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Tasos Alevras : « Je ne me suis pas senti à l’aise à côté d’une vingtaine de types d’Aube Dorée »
À l’affiche du dernier Festival La Lucarne, évènement annuel alliant football et culture par le biais du cinéma, What Politica – A non political football story, de Tasos Alevras, nous plonge dans les arcanes de son club de cœur, l’Olympiakos, où il tord le cou à un communiqué hypocrite de la Gate 7 stipulant que la politique n’avait pas sa place au stade. Au détriment de sa passion.
Tasos, d’où viens-tu et que faisais-tu avant de te lancer dans la réalisation de ce film ? Je suis né à Athènes et j’ai grandi à Thessalonique, où je suis revenu vivre après avoir passé quelques années à l’étranger. En Grèce, réaliser un film signifie que tu dois faire autre chose à côté pour pouvoir vivre. Je travaille donc en parallèle dans diverses sociétés de production de cinéma, ainsi que dans les écoles, où j’initie les élèves aux notions des droits de l’homme à l’aide de films sélectionnés.
Comment es-tu devenu supporter de l’Olympiakos ? Je ne sais pas exactement, je pense que personne ne sait vraiment pourquoi il suit une équipe en particulier. C’est quelque chose de spontané, en adéquation avec ton esprit et ton cœur. Je crois qu’en premier vient l’amour pour un club, puis en second le moment où tu essaies de comprendre pourquoi. Pour moi, l’Olympiakos a eu quatre joueurs au-dessus de la moyenne. Giovanni, le plus grand que l’on ait jamais eu, Rivaldo, Christian Karembeu et Yaya Touré.
Généralement, les supporters se contentent de voir leur équipe gagner. Pourquoi avoir choisi d’investiguer sur les coulisses du club et en faire un film ? De l’unique point de vue du supporter, c’est vrai. Mais d’autres fans ne se contentent pas simplement de savourer les victoires et perçoivent le football en tant que phénomène sociologique avec ses aspects politiques. Tout ce qu’il se passait autour du club ne me plaisait pas du tout. Il est extrêmement difficile de perdre foi et passion pour le club que tu supportes pour des raisons n’étant même pas directement liées au football. J’étais conscient de ce qu’il se passait, et cette histoire passant d’Ultras’ No Politica à Super Politica était une belle histoire à mettre en scène.
Qu’est-ce qui te dérangeait en particulier ? Les rumeurs comme quoi Aube Dorée tentait d’intégrer la tribune. J’assistais à un match à l’extérieur à Atromitos, à Athènes, club dont les fans sont réputés pour leurs opinions antifascistes. Et à côté de moi, dans le secteur visiteur, il y avait une vingtaine de types avec des casquettes et T-shirts à l’effigie d’Aube Dorée. Les fans d’Atromitos se sont soudain mis à chanter un chant en grec dont les paroles sont « fascistes, fascistes, nous allons vous pendre » . Je ne me suis pas senti à l’aise et j’ai surtout eu le sentiment de me trouver du mauvais côté.
Djibril Cissé a expliqué qu’il a décidé de quitter le Panathinaikos le jour où un arbitre lui a dit pendant un match que, de toute manière, son club ne pouvait pas être champion. Est-ce la réalité du football grec aujourd’hui ? C’est une citation très célèbre venant du propriétaire du club d’Aigaleo dans les années 2000. Il a été pris sur le fait en train de dire à l’arbitre que « Aigaleo et Olympiakos doivent gagner et que le reste peut aller se faire foutre » . Il y a une guerre perpétuelle entre les propriétaires de clubs pour le contrôle des arbitres, des sponsors, etc. Je n’aimerais vraiment pas faire partie de ce monde-là, même en tant que commentateur.
Que veux-tu dire par là ?La situation entre tous les présidents est très compliquée. Il y a quatre acteurs principaux : Marinakis, propriétaire de l’Olympiakos, Melissanidis de l’AEK, Alafouzos du Panathinaikos et enfin Savvidis du PAOK. Chacun possède ses médias et peut donc influencer les gens dans leurs opinions politiques, un club de football pour potentiellement attirer des gens par son prisme, et enfin agrandit son pouvoir financier en investissant par exemple dans l’immobilier. Cette situation est devenue une guerre de pouvoir. On peut penser que certains sont très proches de la Fédération et peuvent essayer de gagner les matchs hors du terrain. Je veux ignorer tout ça et ne pas en faire partie. Le foot en Grèce a toujours été lié au business ou à la politique. Quand tu y penses, même l’entreprise officielle de paris sportifs en Grèce est détenue par le président de l’AEK Athènes.
Est-ce que Marinakis a un pouvoir tel qu’il peut influer sur le classement final du championnat ?C’est l’un des hommes les plus riches de Grèce. Il gère des affaires à l’échelle internationale et a un siège au conseil municipal du Pirée. Je ne sais pas exactement s’il influence le classement du championnat, mais s’il essaie, ce n’est sans doute pas le seul.
Est-ce que la Gate 7 soutient politiquement Marinakis, accusé par ses opposants d’être proche d’Aube Dorée, simplement parce qu’il est le président de l’Olympiakos ? Évidemment, ce n’est pas la Gate 7 dans son intégralité qui soutient Marinakis. C’est une minorité qui contrôle tout ce qu’il se passe dans la tribune et qui est étroitement liée avec lui encore à ce jour. Beaucoup de très jeunes garçons vont au stade, et il est très facile de les influencer, car ils n’ont pas encore un esprit critique suffisamment développé pour faire la part des choses. Ça me fait peur. Par exemple, pour un match entre la Grèce et la Bosnie à Karaïskaki, des gamins de quinze ans tenaient une banderole haineuse où il était écrit en serbe : « Couteau, fer, Srebrenica » .
La conséquence directe de l’amitié entre la Gate 7 et les Serbes de l’Étoile rouge de Belgrade, d’après toi ?C’est même évident. Tu ne peux pas faire quoi que ce soit sans l’aval de la Gate 7 à Karaïskaki, même si c’est un match de l’équipe nationale.
Certains membres constituent-ils une milice au service de Marinakis, comme le dénonce l’ex-maire du Pirée ? Pendant les élections, Marinakis se baladait avec des gorilles de la Gate 7. Après, on ne sait pas du tout s’ils travaillent pour lui et pour quel type de besognes. Ils connaissent le système. Peut-être que certaines choses apparaissent comme évidentes, mais rien ne peut être prouvé. L’ex-maire du Pirée peut dire ce qu’il veut, mais il n’a aucune preuve. Ça peut très bien simplement être les accusations d’un ex-maire amer déchu.
Qu’a Marinakis à gagner en étant récemment devenu propriétaire de Nottingham Forest ? Il essaie d’agrandir son business et de se faire une réputation en Angleterre. Je crois d’ailleurs qu’il est déjà implanté à Londres. Qui connaissait Abramovitch avant qu’il ne devienne le propriétaire de Chelsea ? Il y a une interview marrante de Marinakis où l’on lui demande son rapport avec Nottingham Forest. Il a répondu que c’était un grand club quand il était jeune, ce qui est vrai, et qu’il y est très attaché depuis.
Est-ce que tu continues d’aller au stade ?Comme je le disais, j’ai grandi à Thessalonique et, la plupart du temps, j’assistais donc seulement aux matchs à l’extérieur non loin de ma ville. J’ai connu quelques bons moments dans les gradins avec la Gate 7, mais malheureusement je n’y vais plus. C’est inévitable, mais c’est une décision personnelle.
Comment cette enquête a affecté ta passion ? Quand je vais au stade je saute, je chante, je vis le match. Mais j’ai perdu de cette passion. Je suis toujours à fond quand l’Olympiakos joue, que le match débute à la télé, et j’ai toujours hâte de découvrir les nouveaux joueurs, mais le reste ne m’intéresse plus.
Est-ce que tu as été bloqué ou reçu des menaces pendant ou après ton travail ? Bloqué oui, vraiment. Le maire du Pirée n’a pas voulu me parler, le service des relations publiques de l’Olympiakos n’a également pas donné suite. C’est intelligent et logique. Tout le monde se fout d’un petit réalisateur indépendant. Avec une interview du maire du Pirée ou de membres de l’Olympiakos, mon documentaire aurait une tout autre portée et ce n’est pas dans leur intérêt. Je n’ai pas été menacé, même si j’ai reçu des appels provenant de numéros anonymes où on me disait qu’on allait me baiser, mais ça me faisait marrer. Si ça se trouve, c’était des gamins de quinze ans qui s’amusaient.
Tu interroges dans le documentaire deux membres importants de la Gate 7 qui sont dans le déni, mais ont l’air sincère. Est-ce qu’ils acceptent tout, parce que c’est l’Olympiakos ?Il faut savoir qu’ils ne m’ont accordé l’entretien qu’avec la permission du club de l’Olympiakos. La Gate 7 est donc très proche du club. Je peux concevoir que des fans de l’Olympiakos soient sincèrement apolitiques. C’est le cas des deux qui m’ont parlé. Mais lorsqu’il s’agit de leur club, ils deviennent aveugles. C’est frustrant. Quand tu constates des choses, comment peux-tu les ignorer ? Pour moi, les fans doivent être indépendants et critiques envers leur direction, pas la suivre qu’importent les décisions.
Est-ce que tu suis les autres sections sportives du club ? Bien sûr ! J’adore le basketball et on a une super équipe qui va régulièrement en finale de l’Euroligue. En Grèce, tous les clubs possèdent une équipe dans tous les sports, mais avec différents présidents. Le club de volleyball de l’Olympiakos, par exemple, est dirigé par la Gate 7. C’est une bonne chose.
Tu as d’autres projets de documentaire sur le foot ? J’aimerais faire plus de choses autour du football, car j’adore ces dimensions politique et sociologique, mais je suis fatigué, car il est extrêmement compliqué d’en pénétrer le monde à moins d’en être sponsor ou autres… Mais sûrement pas réalisateur ! Je travaille actuellement sur un autre aspect malade de la société grecque : les liens entre la politique et l’Église orthodoxe. Mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant.
Propos recueillis par Grégory Sokol