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Tant qu’il y aura des fumis…
Les incidents qui se sont déroulés à Auxerre ont brusquement rappelé à un foot français tout occupé à regarder le nombril de Louis Nicollin, que les supporters pouvaient eux aussi garantir le spectacle et sauver l'intérêt d'une L1 tirée sportivement vers le bas. Et, au passage, servir de boucs émissaires médiatiques et sécuritaires.
C’est donc reparti. Les supporters sont de nouveau désignés comme la plaie du foot français. Cela faisait longtemps. Certes, reconnaissons aux ultras auxerrois d’avoir su taper fort. Ou plutôt d’avoir replacé symboliquement la barre très haute, là où ça fait vraiment mal, offrant une demi-heure d’apnée aux journalistes de Canal Plus et au staff du PSG. Pourtant, pas de mort d’homme ni de violence particulière (pas plus, par exemple, que de la part des Parisiens à Lorient). Juste un sens certain du théâtral au moment où le Multiplex devait tenir en haleine le pays entier, avant le sacre annoncé du challenger héraultais. Après tout, il faut bien justifier des droits TV si chèrement achetés pour un championnat dont la véritable dramaturgie se construit lors des deux dernières journées… Jean-Pierre Louvel, président du Havre et de l’Union patronale des clubs professionnels de football (UCPF), peut dès lors hurler au loup et entonner son habituel couplet : « Cela salit l’image du football. » Il devrait, avec ses amis présidents, les remercier, tous ces petits contestataires pyrotechniciens amateurs, d’augmenter ainsi bénévolement la valeur de la L1 et d’en garantir la crédibilité populaire, source apocryphe de la valeur marchande d’un sport hégémonique sur le marché des biens culturels.
Les commentaires de la presse apparaissent, du coup, fort injustes. Pire, ingrats. Sans le coup de sang de dimanche dernier, les analyses d’après-match se seraient limités à décrire la coiffure de Loulou, à bien des égards plus gore et hardcore que nombre d’habitués des gradins. Comment ne pas s’amuser devant cette dénonciation unanime des « pseudo-supporters » , dixit Antoine Boutonnet, chef de la division nationale de la lutte contre le hooliganisme (en l’occurrence s’agit-il d’hooliganisme?), alors que, dans le même temps, on nous sur-vendait la ferveur des fans montpelliérains, dont on connaît la réputation sulfureuse ou tout du moins un talent assumé pour ériger le bordel en grand art ?
De toute façon, le petit monde, peut-être condamné, des supporters a vécu une annus horribilis. Après l’enterrement définitif de la culture ultra à Paris sous les ors qataris, et qui ne subsiste qu’en déplacement (ce qui devraient suffire à donner des sueurs froides aux dirigeants parisiens pour le retour en C1 et les possibles rencontres contre des clubs anglais), ce sont les tribunes de Saint-Étienne qui ont été fermées, pendant que les interdictions de stade continuaient de pleuvoir jusqu’en National, pour des motifs relevant rarement de la lutte contre la violence ou le racisme. L’arrivée d’une nouvelle ministre des sports va-t-elle réactiver le processus enclenché avec le fameux livre vert sur le supporterisme, ou au contraire conforter la logique de la loi Loppsi 2, apparemment bien inefficace ? Reste qu’en attendant, tous les clubs semblent rêver d’un destin similaire au PSG : c’est-à-dire échanger un public contre un autre.
Nicolas Kssis-Martov