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Tactique : Ralf Rangnick est-il Manchester United compatible ?

Par Maxime Brigand
12 minutes
Tactique : Ralf Rangnick est-il Manchester United compatible ?

Arrivé à Manchester en début de semaine pour prendre la barre d’un navire qui ne sait comment ni vers quoi il navigue depuis plusieurs mois, Ralf Rangnick, 63 ans, maître à penser de toute une génération de coachs allemands, voit son accostage en Premier League être accompagné d’une vague d’optimisme. Le voilà surtout avec une mission cruciale : offrir à Manchester United une identité de jeu claire.

Ralf Rangnick a une galerie de récits et de rencontres pour accompagner ses interlocuteurs. Un exemple : à l’hiver 1998, celui qui est alors entraîneur du SSV Ulm 1846 est sur un plateau de la ZDF, coincé entre un journaliste et un tableau sur lequel plusieurs aimants sont éparpillés. Rangnick a quarante ans, une dégaine d’informaticien et des idées qui éveillent la curiosité de toute l’Allemagne depuis qu’il a réussi à faire passer son club de la Regionalliga Süd à la 2. Bundesliga. Plus encore, son Ulm ne se contente pas de vivoter en deuxième division, mais s’amuse à marcher sur ses adversaires et présente à mi-saison un bilan presque parfait : 16 rencontres disputées, 9 victoires, 7 nuls, 37 buts marqués. Le secret de la troupe ? Un pari fait sur un football de zone couplé à un pressing agressif et coordonné. Une révolution pour l’époque, que Ralf Rangnick va justifier aimants à l’appui. « La défense à quatre est simplement un moyen d’atteindre notre objectif, ouvre-t-il. On veut pratiquer un pressing très appuyé, attaquer en permanence le porteur du ballon en étant en surnombre et, pour cela, il est important que les joueurs aient une organisation de base. Il y a ce mythe en Allemagne qui veut qu’on ne puisse pas jouer sans libero. C’est faux. D’ailleurs, nos deux défenseurs centraux remplissent ce rôle en fonction de la situation.(…)Notre objectif est de prendre du temps et de l’espace à notre adversaire. »

Wesh alors la zone

À ses yeux, un match de foot est ainsi une guerre spatio-temporelle où deux situations s’affrontent : d’un côté, une équipe attaque en cherchant à étirer autant que possible le terrain pour se créer des espaces de jeu entre les lignes, de l’autre, une équipe défend et cherche à le réduire au maximum grâce à la formation d’un bloc compact qui avance, recule et coulisse entre le ballon et son but. En 2021, cette vision du jeu semble une évidence. À la fin des années 1990, certains conservateurs préfèrent en rire et estiment que Rangnick prend « tous les entraîneurs de Bundesliga pour des idiots ». Le bonhomme dérange alors qu’il tente simplement d’installer un courant de pensée défendu par plusieurs théoriciens, dont Juanma Lillo. L’actuel adjoint de Pep Guardiola à Manchester City a toujours vanté les mérites de la zone qui sont, selon lui, « la solidarité, l’entraide, la coopération, la collaboration… En jouant en zone, nous partageons les espaces, les efforts et les responsabilités pour partager à la fin les bénéfices. En définitive, la quintessence de la zone, c’est le partage. »

Rangnick n’a jamais caché ni ses préférences, ni ses références, partagées avec son vieil ami Helmut Groß, un ancien ingénieur civil ayant travaillé dans la construction de ponts dans la région du Bade-Wurtemberg devenu ensuite son allié le plus fidèle. Dans cette liste, on trouve aussi bien Ernst Happel que Pál Csernai, Valeri Lobanovski, Arrigo Sacchi ou encore Zdeněk Zeman. Que des coachs qui se sont battus dans une zone technique pour convaincre leurs joueurs que couvrir en zone permet d’économiser de l’énergie et de quadriller le terrain de la façon la plus optimale du monde. « Toutefois, défendre en zone n’est que partiellement prometteur, précisa un jour Groß. J’ai donc été d’avis que cette puissance économisée soit immédiatement reconvertie en pression agressive afin de mettre l’adversaire sous une pression permanente. » Objectif affirmé : récupérer le ballon le plus haut et le plus vite possible, puis engendrer une « explosion de mouvements » intenses et coordonnés pour aller marquer tant que l’adversaire ne s’est pas restructuré. Groß : « À la perte de balle, c’est comme un essaim d’abeilles qui s’abat sur l’adversaire. Cela peut paraître parfois chaotique, mais c’est un chaos d’une nature contrôlée et hautement créative. »

Une référence de la chasse en crampons

Pour arriver à ce contrôle, il convient, ce que Rangnick a notamment su faire à Hoffenheim et Leipzig, d’entraîner le cerveau de ses joueurs pour que chaque ballon perdu engendre automatiquement une chasse pour le récupérer en moins de huit secondes et qu’un tir soit ensuite tenté en moins de dix secondes. Difficile de faire plus vivant et attrayant.

Présenté par ses pairs comme un « tueur », Rangnick voit cependant, à 63 ans, l’un des défis les plus difficiles de sa longue carrière se présenter à lui. Pourquoi ? Car à Hoffenheim et Leipzig, l’Allemand est à chaque fois parti d’une page presque blanche et qu’il a quasiment toujours travaillé avec des effectifs remplis de jeunes pousses, donc de corps frais. Exemple parfait : la dernière fois que celui qui a été l’architecte du projet Red Bull a été entraîneur numéro un, sur le banc de Leipzig, lors de la saison 2018-2019, son effectif présentait la plus basse moyenne d’âge de Bundesliga (24 ans, contre 27,6 à MU). Troisième du championnat au bout de l’exercice, son Leipzig, taillé dans un 4-4-2, à plat ou en losange, compact avec et sans ballon, avait alors bouclé l’année en référence de la chasse en crampons :

– meilleure défense de Bundesliga (29 buts encaissés), – équipe ayant effectué le plus de tacles par match (19,1),– équipe ayant intercepté le plus de ballons par match (9,44),
– deuxième équipe ayant effectué le plus de pressions dans le dernier tiers adverse par match (40,4),– équipe ayant réussi le plus de pressions par match (53,8 – 32,3% réussies en moyenne par rencontre),
– 74,7% passes réussies en moyenne par les adversaires de Leipzig au cours de la saison (3e équipe de Bundesliga ayant engendré un taux de possession adverse moyen aussi bas derrière le Bayern et le Bayer Leverkusen).

Avec le ballon, le Leipzig de Rangnick a souvent pris la forme d’un 4-2-2-2 avec un bloc compact de tous les instants. Cette grande proximité entre les éléments en phase offensive permet aussi de favoriser la récupération. Exemple sur cette séquence où le ballon va être perdu le long de la ligne…

… et où Diego Demme va rapidement venir fermer aux côtés de Kampl sur Gnabry.

Très compact en phase défensive, Leipzig attend toujours un signal pour déclencher son pressing. Très souvent, il s’agit soit d’une passe intérieure…

… comme ici vers Baumgartlinger, ce qu’on voyait aussi beaucoup avec le 4-3-3 déployé par Rangnick à Hoffenheim.

Mais plus généralement d’une passe vers un joueur de côté. Sur ce type de séquences, la ligne de touche est une amie : trouvé, Brandt est enfermé par Laimer, petit prince du pressing dont la course est également orientée pour couper l’accès à Baumgartlinger (#15).

Nouvelle preuve du bienfait de cette approche : alors que Leverkusen tente de sortir côté gauche, Klostermann sort au pressing, couvert par Laimer et aidé par Sabitzer, alors que Forsberg vient se glisser sous le nez de Baumgartlinger…

… le ballon va alors être récupéré : Klostermann peut trouver Forsberg, qui fait sortir Bender, alors que Werner a démarré un appel dans son dos…

… lancé, Werner allumera au-dessus.

Autre exemple : sur cette séquence, Sabitzer vient gratter un ballon un cran plus bas…

… grâce à la grande proximité entre les éléments de la structure défensive de Leipzig, une transition offensive peut vite s’enclencher : Laimer trouve ainsi Haïdara, qui peut placer Kampl face au jeu…

… le décalage peut alors être fait avec Halstenberg.

Lors des phases de construction, le Leipzig de Rangnick a principalement eu cette allure : un 4-2-2-2 avec un double pivot très travailleur, quatre offensifs à l’intérieur et des couloirs souvent libérés pour les latéraux.

Train à prendre et trois C

Une question : à quel point ce modèle de jeu énergivore, qui ne vit que pour les transitions, est-il réplicable avec un effectif dont les joueurs sont loin d’avoir un disque dur interne vierge et au sein duquel plusieurs mauvaises habitudes ont été prises ? Dixième de Premier League avant de défier Arsenal jeudi soir, Manchester United a tout sauf un groupe de dalleux. Interrogé il y a quelques jours par le Red Bulletin, Ralf Rangnick, théoricien du contre-pressing, a pourtant dit ceci : « Au cours des dernières années, le football est devenu un sport à grande vitesse. L’acuité et la précision des passes, ainsi que la rapidité de la prise de décision, vont continuer d’augmenter. Le temps et l’espace dont disposent les joueurs pour recevoir une passe diminuent constamment. Par le passé, certains experts disaient : « Il faut quelqu’un pour calmer le jeu. » Essayez de faire cela contre l’une des meilleures équipes aujourd’hui. Vous n’aurez aucune chance. » Manchester United n’est pas encore monté dans le train du football du siècle et affiche aujourd’hui des stats de pressing anti-rangnickiennes.

Interrogé à son échelle sur le sujet en ce début de semaine, Christophe Galtier a glissé une pièce dans la machine de son homologue allemand : « Vous attaquez bien quand vous défendez bien. Le football de haut niveau demande de bien défendre. Si vous défendez mal, vous récupérez le ballon très bas et très loin. Vos attaquants ou vos joueurs offensifs se retrouvent trop loin du but adverse et trop loin les uns des autres pour pouvoir combiner. » Loin de Nice et de la Ligue 1, les Mancuniens symbolisent ce que dit l’entraîneur de l’OGC Nice et apparaissent souvent déconnectés, mais surtout ouverts aux quatre vents. Avant la 14e journée de Premier League, Red Devils étaient d’ailleurs :

– 16es de Premier League sur les tacles tentés dans le dernier tiers adverse, – 17es sur les pressions réalisées dans le dernier tiers adverse, – 19es sur les pressions réussies (une pression est considérée comme réussie quand le ballon est récupéré dans les cinq secondes suivant la pression, NDLR), – 13es de Premier League selon l’indice de PPDA – un indicateur qui aide à mesurer l’activité et l’intensité d’une équipe dans le camp adverse en confrontant les passes de l’adversaire dans son camp et les actions défensives (tacles, interceptions, fautes…). Ainsi, plus l’indicateur est bas, plus une équipe est jugée performante dans le camp adverse. Celui de Manchester United est aujourd’hui à 13,29. En comparaison, lors de la saison 2018-2019 de Bundesliga, celui de Leipzig était de 9,77, – 14es aux tirs concédés.

À ce petit jeu, Cristiano Ronaldo est une cible facile, car si le Portugais est toujours aussi précieux offensivement, il est aussi sans aucun doute le joueur de Premier League qui marche le plus en phase défensive, ce qui peut fragiliser l’équilibre entier d’une structure qui a besoin d’avancer comme un tout pour être efficace. Longtemps sans lui à Chelsea dimanche, Manchester United, organisé dans un 4-4-2 losange (4-1-2-3 ou 5-2-3 en phase défensive avec un McTominay qui s’est parfois placé en troisième central pour contrôler les courses intérieures bleues, une idée qui dit quelque chose des connaissances tactiques de Carrick), a été un peu plus équilibré défensivement et a (enfin) semblé choisir son poison défensif malgré plusieurs approximations. On a alors vu Bruno Fernandes se transformer en bélier (26 pressions tentées, leader de son équipe) et Fred confirmer son rôle de moteur (le Brésilien est le joueur qui effectue le plus de pressions au sein de l’effectif de MU depuis le début de saison et a été omniprésent défensivement à Stamford Bridge avec 9 ballons récupérés et 4 interceptions, entre autres).

Structure défensive de Manchester United à Chelsea : un pentagone en 2+3 qui a avant tout cherché à contenir le 3+2 à la relance des Blues. Sur plusieurs séquences, on a vu une structure compacte.

Néanmoins, certaines attitudes vont être à rebosser, que ce soit dans l’orientation des courses, comme ici avec Sancho qui sort sur Thiago Silva…

… sans se préoccuper du positionnement de Rüdiger à sa droite. Bruno Fernandes n’a alors pas pu masquer sa colère.

Ici, Sancho est trop loin de Rüdiger…

Bruno Fernandes le pousse alors à grimper d’un cran et à enchaîner les efforts…

Ici, la structure défensive de base est bonne, mais Alex Telles est trop loin de Reece James.

Mise en image du rôle défensif de McTominay : Sancho jouant plus intérieur, l’Écossais s’est parfois mué en troisième central pour aider son équipe à mieux gérer les courses dans les demi-espaces…

Exemple sur cette séquence où la première ligne de pression de MU a été effacée et où Wan Bissaka est sorti à contretemps : Jorginho est alors trouvé, mais McTominay coupe la ligne de passe vers Hudson-Odoi.

En contact avec Michael Carrick depuis quelques jours, Rangnick, attendu sur plusieurs dossiers (la gestion de Sancho, celle de Luke Shaw qu’il avait critiqué il y a un an, celle de Cristiano Ronaldo, de Van de Beek…) et qui arrive avec son fidèle adjoint Lars Kornetka (qui a également été analyste vidéo de Pep Guardiola au Bayern et assistant de Roger Schmidt au PSV), a une première petite base, plutôt validée par le résultat (1-1), même si Chelsea a eu plusieurs grosses situations. Sa tâche s’annonce énorme, mais peu d’entraîneurs peuvent aujourd’hui relever un défi comme Manchester United. Lui a l’expérience, n’a pas peur de faire des choix, a su construire des équipes flamboyantes à tous les niveaux et gagnantes à partir de peu de choses, et tient une opportunité en or d’imposer sa vision de développeur de club à succès sur le long terme avec, au passage, une surface financière très importante. « Avant tout, chaque club a besoin d’une philosophie clairement définie, insistait encore récemment Rangnick, toujours au Red Bulletin. C’est ce que le monde de l’entreprise appelle l’identité d’entreprise. Sans identité d’entreprise, il n’y a pas de comportement d’entreprise. S’il n’y a pas d’identité footballistique claire, ou si elle change à chaque changement d’entraîneur, le club ne représente rien. C’est exactement la raison pour laquelle Schalke 04 a été relégué en deuxième division. Le succès repose sur les trois C : concept, compétence, capital.(…)Il suffit de regarder ce que Jürgen Klopp a réalisé à Dortmund et maintenant à Liverpool. Il a électrisé le club, les joueurs et toute la ville. » Manchester est prêt : place au feu Rangnick.

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Stats tirées de Fbref, avant la 14e journée.

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