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Tactique : Romelu Lukaku, l’arme totale

Par Maxime Brigand
Tactique : Romelu Lukaku, l’arme totale

Meilleur buteur et meilleur passeur de l'Inter, Romelu Lukaku aura été le grand bonhomme du dix-neuvième titre de champion d'Italie de l'histoire du club milanais. Peut-être avant tout car, à Milan, le Belge est devenu ce qu'il a toujours rêvé d'être : l'un des attaquants les plus complets de sa génération. Chronique d'une évolution.

Une image et une seule : celle d’un entraîneur face caméra et dont les yeux se mettent à briller au moment d’évoquer la carte la plus importante de son jeu. « J’ai tout de suite dit que c’était un diamant qui, en travaillant, deviendrait extraordinaire. Depuis son arrivée à Milan, il a fait des progrès incroyables et peut encore en faire. Je n’oublie pas qu’à l’époque, certains disaient qu’il était surcoté, qu’il avait coûté trop cher… » Antonio Conte, lui, savait. Il savait, pour la bonne et simple raison, qu’il l’a toujours su. Preuve en est : il y a quelques années, l’entraîneur italien avait dit qu’une fois que le diamant aurait appris à devenir « fort dos au but », plus personne ne serait en capacité de l’arrêter de briller. Alors, lorsqu’il a enfin pu se l’offrir, en août 2019, Conte a commencé à le polir. Lors des trois premiers mois, le bijou a ainsi été placé à chaque séance en duel individuel avec Andrea Ranocchia, une bête de 195 centimètres et 82 kilos. Puis, après quelques difficultés et une grosse colère dans la foulée d’une rencontre de Ligue des champions jouée en septembre 2019 face au Slavia Prague, Antonio Conte a vu les choses prendre forme et sa pierre devenir de plus en plus précieuse, jusqu’à un fait : un peu moins de deux ans après son arrivée à Milan, Romelu Lukaku est bien devenu ce qu’il a toujours rêvé d’être, soit l’un des meilleurs attaquants du monde et une guêpe capable de piquer de n’importe quelle position. Mieux : le voilà propriétaire d’une bague de champion d’Italie. Cette saison, le Belge de 27 ans semble surtout avoir réussi à éteindre une à une les critiques entourant son cas. Comme un ouragan.

Un créateur complet

Et aussi comme un étudiant. Aucun mystère : si Lukaku a réussi à atteindre ce niveau au fil des années, c’est d’abord en développant son « cerveau d’élite » (Roberto Martínez) et en entretenant son amour du jeu. Malin, l’Inter lui a ainsi ouvert il y a plusieurs mois un compte sur la plate-forme vidéo d’analyse Wyscout. Interrogé par France Football fin 2020, voilà ce que disait alors l’attaquant des Diables rouges : « Tactiquement, au niveau de mes positionnements et de mes mouvements, je ne dois pas me tromper. Jamais.(…)À chaque fois qu’on attaque, tout joueur de l’Inter sait quasiment quel appel il doit faire. Donc, si tu rates quelque chose au niveau du timing ou techniquement, tu mets tout le plan de jeu en péril. Si je manque une remise, alors que je dois m’appuyer sur l’un de nos milieux, le terrain est ouvert pour l’autre équipe, et c’est plié. Chaque ballon compte, et je réfléchis à comment je vais pouvoir faire mal. » Romelu Lukaku a également toujours su prendre les conseils, à commencer par ceux précieux de Thierry Henry lorsqu’il bossait avec l’ancien attaquant de Manchester United en sélection. « Un jour, Thierry m’a dit : « La différence entre toi et le top, c’est la capacité à se créer ses propres buts. Si tu dois dribbler trois joueurs pour t’ouvrir le but, fais-le ! » Ça m’a servi de déclic. » Cette saison, c’est avant tout ce qui a sauté aux yeux : au-delà de son statut de deuxième meilleur buteur de Serie A (21 buts), Lukaku est devenu un créateur total avec 10 passes décisives (meilleur passeur de l’Inter cette saison, comeilleur passeur du championnat), près de 50 occasions créées et un peu moins de 60 passes-clés (seul Achraf Hakimi en a délivré davantage). Non content, le Belge est aussi le meilleur dribbleur de l’effectif de l’Inter devant Nicolò Barella. « Je crois que tout le monde ou presque perçoit désormais mon intelligence de jeu, expliquait l’intéressé, toujours à France Football. Que les gens soient en train de réaliser que je réfléchis lorsque je joue, que je cherche à me synchroniser avec le reste de l’équipe, c’est cool. Ici, à Milan, tout le monde a compris ça.(…)Désormais, les gens savent : si tu me mets dans une équipe, je vais faire le travail. »

La rencontre face au Torino (4-2), en novembre, permet de parfaitement mettre en lumière les différentes facettes du jeu de Lukaku. Le Belge est ainsi une arme pour attaquer la profondeur…

… un joueur utile dans un rôle de planche…

… un outil très fiable pour trouver des décalages et du liant entre les lignes…

… ou pour mettre un coéquipier sur orbite dans la surface…

… mais aussi – et surtout – pour frapper.

Plus explosif que jamais

Souvent pointé du doigt pour son physique (il chausse du 48,5) depuis le début de sa carrière, Lukaku a su tailler son corps (1,91m, 94 kilos) pour en faire aujourd’hui un atout redoutable. Plus que jamais, il y a du Shaquille O’Neal en lui, dans sa capacité à jouer avec son gabarit, mais aussi dans sa capacité à faire monter son équipe, à se retourner avec agilité et à jouer avec vitesse dos au but. Avant de l’affronter avec Bologne début décembre, Siniša Mihajlović s’était alors marré : « Je pourrais peut-être l’arrêter sur un ring, mais sur un terrain de foot, où on ne peut pas donner de coups, je ne pourrais rien faire. » La remarque est justifiée : grâce notamment à un haut du corps ultra affûté, Romelu Lukaku fait aujourd’hui reculer n’importe quelle défense et possède une explosivité effrayante, ce qu’on avait par exemple vu lors du derby de Milan (3-0), en février.

Trouvé face au jeu, Lukaku est dans sa position la plus mortelle : la défense du Milan le laisse avancer et prendre de la vitesse…

… pas de pitié.

Parfois décrit comme lent, ce qui a toujours été une erreur (à Manchester United, il a un jour terminé deuxième aux tests de sprint derrière Diogo Dalot avec une vitesse de pointe de 36,25 km/h), Lukaku a également déchiré pour de bon cette étiquette en Italie en travaillant davantage l’explosivité et la puissance de sa poussée (de façon à prendre de la vitesse plus rapidement).

Preuve de ce travail sur l’explosivité : face à Sassuolo, début avril, où, enfermé le long de la ligne de touche, Romelu Lukaku va placer une accélération…

… et déposer deux joueurs adverses avant de trouver Alexis Sánchez, qui va ensuite rater le cadre.

Autre situation face à la Lazio où, lancé face à Parolo, Lukaku va tout détruire sur son passage…

… déposant Parolo sur 40 mètres et à plus de 33 km/h…

… avant de servir Lautaro Martinez.

Plus fort encore : Lukaku peut enchaîner les courses à haute intensité et tourne à plus de 9 kilomètres par 90 minutes cette saison, ce qui est plus que Duvan Zapata, Victor Osimhen ou Cristiano Ronaldo.

Le joueur qui donne

S’il a fait évoluer son jeu depuis son arrivée à l’Inter, le numéro 9 a surtout réussi à progresser là où Antonio Conte rêvait de le voir passer un cap : dans le jeu dos au but. Utilisé en pivot à Manchester United, Romelu Lukaku est désormais devenu également un joueur capable de s’enrouler autour d’un défenseur et de faire progresser son équipe en phase de transition (ce qu’on avait déjà vu au Mondial 2018 avec la Belgique) grâce, en partie, à une belle évolution dans le positionnement de son corps.

Ainsi, le Belge peut varier les plaisirs : « Si je reçois un ballon depuis l’un des côtés, je vais souvent le conserver un peu. S’il vient au contraire de l’axe, il y a de grandes chances que je remise instantanément pour que ça profite, dans un troisième temps, à un joueur de couloir qui sera trouvé dans l’espace. »

Face au Genoa, lors du probable meilleur match de la saison de Lukaku, trouvé par Lautaro Martinez, le Belge remet en une touche vers Barella qui peut ensuite lancer Perišić…

Face à la Fiorentina, Lukaku conserve dos au but et attend l’arrivée de Sánchez…

… avant de venir finir un centre d’Hakimi plein axe.

Cible des relances, bosseur infatigable, casse-tête insoluble pour les défenseurs adverses et parfait lecteur des failles adverses, Romelu Lukaku possède un profil total et a été sublimé tout au long de la saison par le 3-5-2 mécanique d’Antonio Conte. Est-il aujourd’hui l’attaquant le plus complet du monde ? La question se pose à l’heure où le Belge, grand, rapide, puissant et techniquement adroit, arrive à l’âge de son plein potentiel. Questionné récemment par SkySport, Jürgen Klinsmann disait très justement que « dans une équipe, il y a ceux qui prennent et ceux qui donnent. Lukaku, lui, donne. » Et vient de gagner, enfin, un titre : son premier depuis un titre de champion avec Anderlecht en 2010. Ce n’est plus un mystère, c’est une réalité : Romelu Lukaku est au sommet.

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