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Tactique : Yacine Adli, des hauts et débat
Déjà très intéressant à Nice puis contre Angers, Yacine Adli, 20 ans, a confirmé sur la pelouse de Lyon, vendredi soir, où les Girondins de Bordeaux se sont cruellement inclinés face à un OL qui ne méritait pourtant pas grand-chose, qu’il avait tous les outils pour devenir un joueur qui compte devant la défense. Au point de s’y installer durablement ? C’est l’idée.
Le corps parle toujours en premier. Vendredi soir, dans la salle de presse du Groupama Stadium, Jean-Louis Gasset a donc d’abord préféré s’exprimer par une grimace. Puis, le druide bordelais a laissé échapper ces mots : « Les joueurs ne méritaient pas ça. Ils ont fait le match qu’on avait décidé de faire, on a pris des risques… On a fait trente bonnes minutes et il y a un but sur coup de pied arrêté où… Pff, je ne sais pas, il y a eu un coup de billard, à taper sur une cuisse et ça revient, un miracle quoi. Il a fallu dire à la mi-temps que c’était possible, que si on rejouait bien au football, on pouvait les mettre à mal. Et on a fait une deuxième mi-temps de haut niveau, en marquant un but, en ayant des occasions. Eux, ils n’avaient pas trop de situations. Déjà, un point, on aurait quand même regardé les occasions… Mais zéro point, à la dernière seconde, c’est extrêmement dur. » Difficile de contredire Gasset, même plus de quarante-huit heures après la fin d’un Lyon-Bordeaux qui a vu les visiteurs du soir tout perdre sur une frappe satellitaire de Léo Dubois, et ce, alors qu’en face, l’OL ne méritait pourtant pas grand-chose.
Il faut ici retenir un autre élément, à savoir l’attitude des Bordelais, qui se sont baladés à Décines-Charpieu avec un plan clair et une ambition non dissimulée. Le plan, justement : comme Metz, vainqueur de l’OL (0-1) il y a un peu plus de deux semaines, les Girondins se sont présentés armés d’une défense à trois, d’un milieu à quatre et d’une ligne offensive à trois têtes. Objectif d’une telle approche ? Défensivement : densifier l’axe pour enfermer les attaquants lyonnais dans une boîte géante et « ne pas perdre le milieu » (Gasset), le tout avec un pressing haut cherchant à couper les sorties de balle lyonnaises à la source, d’où la transformation systématique d’un attaquant – souvent Hwang – en menottes posées sur les chevilles de Thiago Mendes. Offensivement : sortir le ballon proprement afin de rapidement toucher les éléments placés dans les demi-espaces (Ben Arfa et Kalu) tout en laissant Hwang embrouiller les centraux lyonnais par ses courses.
Le plan des Girondins sans ballon, où l’on voit clairement Hwang se mettre au niveau de Mendes pour ne pas perdre numériquement la bataille du milieu. Ainsi, un 3v3 se dessine.
Avec ballon, passage à un 3-4-3 avec Sabaly et Oudin sur les ailes, Kalu et Ben Arfa dans les demi-espaces et un trio Benito-Koscielny-Baysse derrière.
Ambitieux sur le papier, ce plan aurait dû rapporter au minimum un point aux Bordelais, qui sont donc finalement rentrés à la maison avec les poches vides malgré une douzaine de tentatives (deux cadrées seulement). Mais aussi avec une confirmation : Yacine Adli, placé dans le double pivot aux côtés de Basic, est bien en train de devenir un formidable joueur de football. Mais jusqu’à quand va-t-on en profiter ?
« J’essaye de l’amener où il doit aller »
La question se pose aujourd’hui et a souvent été posée depuis l’arrivée de la promesse en provenance du PSG, en janvier 2019, oubliant parfois au passage une donnée essentielle de l’affaire : Adli n’a que 20 ans et reste donc un joueur perfectible. Rembobinons. Il y a d’abord eu l’époque Paulo Sousa, un entraîneur rapidement tombé sous le charme d’un « joueur différent », qui « maîtrise bien l’espace, le timing, très fort pour mettre le ballon entre les lignes et donner de la supériorité ». Problème : si Sousa voulait faire briller Yacine Adli dans un rôle de 8, il n’y est que très peu arrivé, le Portugais soulignant à plusieurs reprises la difficulté du joueur à répéter les efforts et à maintenir un niveau d’intensité constant tout au long d’une rencontre. Puis, Jean-Louis Gasset est arrivé, reprenant la quête de son prédécesseur : faire d’Adli un joueur capable d’enchaîner les bonnes copies.
Fin novembre au Parc des Princes, où Adli a inscrit le deuxième but bordelais (2-2), Gasset a alors résumé son combat : « C’est un jeune joueur assez cyclique, qui peut passer de l’excellence au relâchement… Il faut lui apprendre le métier, j’essaye de le faire. Quand il joue comme aujourd’hui, c’est un très bon joueur. Mais il sait qu’il aura des problèmes avec moi s’il se relâche. Il faut qu’il m’écoute, j’essaye de l’amener où il doit aller. Le courant alternatif ne suffit pas, en professionnel. Ce but est bien pour lui, j’espère que c’est le déclic et qu’il me donnera des solutions au milieu de terrain. » La preuve des relâchements avancés a été donnée lors d’un Monaco-Bordeaux (4-0) joué quelques semaines plus tôt, où le jeune milieu, aligné dans un milieu à trois avec Otavio et Basic, a bu la tasse. Réponse d’Adli face aux critiques : « Vous faites face à un jeune de 20 ans, qui pourrait très bien être encore au centre de formation. Je n’ai rien fait dans le foot, j’ai encore beaucoup à apprendre. » Un jeune de 20 ans qui a aussi besoin d’être correctement utilisé et stabilisé dans un rôle : que ce soit contre Nîmes (2-0), contre Angers (2-1) ou à Lyon, vendredi soir, on a retrouvé Adli, meneur de jeu dans l’âme, au sein du double pivot bordelais et on l’a vu vivant, joueur, pro-actif à la récupération, permettant ainsi à l’équipe de se mettre dans le bon sens et laissant notamment Ben Arfa dans le camp adverse (sans Adli, HBA multiplie souvent les décrochages, ce que le match contre Nîmes en début de saison a bien révélé). Un Adli sûr de ses forces, qui a avancé avec personnalité et qui a trouvé des espaces qu’un Otavio, dont la saison est terminée depuis une rupture du tendon d’Achille, n’a jamais trouvé. En résumé, filez les manettes à ce mec, il vous facilitera votre jeu offensif et fera tourner constamment la tête de votre équipe vers l’avant tout en la sécurisant. Voilà des chiffres : cette saison, Adli est le troisième plus gros créateur d’occasions des Girondins (derrière Oudin et Ben Arfa), le deuxième fournisseur de passes clés de l’effectif, son co-meilleur passeur, son deuxième plus gros tacleur et, proportionnellement, l’un des meilleurs dribbleurs du groupe avec Ben Arfa et Kalu (le premier de Ligue 1 au ratio, avec 70,69% de réussite). Et c’est ce cocktail que l’on a retrouvé à Lyon.
Le GPS du schéma
Première donnée : au Groupama Stadium, Yacine Adli a tripoté 77 ballons, soit plus que n’importe qui sur le terrain côté Girondins, et presque plus que n’importe qui tout court (seuls Marcelo et Léo Dubois ont eu plus de ballons à jouer). Seconde donnée : Adli a couru plus que n’importe qui (12,2 kilomètres sur l’ensemble de la rencontre) et a récupéré une grosse dizaine de ballons (il est aussi premier à ce petit jeu). Ces deux faits permettent de mettre en lumière la grosse activité du numéro 19 bordelais, qui a récupéré plusieurs ballons précieux dans le camp lyonnais et a été presque intraitable dans le jeu vers l’avant. Globalement, ce match reste porteur d’espoirs pour Yacine Adli, et ce, alors que Jean Michaël Seri vient d’arriver en prêt à Bordeaux, déclenchant automatiquement le désir de voir aligner un trio Adli-Seri-Ben Arfa très joueur. Pour information, lors de la saison qu’il a disputée à Nice avec HBA, en 2015-2016, le milieu ivoirien avait bouclé l’exercice sur le podium des joueurs les plus influents dans le dernier tiers adverse (deuxième joueur qui déclenchait le plus de passes dans cette zone, avec plus de 80% de réussite).
À Lyon, on a d’abord vu Adli se projeter en proposant notamment ici une solution à Ben Arfa…
… ce qui a conduit à un bon décalage ensuite vers Oudin.
Il a surtout été une solution dans les sorties de balle quasi permanente, formant un relais entre Baysse et Sabaly.
Ou entre Costil et Benito.
Autre élément où Adli était attendu : l’alimentation de Ben Arfa. Bon signe, révélateur de l’impact de la présence d’Adli : HBA n’a touché qu’une petite quinzaine de ballons dans son camp vendredi soir.
Adli a aussi impressionné par sa résistance sous pression, élément indispensable lorsqu’on est un joueur créatif puisqu’on attire automatiquement plusieurs joueurs sur ses chevilles. Ici, on le voit aspirer Caqueret et Cornet, puis trouver De Préville dans l’espace libre grâce à une talonnade.
Nouvelle bonne résistance à la pression, pour rapidement tourner le jeu vers Sabaly malgré le pressing de Toko Ekambi.
Plutôt propre dans son utilisation du ballon (85% de passes réussies, 4 sur 5 tentées dans le dernier tiers), Yacine Adli a surtout marqué les esprits par son activité sans ballon. Son « exploit » est d’abord d’avoir réussi à rendre assez neutre Maxence Caqueret, face à qui il a remporté de nombreux duels (dont un superbe à la 26e), mais surtout d’avoir su jaillir aux bons moments.
Premier moment : dix minutes après la pause, Adli va sauter sur une passe mal assurée de Mendes vers Bruno Guimarães…
… et va trouver Oudin, qui va ensuite toucher Kalu plein axe pour l’égalisation.
En fin de match, autre situation et autre passe mal assurée : cette fois, Adli jaillit sur une transmission de Marcelo…
… et trouve Oudin après avoir effacé Mendes. Oudin va ensuite être battu dans son face-à-face avec Lopes.
Autre exemple de bonne récupération ici devant Paqueta.
Là, face à Caqueret.
Ou encore là, toujours face à Caqueret.
Malgré tout, il ne faut pas oublier qu’Adli a connu quelques passages à vide au cours de la rencontre, notamment sa fin de première période et quelques séquences où on l’a vu avoir du mal à tenir sa position lorsque l’OL était en phase de possession.
Exemple ici, où son positionnement ne coupe aucune transmission et laisse l’espace ouvert à Mendes, puis à Bruno Guimarães.
Exemple plus concret encore sur le deuxième but lyonnais où Adli va sortir du bloc bordelais…
Et libérer Aouar, qui va alors être magnifiquement trouvé par Diomandé, lançant ensuite tout le décalage.
Son positionnement sur le premier but de l’OL est aussi très passif…
Là, si son intention est louable, il va perdre un ballon très dangereux dans son propre camp.
Enfin, certains choix auraient pu être un peu plus portés vers l’avant comme ici, où Adli va jouer en retrait avec Koscielny alors que Baysse est libre…
Il a malgré tout corrigé ce détail en fin de match.
Ce match d’Adli à Lyon est assez fascinant, car il est un parfait condensé de ce qu’est le joueur aujourd’hui : un joueur précieux balle au pied, sur qui Gasset doit s’appuyer pour faire avancer ses Girondins et qui pourrait parfaitement s’accoupler avec Seri (ce qui conduirait à mettre Basic sur le banc), mais qui doit aussi encore travailler pour ne pas tacher ses copies. Les bases sont posées.
Par Maxime Brigand