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Tadic, l’homme de l’Est devenu Saint au Royaume
Joueur racé, gaucher adroit et passeur hors pair, Dušan Tadić ne bénéficie pas encore d'une grande exposition en Premier League. Seulement une question de temps pour le milieu de terrain de Southampton qui, après avoir séduit à l'unanimité lors de son passage aux Pays-Bas, commence à trouver ses marques en Angleterre. Portrait d'un homme de l'Est comblé au pays de Sa Majesté.
Dans la province autonome de Voïvodine, là où il a grandi en Serbie, Dušan Tadić était un gamin parmi tant d’autres. Heureux de se contenter de plaisirs simples, comme le fait de caresser le cuir dans les rues de sa ville natale, Bačka Topola, ou sur des terrains de fortune. Mais quand celui qui affiche aujourd’hui vingt-six ans au compteur a découvert le monde professionnel avec le FK Vojvodina, club où se sont révélés, entre autres, Vujadin Boškov, Siniša Mihajlović et Miloš Krasić, il n’est pas parvenu à s’épanouir pleinement. Parce qu’il ne jouissait pas de la liberté escomptée. Parce qu’il a toujours fait des pelouses des toiles où sa créativité pouvait s’exprimer.
Repéré contre Forlán et Agüero
Une anomalie, presque une incompréhension pour certains entraîneurs serbes. « Ils aiment juste que vous alliez au combat. Et c’est comme ça, regrettait-il, l’air désabusé, en novembre 2014. Vous voulez vous sentir libre. Chaque joueur peut montrer son meilleur quand il est libre. Si vous avez un peu peur de quelque chose, vous ne pouvez pas montrer votre meilleur. Parfois, en Serbie, un entraîneur vous dira : « Joue là. » Mais vous ne pouvez pas voir mieux que moi lorsque je dois jouer le ballon. Quand vous êtes un jeune joueur et que vous ne savez pas quoi faire, si vous ne l’écoutez pas, peut-être qu’il ne vous mettra pas dans l’équipe. » Afin d’offrir la plénitude de son talent, Dušan Tadić a donc dû quitter les Balkans. Et se laisser porter, d’abord, vers l’ouest du Vieux Continent.
Dans un championnat mineur comme la SuperLiga (première division serbe), Dušan Tadić a emprunté un parcours linéaire. En quatre années passées au FK Vojvodina (2006-2010), l’ailier serbe s’illustre par des prestations prometteuses, corroborées par des statistiques probantes (90 matchs, 26 buts et 17 assists) et un titre de champion en 2008/2009. Mais c’est au-delà des frontières de son pays natal qu’il va réellement s’illustrer et que son nom va commencer à être susurré par les émissaires des grands clubs européens. Les tours préliminaires de Ligue Europa avec son club lui permettent de se mettre en évidence, notamment à l’occasion d’une double confrontation face à l’Atlético Madrid de Forlán et Agüero, en 2007. Toujours en alerte sur les talents de demain, Hans Nijland, directeur général du FC Groningen, qui a notamment déniché l’animal carnassier Luis Suárez, le repère et l’enrôle à l’été 2010. Les contours de sa future ascension sont tracés. Et alors qu’on s’attendait à une période d’adaptation pour le jeune Serbe, il n’en a rien été. Dès sa première saison, Tadić s’acclimate sans coup férir au championnat néerlandais.
Le « assist-koning » des Pays-Bas
Par son aisance technique, sa patte gauche élégante ainsi que son intelligence et sa vision de jeu aiguisées, il séduit à l’unanimité. « Tu sentais qu’il n’allait pas rester très longtemps ici. On savait que les Pays-Bas n’étaient qu’une étape pour lui, c’était clair depuis le début, pose d’entrée Édouard Duplan, actuel milieu de terrain de l’ADO Den Haag, qui a eu l’occasion de l’affronter à plusieurs reprises lors de son passage au FC Utrecht (2010-2015). Puis j’ai beaucoup d’amis qui ont joué avec lui. L’un d’eux m’a dit qu’il était très professionnel, très sérieux et qu’il avait l’ambition de réussir. C’est un joueur élégant et qui, en plus, est porté vers l’efficacité. Il faisait partie des meilleurs joueurs du championnat quand il était là. Il sait comment se déplacer, où demander le ballon. Quand tu donnes autant de passes décisives, ça veut bien dire quelque chose… Ça dénote d’une certaine qualité, d’une vision de jeu exceptionnelle. » Car que ce soit à Groningen (2010-2012) ou au FC Twente (2012-2014), l’enfant de Bačka Topola a surtout brillé par sa qualité de passe hors du commun. Durant les quatre années à fouler les pelouses d’Eredivisie, celui-ci a totalisé 57 assists et terminé à deux reprises « assist-koning » , soit meilleur passeur décisif du championnat (2010-2011 et 2013-2014). Une prouesse monumentale.
À l’époque, déjà, Ronald Koeman, qui officiait à la tête de Feyenoord Rotterdam, souhaitait s’attacher les services du passeur hors pair. Un rendez-vous manqué qui ne sera que différé. Dans la foulée de son intronisation à Southampton, en juin 2014, le manager néerlandais flaire la bonne opportunité, et les Saints engagent Tadić pour 15 millions d’euros. Là encore, le Serbe s’intègre rapidement. Et ne cache pas sa satisfaction d’évoluer en Angleterre, où la passion se veut moins exacerbée et moins sujette aux excès que dans son pays natal : « En Serbie, vous avez beaucoup de pression de la part des supporters. Ils viennent et frappent les joueurs, ce n’est pas bien. Puis vous n’êtes pas payé à temps, donc il faut se battre pour obtenu votre dû. Vous n’êtes pas seulement focalisé sur le football. En Angleterre, vous êtes concentré juste sur ça et il y a une pression saine. En Serbie, cette pression est démesurée. Lorsque nous perdons un match, c’est comme si quelqu’un mourrait. C’est vraiment horrible. » En revanche, sur les prés du Royaume, le bougre a éprouvé certaines difficultés à faire face au rythme effréné de la Premier League. Après une entrée en matière encourageante, il n’a pas su appréhender avec à-propos la période charnière des fêtes. La faute à une blessure à l’aine qui l’a gêné toute la seconde partie de saison. « J’étais vraiment triste parce que j’avais ce problème depuis longtemps, expliquait-il en juillet dernier en pleine pré-saison. Désormais, je pense que lorsque je ressentirais de la douleur comme l’année dernière, je devrais peut-être m’arrêter entre sept ou dix jours et je me sentirais ensuite mieux. Mais je ne me suis pas arrêté et mon problème s’est aggravé. »
Fesses et protection de balle
Conséquence de cette adaptation poussive au rythme britannique, sa première saison a laissé les supporters de Southampton sur leur faim (4 buts et 8 passes décisives en 31 matchs de championnat). Ronald Koeman, aussi, qui lui a expressément demandé de marquer davantage. « Ma tête est toujours levée et si je vois un joueur dans une meilleure position que moi, je lui donne la balle automatiquement. Je sais que, parfois, je devrais garder ma tête focalisée sur le ballon et tirer, mais j’espère que ça va venir » , reconnaissait-il, sans se dédouaner, l’année dernière. Les débuts contrariés oubliés, celui qui a été bercé par les enroulés de Thierry Henry et l’épopée des Invincibles d’Arsenal en 2004 a commencé ce nouvel exercice dans de belles dispositions. Ses qualités sont, enfin, exposées aux yeux de tous. « À son poste, en Angleterre, il n’y a que très peu de joueurs meilleurs que lui. On sent chez lui son bagage néerlandais. Il est très discipliné, se montre économe dans les déplacements, chaque appel de balle est réfléchi. Tout est fait très intelligemment. En ce qui concerne la tactique, l’Angleterre n’est pas le meilleur championnat et c’est pourquoi il fait la différence dans ce domaine, appuie en détails Édouard Duplan. Il voit certaines choses avant tout le monde et est constamment porté vers le but. Surtout, sa protection de balle est phénoménale. Il met ses fesses en arrière et tient sur ses jambes d’une manière incroyable. Il travaille énormément sur la stabilité de ses jambes, ce qu’on appelle la « core stability ». C’est l’un des piliers de son jeu. Quand il se met entre le ballon et toi, tu n’as aucune chance de l’avoir. » Avec Sadio Mané et Graziano Pellè, il forme aujourd’hui en Angleterre l’une des lignes offensives les plus alléchantes. Et tout laisse à croire que l’ascension de l’adroit Serbe ne demeure encore qu’au stade des prémices. Car d’homme de l’Est frustré, Dušan Tadić est devenu un Saint épanoui.
Par Romain Duchâteau // Propos d'Édouard Duplan recueillis par RD, ceux de Dušan Tadić extraits du Guardian et du Daily Mail