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Tactique : un Harry Kane complet, chef !

Par Maxime Brigand
Tactique : un Harry Kane complet, chef !

Meilleur passeur de Premier League, joueur qui tire le plus au but du championnat et sur le podium des joueurs qui ont réussi le plus de passes-clés, Harry Kane est absolument partout depuis le début de saison et profite du changement de style payant opéré par Mourinho à Tottenham. Résultat : l'Anglais est sans doute l'assassin le plus complet du moment.

C’est une histoire qui ne cesse de faire des boucles. Celle de l’homme qui a toujours rêvé d’être le plus grand entraîneur du monde, qui dit avoir la solution à tous les problèmes, qui semble avoir, caché dans l’un des tiroirs de son cerveau, la recette pour gagner à chaque fois, n’importe où, avec n’importe qui, qui note tout, qui hurle puis qui rit. Au cours de sa carrière, José Mourinho a changé plusieurs fois de visage, mais a toujours fini par retrouver celui vu samedi dernier, au Tottenham Hotspur Stadium, quelques minutes après la victoire de ses Spurs face au Manchester City de Pep Guardiola (2-0) : celui du vainqueur, dont la bave pend des lèvres et dont les yeux brillent d’amour. On disait le Portugais dépassé par le foot moderne et ringardisé par la nouvelle génération. Certains osaient même avancer que Mourinho n’avait plus rien de spécial. Lui avait pourtant prévenu à grands coups d’interviews qu’il était prêt à repartir, de préférence dans un club en difficulté, José Mourinho ne se nourrissant qu’au défi et à l’idée d’apparaître comme un sauveur. Au Telegraph, il avait alors glissé : « Je souhaite trouver une forme d’unité structurelle dans mon prochain club. Je ne veux aucun conflit interne, je recherche une empathie à tous les étages. Un club est une structure, une structure complexe où l’entraîneur est important, mais n’est pas la structure de base. Je ne veux pas travailler dans un club sans structure, ou avec une structure sans cohérence. Au cours de ma carrière, j’ai connu toutes les circonstances de travail, mais si j’ai réussi, c’est grâce à l’empathie commune, à des gens qui partageaient une vision commune, des idées communes. C’est fondamental. » Ainsi est donc arrivé entre ses doigts Tottenham, finaliste de la Ligue des champions quelques mois plus tôt, mais avec un effectif moralement en vrac, qu’il fallait réajuster tactiquement et sportivement. Moins d’un an plus tard, voilà le résultat : Tottenham est leader de Premier League, possède le même bilan que Liverpool, la deuxième meilleure attaque du championnat et la meilleure défense. Terriblement mourinhesque.

Comme toujours, le Portugais a donc rembarré les sceptiques et a su redevenir compétitif, en faisant ce qu’il sait faire de mieux : créer un esprit et maximiser les qualités individuelles de ses joueurs au profit d’une organisation collective forte. C’est avant tout ce qu’est venu rappeler, au-delà du résultat, le match face à City, d’où Tottenham est ressorti avec 34% de possession de balle et quatre petites frappes (contre 22 côté City). José Mourinho sait mieux que personne comment débattre avec Guardiola et son approche n’a rien eu de surprenant : un bloc bas, serré, tenu par une ligne de quatre et soutenu par deux milieux travailleurs (Sissoko et Højbjerg), soulagé à la récupération par la capacité d’un Tanguy Ndombele à faire sauter une ligne adverse – ou deux – sur une passe ou une percussion, puis magnifié offensivement par les courses de Son et les yeux de Kane. La principale réussite de Mourinho est sans aucun doute ici, autour du cas d’Harry Kane, son capitaine, qui est aujourd’hui en passe de réaliser son rêve : l’international anglais avance dans son odyssée et est devenu sous les ordres du technicien portugais l’un des attaquants les plus complets d’Europe, si ce n’est le plus complet. Une preuve ? Après neuf journées de championnat, il est le meilleur passeur du pays – 9 passes décisives – et reste, ce qui n’a rien de surprenant, l’une des meilleures gâchettes d’Angleterre (7 buts). Ce qui a changé est simple : Harry Kane est désormais un monstre capable de griffer avec une précision redoutable aux quatre coins du terrain.

Changer les regards sur les attaquants

Invité à évoquer l’évolution du prince Harry durant la dernière trêve internationale, son sélectionneur, Gareth Southgate, a cependant tenu à rappeler au monde une petite chose : « J’ai l’impression que les projecteurs sont davantage braqués sur cet aspect de son jeu en ce moment, mais Harry Kane a toujours eu cette qualité de passe. Il est aussi bon passeur que finisseur et l’a toujours été. Tant qu’il aura des joueurs qui courent autour de lui, qui prennent l’espace, Harry trouvera les bonnes passes. C’est un autre type d’attaquant que Lukaku, que Giroud ou que Mbappé. » C’est aussi ce qu’est venu rappeler Mourinho ce week-end, après le match face à City. Extrait : « Harry Kane est un joueur fantastique. Peut-être qu’il va aider à changer les regards sur ce qu’est un attaquant. La tendance est de juger un attaquant sur le nombre de buts qu’il marque – en gros, vous êtes aussi bon que le nombre de buts que vous marquez. Mais il y a un Soulier d’or pour ça. Aujourd’hui, Harry a prouvé qu’un attaquant pouvait être l’homme d’un match sans avoir inscrit le moindre but. » Plus encore, Harry Kane a bouclé cette rencontre sans avoir tiré une seule fois. Le capitaine des Spurs a fait tout autre chose : il s’est battu, a touché sa cinquantaine de ballons, a taclé, intercepté des ballons, provoqué des fautes (5), a ouvert des espaces et a piqué City dans le dos de ses latéraux en lançant Son et Bergwijn. Kane a été un pou impossible à arrêter et ses 90 minutes sont à imprimer pour servir de modèle. Elles viennent surtout valider tout ce qui a été vu lors des premières semaines de la saison.

Sans surprise, en phase défensive, Tottenham a affiché un bloc très serré, histoire de fermer à double tour le cœur du jeu et de pousser City à écarter au maximum son jeu. Harry Kane s’est alors posé au sommet de ce bloc.

Une fois le ballon intercepté, son rôle a alors été d’être un point d’appui pour Son…

… ou d’être un starter offensif. Trouvé ici par Ndombele, dont la passe casse le milieu de City, Harry Kane va retrouver sa position préférentielle : face au jeu, avec plusieurs mèches inflammables autour de lui.

Sur cette séquence, Kane peut se retourner, et Tottenham est en situation de 4v3 face à la défense de City. Au bout de ce mouvement, Bergwjin sera finalement rattrapé par Rodri.

Cette situation va être retrouvée en seconde période, avec une issue plus heureuse. On retrouve le 4v3 et les trois mèches inflammables. Cette fois encore, Kane va décaler sur sa gauche – ici pour Lo Celso – et Tottenham va doubler la mise sur cette action.

C’est une constante : en phase offensive, Harry Kane décroche et prend les manettes des circuits des Spurs. Désormais, Tottenham ne joue plus pour le faire briller, mais pour le placer dans une situation idéale pour qu’il puisse organiser et tuer la défense adverse par la passe. Ainsi, pas de surprise : si Kane est toujours le joueur de Premier League qui canarde le plus ses adversaires (37 tirs tentés depuis le début de saison, soit cinq de plus que Mohamed Salah et Patrick Bamford) et l’un de ceux qui touchent le plus le cadre (15 tirs cadrés, deux de moins que Calvert-Lewin et un de moins que la paire Salah-Bamford), il est aussi sur le podium des joueurs qui ont réussi le plus de passes-clés depuis le début de saison (23, ce qui le place juste derrière Salah et De Bruyne, mais surtout devant Bruno Fernandes). La saison dernière, l’attaquant anglais tournait à 1,52 passe-clé en moyenne par match. Cette saison, cette moyenne est grimpée à 2,6 passes-clés/match.

L’assassin le plus complet

Cette saison, après seulement neuf journées, Harry Kane a surtout déjà battu son record de passes décisives, lui qui n’avait jamais dépassé les sept offrandes sur une saison jusqu’ici (lors de la saison 2016-2017), et affiné encore davantage son entente avec Heung-min Son, avec qui il s’apprête à devenir le duo le plus prolifique de l’histoire de la Premier League devant la paire Lampard-Drogba. Cette évolution est évidemment le fruit de l’évolution stylistique des Spurs qui sont devenus dévastateurs en contre. Un match permet parfaitement de l’imager : le Southampton-Tottenham (2-5) du 20 septembre dernier, lors duquel Son a inscrit un quadruplé sur quatre passes décisives de Kane, qui a ensuite tiré la cinquième balle des siens.

Avant le premier coup de couteau, on note qu’Harry Kane, comme souvent cette saison, aime se décaler côté gauche pour laisser Son prendre l’espace dans le dos d’une défense haute et le servir.

C’est d’ailleurs de cette position qu’il va offrir le premier but au Sud-Coréen.

Le deuxième but est construit sur la même base : Kane décroche, Son prend la profondeur.

Pareil pour le troisième.

Et pour le quatrième.

Lors du dernier quart d’heure, Kane va répéter ce mouvement. Ici, avec Lamela.

Là, avec Lo Celso.

Si la performance de Kane à Southampton est exceptionnelle, elle n’est pourtant pas isolée, puisque l’Anglais répète ces mouvements depuis le début de saison. On peut ressortir une ou deux séquences de la sorte par rencontre.

Face à Everton, avec cette belle ouverture pour Son…

… ou cette déviation pour Alli.

Sur la pelouse de Burnley, toujours pour Son…

… ou pour Eric Dier.

Contre Newcastle.

Sur l’ouverture du score à Old Trafford.

Un peu plus tard pour Aurier…

… pour Lamela…

… ou encore pour Lamela plus tard dans la rencontre.

À West Bromwich…

… ou contre West Ham.

Tactiquement, le rôle de Kane est assez simple à lire. S’il peut toujours être à l’affût dans la surface ou s’il est toujours capable de se créer une fenêtre de tir dans une cabine téléphonique comme face à West Ham, il est aujourd’hui la première cible à la relance, soit entre les lignes, soit pour être à la déviation d’un long ballon aérien. Ainsi, il devient un tremplin pour croqueurs d’espace selon cette configuration.

Lorsque Tottenham construit au sol, il se décale également souvent côté gauche, pour laisser Son prendre l’espace entre les centraux adverses. De cette position, il a ainsi plusieurs options : il peut lancer l’attaquant sud-coréen, tourner le jeu côté opposé ou rentrer sur son pied droit pour frapper. Il peut alors jouer avec une panoplie d’armes. « C’est aujourd’hui l’un des meilleurs passeurs du monde », a avancé récemment Jamie Carragher, précisant au passage : « Je ne parle pas seulement de son nombre de passes décisives, mais de l’intégralité de ses passes. Il a la qualité de passe de Glenn Hoddle et arrive parfaitement à interpréter l’espace. » Harry Kane a toujours su se placer, il réussit désormais à utiliser cette qualité pour placer idéalement les autres. Et il sait aussi faire le bon mouvement sans ballon pour ouvrir l’espace comme sur le premier but face à City :

Alors que Ndombele s’apprête à armer, Kane fait le petit pas en avant qui emmène avec lui deux joueurs de City et ouvre un espace énorme pour Son. Simple, mais terriblement efficace.

Dès lors, une question : le foot possède-t-il aujourd’hui, Lewandowski mis à part, un assassin aussi complet ? Pas sûr.

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