour moi, c’est ce qui s’est passé avec Carlos (Tévez). Messi, Agüero, Pipita… Dans leurs équipes, ce sont tous des 9. Et depuis 1970 ou 74, je n’ai jamais vu un entraîneur emmener quatre ou cinq numéros 9 à une compétition. » De nouvelles têtes ? Pour cause de blessés et d’absents (Messi, Garay, Lavezzi, Maxi Rodríguez, Palacio et Orión), Erik Lamela et Nicolas Gaitan ont été appelés. Pour le moment, avec ce même système, il existe notamment une place à prendre au milieu entre Mascherano et Di María. D’autres joueurs devraient avoir leur chance, de Mauro Icardi à Juan Manuel Iturbe, en passant par Javier Pastore. Au Barça, Tata Martino était arrivé avec des outils encombrants : de la verticalité, du Cesc Fàbregas, et moins de possession pour plus d’occasions. Cette fois-ci, Gerardo ne semble pas pressé de repeindre son nouveau tableau. La légende raconte qu’en 1998, Daniel Passarella avait exigé que les joueurs argentins se coupent les cheveux. Cette fois-ci, ce sera sans moustache.

Chili : une question de Vidal ou de mort

Par Markus Kaufmann, en Argentine

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