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Tactique : Stanislav Lobotka, le cerveau du Naples de Spalletti

Par Maxime BRIGAND
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Tactique : Lobotka, l’araignée de la toile de Spalletti

Boulon inamovible d’un Naples qui fonce tête baissée vers son premier titre de champion d’Italie depuis 1990, Stanislav Lobotka a trouvé sa place en Campanie après un peu plus de deux saisons passées dans l’ombre. Mieux : il est aujourd’hui, à 28 piges, l’une des références de son poste. Voilà pourquoi.

Stanislav Lobotka est un meuble. C’est une armoire indispensable autour de laquelle la vie s’anime, auprès de laquelle on se rassemble pour rire entre amis, devenue si indispensable qu’elle en est une habitude dans le décor et donc presque invisible. Lobotka est toujours là, quelque part, mais, entre le génie de Kvaratskhelia, le romanesque de Victor Osimhen, la puissance de Zambo Anguissa et les courses de Zielinski, on ne le remarque quasiment plus. Pourtant, pour être au courant de tout ce qu’il se passe sur les terrains où le Napoli de Luciano Spalletti se produit depuis plusieurs mois, c’est sur lui qu’il faut s’attarder et autour de lui qu’il convient de s’installer pour en prendre plein les mirettes. À Naples, la vie est désormais ainsi faite : chaque mouvement se construit auprès de cet objet de 28 ans, monté sur 170 centimètres, tenu par l’idée de permettre à ses potes de respirer et s’amuser en paix. Questionné en février 2022 au sujet des meubles de ce type (Thiago Motta, Andrea Pirlo, Sergio Busquets), une espèce dont il fait d’ailleurs partie, Marco Verratti disait à L’Équipe : « Ce sont des joueurs qui ne sont pas dans les statistiques, mais ils font en sorte que les coéquipiers soient bien sur le terrain. » C’est aussi ceux qui jouent le mieux au football, car ce sont ceux qui, en général, le comprennent le mieux : ils savent quand aller de l’avant, quand repartir de l’arrière ; ils savent quand accélérer, quand faire souffler ; ils savent quand pénétrer dans les petits périmètres et quand allonger pour attaquer un espace plus grand et libre à l’opposé. Ils savent car ils sont au courant de tout grâce à cette faculté assez unique de se donner la chance de voir. « C’est plus une question de géométrie que de tactique, écrit Andrea Pirlo dans son livre I Think Therefore I Play. Avant même de recevoir le ballon, je savais parfaitement où étaient mes partenaires. C’est toujours mon plus gros atout. Je l’ai toujours eu. » Alors, chacun allait s’appuyer sur Pirlo comme d’autres viennent aujourd’hui s’appuyer sur Marco Verratti ou sur Stanislav Lobotka. Mais pourquoi, après les premiers espoirs nés de ses saisons passées à Nordsjælland et à Vigo, Naples a dû attendre autant de temps pour pouvoir profiter pleinement du meuble slovaque ?

« Stanislav ressemble à Iniesta »

Il y a d’abord eu la logique adaptation à un autre football, puis le choix de Gennaro Gattuso d’avancer avec un double pivot Bakayoko-Ruiz, ne laissant alors à Lobotka qu’une grosse poignée d’entrées et aucune titularisation lors de la saison 2020-2021. Au début de l’été 2021, Luciano Spalletti a ensuite été sorti de ses vignes par le président De Laurentiis, et une porte s’est petit à petit ouverte pour un petit format dont le nom avait été soufflé début 2020 aux oreilles des dirigeants napolitains par un certain Marek Hamšík. Le départ de Fabián Ruiz à Paris il y a quelques mois a fini de lui dégager la route, et Spalletti a ainsi déboulé dans l’exercice en cours en installant son numéro 68 à la base de son 4-3-3 avec Piotr Zieliński d’un côté et André-Frank Zambo Anguissa de l’autre. Et c’est en août, sous le soleil véronais, que l’on a très vite compris que l’affaire allait s’accélérer : face à un Hellas écartelé (2-5), Stanislav Lobotka a touché sa soixantaine de ballons, en a récupéré une grosse douzaine et a constamment cherché à verticaliser le jeu de sa troupe, symbolisant dès la première sortie de la saison les idées d’un Naples joueur, capable de varier les ouvertures et les animations au sein d’une même rencontre pour surprendre et arriver à ses fins. Ce qui fonctionne, évidemment, le Napoli étant aujourd’hui un leader stellaire de Serie A – le groupe de Spalletti possède treize points d’avance sur l’Inter après vingt journées et n’a été battu qu’une fois -, qui empile les tirs et les buts dans toutes les compétitions (meilleure attaque de Serie A et meilleure attaque de la phase de poules de Ligue des champions), et qui ne laisse que de maigres os à ronger aux différents adversaires croisés. 

Du voyage à Vérone, quelques mots étaient restés. Ceux dégainés par Spalletti au sujet de sa sentinelle : « J’ai vu Andrès Iniesta jouer et Stanislav Lobotka lui ressemble. Il est vraiment incroyable. Il semble facile à attraper, mais quand il se met à accélérer, c’est impossible. On l’a vu sur son but qui est d’une qualité et d’une lucidité extraordinaires. » Lobotka est un enfant du football en mouvement, qui ne peut briller que s’il possède autour de lui des associés prêts à plonger dans les espaces qu’il s’amuse à créer. Le Napoli, qui réussit l’exploit d’être à la fois guidé par la conquête de l’espace et par une grande maîtrise du rythme, est en ça un cadeau pour ses qualités. Le Slovaque possède autour de lui toutes les armes possibles pour briller : un défenseur central (Kim), capable de relancer des deux pieds, qui ne refuse jamais de fourrer son nez dans un espace ouvert et qui, en plus d’être un leader technique, s’est aussi rapidement affirmé en leader défensif de très haut niveau ; un associé direct (Zambo Anguissa), à l’aise pour détruire un pressing, pour se connecter dans des petits espaces, mais aussi pour arracher des rideaux ; un autre collègue (Zieliński), lui aussi essentiel pour combiner dans les petits espaces, davantage moteur par ses appels ; un artiste (Kvaratskhelia) roi du un-contre-un et qui sait tout faire avec un ballon dans les pieds ; un buffle (Osimhen) fiable pour jouer en remise, porté par une vitesse phénoménale et qui possède un coffre difficile à égaler. Bref, plus que jamais, Stanislav Lobotka avait tout pour mettre l’Europe à ses pieds et il n’a pas craché sur l’occasion, si bien que le Real Madrid est même venu taper à sa porte ces dernières semaines.

La recherche de l’état d’urgence

Mais qu’est-ce qui fait, au juste, de lui un joueur si différent ? Comme Marco Verratti, Lobotka, un joueur calme en toutes circonstances, sûr techniquement et tenu par des appuis courts, est d’abord un homme qui adore se mettre en état d’urgence de temps et d’espace. Comme l’Italien, il aime également souvent masquer jusqu’au dernier moment ses passes pour mieux surprendre ses proies et placer ensuite un partenaire dans la situation la plus confortable possible.

Exemple parfait avec cette séquence face à l’Ajax, en octobre : trouvé par Zambo Anguissa, Lobotka va rapidement être pressé par Klaassen…

il va alors jouer avec la pression plutôt que sortir en retrait, contourner Klaassen…

… et trouver Zieliński du bout de l’extérieur droit…

… le ballon va vite lui revenir dans les pieds et Lobotka va alors répéter le schéma, jouant avec son corps pour s’offrir le luxe de contourner de nouveau Klaassen…

… comme ceci…

… avant de trouver Zieliński en meilleure position, dans le dos d’Álvarez…

… et le jeu peut alors être tourné côté droit vers Di Lorenzo.

S’il réussit souvent à créer de l’espace pour les autres par le dribble ou par la passe, Stanislav Lobotka le fait encore plus souvent par la feinte via un mouvement qu’il répète très régulièrement depuis le début de saison et qui aide, grâce à la vitesse de son moteur, le Napoli à faire sauter les tentatives de pressing tout en gagnant des mètres précieux.

Ici, trouvé par Rrahmani, Lobotka va attendre l’arrivée de son adversaire…

… masquer son intention jusqu’au dernier moment…

… puis accélérer… 

… avant de trouver Zieliński dans le rond central.

Situation similaire face à la Roma où Lobotka va attirer Pellegrini sur son dos…

… aspirer la pression grâce à sa feinte, faisant déplacer le centre de gravité de Pellegrini…

… et pouvoir trouver Mário Rui lancé.

Enfin, face à l’Ajax, Lobotka est cette fois touché par Mário Rui. Il a pris l’information dans son dos…

… va éliminer son vis-à-vis en vitesse…

… et pouvoir remonter le ballon jusqu’au rond central, où il va obtenir une faute.

Souvent impossible à attraper, Lobotka décourage régulièrement des adversaires qui se mettent progressivement à moins le presser et lui offre alors encore plus de liberté pour sortir le ballon, soit en redescendant entre Kim et Rrahmani, soit en restant un cran au-dessus dans un désormais 3+1 assez classique (qui devient de temps à autre un 4+1 avec une ligne défensive très compacte quand Naples cherche à compresser son adversaire à l’intérieur pour mieux le faire exploser sur les côtés) avec un latéral qui intègre la ligne défensive et un autre qui vient occuper la largeur alors qu’un ailier glisse à l’intérieur. Le Slovaque n’est pas toujours le seul à occuper cette position, Zambo Anguissa venant également régulièrement décrocher. Seule constante un cran plus haut : Stanislav Lobotka reste généralement le milieu le plus bas pour connecter dans les petits espaces avec ses deux potes du milieu ou pour faire basculer le ballon d’un triangle de côté à un autre (Naples construit essentiellement via ses ailes). Sa présence est essentielle pour engendrer de la verticalité (en Italie, personne ne réussit plus de passes dans le dernier tiers que lui), de la vitesse et pour garantir de la variété aux différents temps de possession (personne n’a plus le ballon que le Napoli en Serie A – 61% du temps -, et Lobotka est le septième joueur qui a touché le plus de ballons depuis le début de la saison – 73 par match en moyenne).

Généralement, c’est dans cette position que l’on retrouve Lobotka dans le camp adverse, afin de lui permettre de toucher tout un tas de zones. C’est d’ailleurs de cette zone qu’il a démarré avant de marquer face au Hellas, en août.

Il peut alors trouver régulièrement les latéraux napolitains, souvent très intérieurs (ici Mathías Olivera).

On le voit aussi souvent combiner avec Zambo Anguissa, comme ici face à l’Ajax, où l’ancien joueur de l’OM va le décaler face au jeu…

… et lui permettre de toucher Raspadori.

Le bouclier défensif

De par sa position, Stanislav Lobotka est un pion vital pour un Naples qui a construit sa réussite grâce à une structure parfaitement pensée pour créer et attaquer de façon optimale l’espace, et ce, dans les moindres recoins. C’est aussi une tête pensante du jeu sans ballon des Partenopei, qui se classent juste derrière la Fiorentina en matière de tirs concédés et en tête des équipes qui ont concédé le moins de tirs cadrés. Là aussi, Spalletti a réussi à dessiner une structure qui évolue en fonction des phases entre un 4-4-2 pour chasser haut où Zieliński vient s’associer à Osimhen et un 4-5-1 en bloc médian/bas. Peu importe la zone, Naples cherche en revanche la même chose : condenser au maximum l’adversaire pour le forcer à tenter une passe impossible et ainsi vite rendre le ballon.

C’est, par exemple, ce qu’on a très bien vu tout au long de la rencontre face à la Juventus.

Naples réussit très bien à le faire grâce, entre autres, à Kim, qui reste toujours debout et n’hésite pas à sortir fort sur le porteur de balle adverse pour couper une transition, mais aussi à Lobotka très efficace sans ballon. S’il peut se faire prendre sur les phases en 4-4-2 où il doit couvrir beaucoup de terrain aux côtés de Zambo Anguissa, le Slovaque tourne à près de sept ballons récupérés par match et est un atout pour enclencher le contre-pressing napolitain qui permet à la bande de Spalletti d’afficher un taux de possession moyen aussi haut.

Premier exemple de bon contre-pressing de Lobotka sur la pelouse de l’Ajax où, grâce à sa puissance et sa vitesse…

… il va aider le Napoli à étouffer l’Ajax.

Même chose récemment face à la Sampdoria où, grâce à une bonne position préventive, il va anticiper la perte et la course de Djuricic…

… et venir lui gratter le ballon.

Enfin, face à la Roma, on note sur cette séquence la réaction proactive des Napolitains à la perte, avec Lobotka en couverture et un accordéon prêt à se refermer…

… ce qu’il va faire, forçant une mauvaise conduite et la fin rapide de la transition romaine grâce notamment à Lobotka.

Trois ans après son arrivée à Naples, Stanislav Lobotka est, à 28 ans, enfin installé où beaucoup le voyaient s’installer : au centre de l’animation d’un club de premier plan, toujours en mouvement pour soulager et lancer ses coéquipiers face au jeu, jamais très loin des projecteurs qu’attire plus naturellement le duo Osimhen-Kvaratskhelia. Oui, le meuble a trouvé sa place et sa lumière.

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