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Tactique : Rémy Cabella a retrouvé une famille
Brillant depuis plusieurs mois avec le LOSC, Rémy Cabella profite d’une seconde jeunesse au sein de sa nouvelle famille lilloise. Avant de se déplacer à Monaco, ce dimanche, et de recevoir l’Olympique de Marseille la semaine prochaine, pour deux rencontres décisives dans la course à l’Europe, coup d'œil sur la saison du plus ch’ti des Corses.
Ajaccio, Montpellier, Arles-Avignon, Marseille… Hormis un léger dépaysement à Saint-Étienne entre 2017 et 2019, Rémy Cabella n’avait jamais évolué ailleurs que sous son soleil méditerranéen natal lors de ses années Ligue 1. Alors fatalement, au moment d’être rapatrié dans l’Hexagone début 2022 à la suite du conflit russo-ukrainien qui a poussé son ancien club de Krasnodar à le libérer, c’est dans l’Hérault que l’international français a choisi de poser ses valises. Un retour dans le club de La Paillade qui l’aura vu exploser comme tant d’autres aux début des années 2010, mais qui sera cette fois moins clinquant. Cinq petits matchs dans une équipe en perdition sous Olivier Dall’Oglio, aucune statistique majeure à signaler et un anonymat quasi total dans un championnat qui le connaît pourtant par cœur et qu’il a marqué en 2012 lors de son sacre avec Montpellier.
Engagé pour six mois seulement, Cabella profite alors du printemps pour se refaire les jambes afin d’attaquer l’été préparé, dans l’objectif de vivre un dernier grand frisson en carrière du haut de ses 32 ans. Le 10 juillet, il s’engage libre avec le LOSC de Paulo Fonseca, avec lequel le mariage semble cette fois bien plus naturel. Un pressentiment qu’il ne tarde pas à confirmer, à l’image de ses mots après la victoire à Rennes (1-3) en février dernier : « Le projet de jeu de l’entraîneur me convient parfaitement. » Dix mois après son arrivée, le premier bilan est presque parfait. Son excellent début de saison lui aura offert l’iconique numéro 10 alors qu’il portait le 17 initialement, il réalise son année la plus prolifique depuis 2013-2014, saison qui lui avait d’ailleurs offert le billet pour le Mondial au Brésil, le tout saupoudré d’une prolongation de deux ans signée il y a une semaine à Luchin jusqu’en 2025.
7 – Rémy Cabella est impliqué dans 7 buts lors de ses 6 premiers matches de Ligue 1 avec Lille (3 buts, 4 assists), plus que tout autre joueur pour ses débuts avec le Losc dans l’élite depuis qu’Opta analyse la compétition (2006/07). Validé✅. #LOSCASM pic.twitter.com/oNn5Wzy0f7
— OptaJean (@OptaJean) October 23, 2022
L’âge de la maturité
Longtemps connu pour ses passes aveugles, ses remises excentriques sur la tranche extérieure de son pied ou ses traditionnels signes JuL en guise de célébration, Rémy Cabella démontre cette saison beaucoup plus de sobriété et de maturité dans son jeu. La coupe au gel est toujours d’actualité malgré les premiers cheveux blancs, mais les grigris sont désormais moins nombreux, et sa chorégraphie post-but consiste simplement à relever ses manches et à baisser la tête. Ses skills n’ont évidemment pas disparu, mais leur utilisation est aujourd’hui faite avec parcimonie, tout en prenant en considération l’écosystème collectif autour de lui. Pour L’Équipe, en mars dernier, il faisait d’ailleurs l’autopsie de cette évolution : « J’ai beaucoup simplifié mon jeu, je joue plus intelligemment. Quand j’étais plus jeune, si on me donnait le ballon, j’allais accélérer tout seul, et aujourd’hui je ne le ferais pas parce qu’il n’y a pas de solution, ça ne sert à rien. J’essaie de ressentir ce que les joueurs autour de moi veulent. »
Cette mutation lui offre ainsi une place de choix au cœur du 4-2-3-1 de Paulo Fonseca – qui s’articule parfois en 4-2-2-2 sur le terrain -, dans un collectif huilé qui ne peut pas se permettre d’intégrer un soliste au milieu de l’orchestre. Le surplus éliminé, la quintessence du talent balle au pied de Cabella peut alors s’exprimer. Le plus souvent côté gauche ou dans l’axe – il a aussi quelques fois joué à droite –, le Corse est régulièrement sollicité pour faire progresser le ballon dans une équipe qui possède certainement les meilleurs mécanismes du pays dans le domaine. Proche d’André Gomes, l’ancien Montpelliérain dispose de toute la palette requise pour extirper son équipe de son premier tiers. Il peut jouer en remise vers un partenaire libre, ce que le LOSC fait régulièrement, sortir de la densité sur sa prise de balle ou simplement éliminer la première ligne de pression grâce à ses aptitudes techniques. Plus que des pieds fonctionnels, les yeux de Cabella lui permettent aussi d’être performant dans cet exercice grâce à sa compréhension du jeu et des espaces ainsi qu’à sa lucidité pour les interpréter.
Ciblé par une passe de Tiago Djaló, Cabella prend le temps de jeter un coup d’œil dans son dos pour analyser la situation avant d’être touché par le ballon…
Il se sait sous pression, alors il lâche rapidement le cuir à André Gomes en une touche via sa passe fétiche de la tranche du pied…
Qui peut ensuite voir plus loin vers Jonathan David. Le milieu offensif lillois a aidé son équipe à ressortir, il peut maintenant se projeter.
À Paris (4-3), il est à nouveau ciblé par son jeune défenseur portugais, mais cette fois le choix va être différent…
Malgré la pression de Verratti, Cabella décide de se retourner. Il se sait pressé sur sa gauche et décide donc de s’orienter vers la droite. Il peut ensuite se projeter dans l’intervalle…
Et servir un partenaire lancé.
Dernier exemple face à Clermont (0-0), Khaoui sort fort au pressing sur Cabella qui vient d’être trouvé comme premier relais dos au jeu…
Mais cette fois il décide d’affronter la tempête de face. Petit pont, conduite, passe vers Angel Gomes et projection.
Double face
Premier au nombre de passes clés (88) délivrées en Ligue 1, troisième meilleur passeur décisif (9), troisième au nombre de passes dans la surface de réparation (67), premier au nombre d’actions menant à un tir par match (6,41), deuxième meilleur pourcentage de tirs cadrés (57,5%), sept fois buteur… Mise en avant sur tous les sites de statistiques divers et variés, la saison de Rémy Cabella apparaît en rouge vif sur tous les radars. Joueur majeur de cette version 2022-2023 de notre championnat, le Français profite de fortes qualités parfaitement adaptées au jeu de son coach et aux joueurs qui l’accompagnent. Particulièrement complices, Cabella et Jonathan David affichent une entente impressionnante pour une première saison commune. Le Canadien, très mobile et particulièrement joueur, n’hésite pas à décrocher pour participer au jeu, ce qui profite notamment à Cabella dans l’attaque de la surface. Les 21 buts en Ligue 1 de l’attaquant du LOSC sont ainsi la source de nombreuses ressources pour l’environnement qui l’entoure. Le numéro 10 lillois peut ainsi profiter du fait que son partenaire soit particulièrement scruté et suivi pour parfois se faire oublier tout en faisant gonfler son quota de passes décisives grâce à un buteur qui devrait toucher le haut niveau européen l’an prochain. « Si je fais une passe et que le joueur ne marque pas, je ne suis pas décisif… Mais là, avec Jonathan David qui est une machine à marquer, c’est plus facile », glissait Cabella en mars dernier pour La Voix du Nord.
David a décroché côté droit pour offrir une solution et du mouvement à Edon Zhegrova qui va percuter vers l’intérieur. Alors Cabella s’engouffre plein axe dans l’espace laissé libre…
Et sera à la retombée du centre à l’opposé comme un numéro neuf.
Lors du match aller face à Monaco (4-3), David est ciblé à l’avant, tandis que Cabella se projette dans son dos pour exploiter le décrochage de son partenaire, qui le servira ensuite…
Au bout de sa course, il égalisera pied gauche.
Cette fois, les rôles s’inversent. Surveillé de près par la défense strasbourgeoise, Jonathan David fait reculer la dernière ligne adverse pour offrir de l’espace derrière lui à son numéro dix…
Qui peut reprendre le centre, totalement seul à l’entrée de la surface.
Deuxième équipe de Ligue 1 aux expected goals derrière le PSG, le LOSC affiche cette saison un manque de réalisme aussi impressionnant que sa capacité à se créer des occasions, à l’image du raté invraisemblable de Rémy Cabella à Reims (1-0) samedi dernier. Si lui aussi a parfois manqué de justesse devant le but, une statistique plaide cependant en sa faveur : lorsque Cabella marque ou passe en championnat, Lille s’impose. Dans sa forme actuelle étincelante, le Lillois est capable d’être décisif dans toutes les zones, pour tous ses partenaires, en utilisant toutes les surfaces de ses pieds. Un atout éminent qui ne suffit pas aux siens pour traduire au score la domination qui est la leur sur le terrain, mais qui offre l’opportunité au LOSC d’être une menace constante pour toutes les équipes du championnat.
Faute de solutions directes, Cabella effectue un râteau semelle pour éliminer ses vis-à-vis et s’ouvrir l’accès vers ses partenaires…
Avant de simplement pousser le ballon pied gauche vers Zhegrova qui pourra ensuite conclure.
Régulièrement aligné côté gauche, Cabella apprécie d’utiliser l’extérieur du pied pour trouver des zones difficiles d’accès comme ici pour Gudmundsson qui, au bout, butera sur Rémy Riou.
Lorsqu’il est sur son bon pied côté droit, il peut aussi utiliser sa bonne qualité de centre. Ici, deux options s’offrent à lui au premier et au second poteau, il choisira la première. But de David.
Lorsqu’il est aligné dans l’axe, il dispose aussi du toucher nécessaire pour servir ses partenaires lancés vers la surface. Sur cette séquence, il trouvera le bon appel de Bamba dans un petit intervalle, mais le Français ne marquera pas.
Reflet d’une saison fantastique sur le plan sportif, l’intégration de Rémy Cabella dans le Nord est une franche réussite. « Je me suis mis à travailler beaucoup plus. Je travaillais, mais là, je le fais beaucoup plus. Avec le temps, la maturité, il y a l’envie de travailler encore plus. Je me suis bien préparé cet été, le projet de Lille m’a convaincu. Le président m’a fait confiance. J’ai reçu beaucoup d’affection », lâchait-il sur RMC en novembre dernier. Celui qui se considère désormais « comme chez lui » au LOSC est aujourd’hui l’un des héros principaux d’une aventure qui pourrait lui permettre de retrouver les soirées enivrantes de milieu de semaine la saison prochaine. Pour cela, il faudra d’abord écarter deux grosses planètes du système Ligue 1. Premier voyage ce dimanche sur la Côte d’Azur qu’il connaît bien pour y affronter l’AS Monaco, à Louis-II.
Par Matthias Ribeiro