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Tactique : Tchouaméni, la Tour d’avance
Titularisé pour la première fois avec les Bleus samedi soir en Ukraine dans la foulée d'une première belle entrée face à la Bosnie, Aurélien Tchouaméni a bluffé par sa personnalité et sa capacité à toujours avoir un temps d'avance sur les autres. Décryptage d'un décollage.
Ils disent depuis le premier jour que ce gamin est spécial, mais son entraîneur à l’AS Monaco, Niko Kovač, lui avait demandé de ne surtout rien inventer. Pas cette fois. « Sois toi-même, ne change pas, joue comme tu sais le faire, c’est pour ça que Didier Deschamps t’a convoqué. » Voilà les mots soufflés il y a quelques jours par le technicien croate aux oreilles d’Aurélien Tchouaméni, lâché à 21 ans dans le grain bain international face à la Bosnie (1-1) mercredi dernier, puis pour une première titularisation en Ukraine (1-1) samedi soir. Conséquence : sur 128 minutes, Tchouaméni a fait du Tchouaméni et a régalé son monde au milieu d’une troupe bleue pourtant en vrac, qui a notamment sorti à Kiev une première période sans le moindre sens collectif. Dans ce grand marasme, la tige de l’AS Monaco, elle, n’a pas pris l’eau et a plutôt joué les barrages, engendrant de l’intensité dans toutes les phases de jeu, offrant un rythme constant et affichant une volonté permanente de fermer les espaces aux quatre coins de la pelouse. Au point d’avoir gagné un ticket de titulaire pour demain ? Il sera difficile, pour Didier Deschamps, de fermer les yeux et, si le sélectionneur jongle toujours entre les animations avec l’espoir de tomber sur la bonne, il est possible de fantasmer déjà d’un milieu Kanté-Tchouaméni-Pogba où chacun serait – enfin – installé dans sa position préférentielle. Voilà pourquoi.
La lecture comme socle de performance
Aurélien Tchouaméni est un joueur qui pense vite et bien. C’est sans aucun doute ce qui a d’abord tapé dans l’œil de Deschamps avant qu’il ne convoque le poumon monégasque dans son groupe, et qu’il a retrouvé lors des premières séquences internationales de sa nouvelle carte. Avant chaque prise de décision, il faut voir Tchouaméni capter son environnement, l’explorer pour trouver une piste, puis prévoir les événements qui vont suivre. En son temps, Frank Lampard faisait la différence en effectuant une dizaine de mouvements de tête dans les sept secondes qui précédaient une prise de balle. C’est ce qui a toujours aidé l’ancien joueur de Chelsea, mais aussi les joueurs comme Xavi, Iniesta et Busquets, à avoir plusieurs temps d’avance sur les autres. Les études menées par le professeur norvégien Geir Jordet ont également montré que les joueurs capables de scanner le terrain avant de recevoir le ballon sont souvent ceux qui finissent les rencontres avec les plus hauts pourcentages de passes réussies. Face à la Bosnie et en Ukraine, Aurélien Tchouaméni a d’ailleurs tenté en cumulé 102 passes et n’en a raté que six. Un mouvement du match à Kiev permet de parfaitement mettre en lumière l’exploration visuelle constante du jeune milieu français.
Alors que Paul Pogba s’apprête à tourner le jeu vers Léo Dubois, en bas à l’écran, Aurélien Tchouaméni a déjà pris l’information, recule d’un pas et scanne l’espace qu’Antoine Griezmann est en train de vider. Il réfléchit déjà au mouvement d’après.
La passe de Paul Pogba est effectuée, Tchouaméni prend alors l’information de l’autre côté du terrain. Son analyse est toujours en cours.
Léo Dubois s’apprête à contrôler, Tchouaméni jette un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule gauche.
Alors que Léo Dubois effectue sa passe, Aurélien Tchouaméni sait désormais : il va chasser l’espace sous son nez et va se servir de Paul Pogba pour parvenir à ses fins…
Le une-deux s’enclenche…
Et se termine : Tchouaméni peut attaquer libéré balle au pied…
Puis, il va décaler Dubois avant d’attaquer le dos du latéral gauche adverse afin de perturber la ligne défensive ukrainienne…
Résultat : les Bleus ont progressé, Antoine Griezmann peut être libéré dans sa zone préférentielle, et Dubois peut le trouver.
Cette qualité dans la prise d’information n’est pas nouvelle et est travaillée depuis un paquet d’années par Tchouaméni. Interrogé dans le livre Comment gagner un match de foot ?, Adrien Tarascon, ancien responsable du jeu de l’AS Monaco aujourd’hui chargé de l’analyse de joueurs et de datas au LOSC, l’explique parfaitement : « Lors de ma première rencontre avec Aurélien Tchouaméni, en moins d’une heure, j’avais compris que sa principale qualité était sa tête. (…)Il a affiché une compréhension du jeu et une intelligence visuelle rare. C’étaient sa tête et ses facultés cognitives qui devaient devenir le fil conducteur de son jeu. La capacité à prendre l’information et lire le jeu deux fois plus vite que les joueurs autour. C’est en établissant cette lecture comme socle de performance que l’on allait pouvoir l’aider à trouver de la constance dans ses prestations. Aurélien est un bourreau de travail, sa recherche de progression est constante et perpétuelle. »
Joueur aux mille idées
Si la lecture de jeu du nouvel international lui permet d’avoir une analyse permanente du terrain, elle l’aide surtout à toujours choisir le meilleur costume pour le collectif et à toujours incliner son corps de la meilleure façon. En Ukraine, ses coéquipiers ont alors souvent cherché à en profiter et à placer leur nouveau pote aux mille idées face au jeu, qui a ensuite souvent joué simple, mais toujours avec une recherche de rythme.
Exemple type d’une séquence pour placer Tchouaméni face au jeu : Kimpembe trouve Griezmann, alors que le milieu de l’AS Monaco recule de façon à être prêt à recevoir…
De cette position, il peut ensuite faire parler sa qualité dans les transmissions.
S’il a souvent cherché les passes simples, Tchouaméni a aussi parfois tenté de miser sur le risque pour accélérer les échanges, comme ici avec Pogba.
Ou là en cherchant la profondeur avec Diaby.
Autre registre sur cette séquence avec l’utilisation du jeu long (3 tentées samedi soir, 2 réussis) : ici, son service pour Benzema va déboucher sur un poteau de Diaby.
Lorsqu’il n’est pas trouvé totalement face au jeu, Tchouaméni sait s’y mettre rapidement, comme ici où, face à la Bosnie, avant de recevoir le ballon, son corps est déjà incliné de façon à avoir le jeu de face.
Kylian Mbappé peut alors être touché, alors que Griezmann aurait aussi pu être solution dans le cœur du jeu.
Retour à Kiev où, lancé par Kimpembe, Tchouaméni est pressé dans son dos par Yaremchuk…
Il va alors utiliser son corps pour protéger le ballon, se retourner sur lui-même…
… et pouvoir transmettre le ballon à Antoine Griezmann.
Complet, en perpétuelle recherche d’amélioration (il échange beaucoup avec Fàbregas, a discuté avec Patrick Vieira il y a peu et débriefe tous ses matchs avec son père, Fernand), capable d’être sentinelle en première période dans un 4-3-3 ou dans un double pivot avec Pogba dans un 4-4-2, Tchouaméni est un cadeau dans l’après-Euro de Didier Deschamps. Un cadeau qui, surtout, a une activité sans ballon largement supérieure à celle de ses nouveaux coéquipiers, ce qui a d’ailleurs été essentiel en première période en Ukraine où son rôle de sentinelle a plus que jamais été précieux dans le 4-1-4-1 en phase défensive tricolore. Ce caractère devrait parfaitement se marier à celui de N’Golo Kanté.
Exemple ici : alors que Stepanenko contrôle le ballon et qu’il pense avoir du temps…
… Tchouaméni va lui arracher et récupérer le ballon.
Même chose plus tard en première période où c’est cette fois Shaparenko qui contrôle le ballon dos au jeu devant la surface de l’Ukraine…
… et va vite devoir reculer face à la pression de Tchouaméni.
En seconde période, le Monégasque a aussi été précieux pour compenser les sorties de Dubois, comme ici où, malgré un léger retard au départ…
… il va sortir vainqueur de son duel.
À Kiev, Tchouaméni a récupéré sept ballons (dont trois dans le camp adverse) et a réussi, entre autres, cinq interceptions. Des chiffres en parfait accord avec un début de saison qui a vu le joueur de l’AS Monaco sortir plusieurs copies références, dont deux mémorables à Prague et à Troyes, et ne pas hésiter à afficher sa personnalité à l’heure de changer de monde. L’avenir pourrait s’écrire avec lui, et s’il est sorti en boitant en Ukraine, il est annoncé comme étant à disposition du sélectionneur. Preuve de sa réussite : avant de défier la Finlande et alors que les Bleus ne gagnent plus, une absence de ce rare sourire de rentrée serait déjà perçue comme un sale coup. Ils n’avaient pas tort : ce joueur est bien spécial.
Par Maxime Brigand