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Tactique : que retenir de la préparation des Bleus ?

Par Maxime Brigand

Victorieuse du Luxembourg et accrochée par le Canada, l’équipe de France ne s’est pas rassurée avant de filer en Allemagne. Mais que faut-il retenir, tactiquement, de la préparation des Bleus ?

Tactique : que retenir de la préparation des Bleus ?

Il n’aura fallu que 24 heures de rassemblement et deux rendez-vous médiatiques pour qu’un vieil ami refasse surface. Oui, bien sûr, lui : le style, qui revient dans les débats à chaque grande réunion internationale et fait, chaque fois un petit peu plus, souffler Didier Deschamps. Cette fois, il ne s’est pas directement pointé devant le chef du train tricolore, mais a été invité par son moteur, Antoine Griezmann, absent du dernier meeting mouvementé de l’équipe de France, fin mars. Extrait : « J’ai envie de gagner cet Euro. 2016, ça m’a fait énormément de mal. Le dernier Euro, c’était une histoire de penaltys. Celui-ci, je l’aborde donc avec beaucoup d’envie, beaucoup d’ambitions, et pour moi, la clé restera, même si c’est très ennuyeux, la défense. Il faudra être une équipe solide, dure dans les duels. C’est ce qui nous permettra d’aller le plus loin possible. C’est chiant à regarder, très chiant, mais ça fait gagner, c’est comme ça. »

Rapidement averti des mots de son pilier, le sélectionneur des Bleus n’a alors pas eu d’autre choix que de remettre une pièce dans la machine. Il a d’abord fait les gros yeux, affirmant ne pas être intéressé par le sujet, puis a fini par lâcher : « Est-ce qu’il faut que l’équipe de France soit chiante à regarder pour aller loin ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Ces dernières années, cela a été chiant pour vous ? Allez voir ailleurs, vous allez bien voir ce qu’ils vont vous dire. Non, ce n’est pas être chiant. Plus on maîtrise, mieux c’est, mais il y a des adversaires, aussi, qui sont là et qui ont leurs forces. Ce n’est pas être chiant ou pas. C’est être efficace. Plus on a le ballon, mieux c’est, mais quand on ne l’a pas, au haut niveau, il faut être capable de défendre. On a été champions du monde en 2018 si je me souviens bien. Est-ce que l’on a été un beau ou un mauvais champion ? On a été champions. » Circulez, le débat éternel continuera.

Le 3-2-4-1 et l’imprévisibilité

L’important : avant cet Euro, qui sera le troisième de l’ère Deschamps, il est très difficile de savoir exactement l’allure qu’aura l’équipe de France en Allemagne. C’est peut-être aussi sa force, l’histoire récente ayant suffisamment prouvé que le sélectionneur réussit toujours à trouver la bonne formule qui tourne bien au bon moment et qu’il ne faut accorder qu’une importance partielle aux galipettes d’avant tournoi. Avant de se frotter au Luxembourg et au Canada, la machine ressemblait pourtant à un drôle d’amas de microcertitudes et de points d’interrogation. Ainsi, si une préparation n’offre jamais de photographie nette de l’expression collective future d’une équipe, elle devait au moins servir à dégager des pistes, à amener tous les joueurs à un état de forme physique plus ou moins commun, et à offrir un début d’idée sur ce qui sera servi sur la table, lors de l’entrée en lice des Bleus, à Düsseldorf, face à l’Autriche, le 17 juin prochain.

Alors, qu’en retenir ? D’abord, que dans la forme, on aura vu l’équipe de France se pointer avec un costume régulièrement vu ces derniers mois. Soit : un 3-2-4-1 avec ballon basculant en 4-4-2 sans ballon, où, lors des deux premières périodes, Theo Hernandez a évolué un cran plus haut que Jules Koundé, venant se réaxer en phase de construction pour laisser le couloir libre à Randal Kolo Muani ou à Ousmane Dembélé. Une animation qui pourra aussi convenir à Benjamin Pavard, qui aura excellé cette saison dans une défense à trois à l’Inter. Ensuite, que dans les chiffres et dans les faits, la bande tricolore a penché très nettement à gauche face au Luxembourg (45% des circuits offensifs sur les 45 premières minutes du match) et a davantage eu la tête à droite contre le Canada. La différence entre les deux rencontres s’explique sans aucun doute par la non-présence de Kylian Mbappé dans le onze du deuxième match, la connexion entre le futur attaquant du Real Madrid et Theo Hernandez étant automatiquement l’une des clés principales des circuits français, ce qui avait déjà été un marqueur au Qatar (41% des situations construites via le côté gauche sur l’ensemble de la Coupe du monde) et les deux bolides ayant, quand ils sont associés, assez rarement besoin d’une supériorité numérique pour se créer des occasions.

Le 3-2-4-1 ou 3-2-5 des Bleus lors de la première mi-temps face au Luxembourg, à la pointe duquel Marcus Thuram et Kylian Mbappé ont beaucoup permuté, le nouvel attaquant du Real Madrid aimant notamment régulièrement plonger dans le demi-espace gauche. Tout au long de cette période, on a vu Thuram et Mbappé se relayer pour fixer le latéral droit luxembourgeois et ainsi offrir du temps à Theo Hernandez.

Confirmation avec la map des positions moyennes bleues face au Luxembourg avant la sortie, à la mi-temps, de Theo Hernandez et Dayot Upamecano.

Quand il est bien animé, ce 3-2-4-1 possède un paquet d’atouts, dont un double pour Didier Deschamps : favoriser une circulation efficace du ballon en connectant les créateurs dans le cœur du jeu tout en offrant un filet de sécurité pour couper à la source les transitions adverses. Ce qu’en a dit le sélectionneur : « Je ne suis pas magicien et ce n’est pas avec le temps qui nous est imparti qu’on peut modifier quoi que ce soit. S’il y avait trois semaines de préparation, on aurait pu faire des choses que l’on peut modifier, mais là, on doit s’adapter, donc on va optimiser. » Mais encore ? « C’est plus compliqué pour l’adversaire de venir nous chercher et c’est aussi lié aux caractéristiques de Theo » et « l’essentiel, c’est que toutes les zones soient occupées. Dans l’animation offensive, les positions sont interchangeables, car c’est moins prévisible pour l’adversaire. » Les années passent, mais l’idée reste donc la même : aux yeux du chef, l’animation est et sera toujours au service de ses joueurs et non l’inverse.

Dans l’animation offensive, les positions sont interchangeables, car c’est moins prévisible pour l’adversaire.

Didier Deschamps

Néanmoins, si le premier match face au Luxembourg a laissé apparaître des mécanismes pour libérer de l’espace à Hernandez (pour un seul petit but tenté par le latéral du Milan) et quelques beaux mouvements intérieurs, Griezmann n’hésitant pas, par moments, à venir surcharger le côté gauche pour générer du chaos dans le bloc adverse, il a également filé quelques petits regrets, notamment lié au manque d’initiative balle au pied des centraux excentrés tricolores. Upamecano, remarqué au Qatar pour sa capacité à faire sauter les lignes adverses, a, par exemple, quasi exclusivement échangé latéralement avec Theo Hernandez (la principale connexion française sur le match) et n’a pratiquement jamais verticalisé le jeu, ce que Konaté a, au contraire, su faire sur quelques situations avec succès.

Exemple, sur cette séquence, des bonnes initiatives de Konaté balle au pied. Ici, le défenseur de Liverpool va attaquer l’espace disponible devant lui, percuter balle au pied, puis trouver Fofana derrière le deuxième rideau adverse.

La dure vie sans ballon

Après un deuxième acte traversé dans un 4-4-2 plus classique, les Bleus sont repartis de Metz avec une victoire plus inéluctable qu’époustouflante (3-0). Mais aussi avec : quelques bonnes nouvelles (la forme de Mbappé, le dépucelage réussi de Barcola), quelques points à surveiller (des repères offensifs brouillons – Deschamps l’a noté à haute voix entre les deux matchs, affirmant qu’il faudrait « rationaliser un peu le dézonage » –, des phases de pressing mal ficelées et Thuram évoluant un peu contre-nature) et la satisfaction d’avoir retrouvé au milieu de leurs tuyaux un certain N’Golo Kanté. Kanté déposé dans un double pivot et qui a été kantesque : efficace, propre, juste dans ses déviations, simple, rythmé. Le milieu est revenu aux affaires comme s’il n’avait jamais quitté son bureau, alors que celui qui devrait être son concurrent direct pour un potentiel siège dans le onze (Aurélien Tchouaméni) soigne une fracture de fatigue au métatarse et n’a pas pu disputer la moindre minute au cours de la semaine écoulée.

Un exemple de séquence de pressing bancale, où la première ligne de pression française n’est pas assez compacte, où le bloc est trop étendu et où Youssouf Fofana se retrouve dans un entre-deux, laissant alors Christopher Martins seul…

… si seul que le milieu du Spartak Moscou peut faire progresser le jeu…

… trouver Mathias Olesen libre derrière la deuxième ligne de pression…

et en dix secondes, le Luxembourg se retrouve aux abords de la surface française.

La deuxième rencontre face au Canada a, dans ce contexte, été abordée avec une idée simple : être dans la continuité pour voir si la troupe est « au point tactiquement » (Griezmann). Didier Deschamps aura ainsi réinstallé la majorité du onze vu face au Luxembourg, à quatre exceptions près : la présence d’Eduardo Camavinga à la place de Youssouf Fofana, d’Ousmane Dembélé pour occuper le couloir droit dans un rôle similaire à celui qu’il avait au Qatar, fin 2022, de William Saliba aux côtés d’Upamecano, et d’Olivier Giroud en pointe, Mbappé souffrant d’une contusion au genou. Résultat ? Si l’équipe de France a, au moins, un peu rassuré sur les phases sans ballon lors de la première période, offrant (enfin) un bloc compact et discipliné, bien porté par un très bon Saliba et un Koundé solide (avant la pause, bien moins ensuite), elle aura aussi un poil frustré par son incapacité à mettre le feu sur la durée et sa propension à tomber trop facilement dans les mailles canucks.

Le 4-4-2 sans ballon français, plus serré, plus compact…

… où Antoine Griezmann et Olivier Giroud ont été connectés, coupant majoritairement l’accès au double pivot canadien et laissant les joueurs excentrés forcer le jeu latéral.

Ainsi, face au manque de solution, il n’en reste qu’une : allonger. Sur ces phases, la défense française n’a pas tremblé et William Saliba a notamment été excellent.

Face à un 4-4-2 canadien intense, les Bleus ont pourtant d’abord tenté des choses. Dans une animation offensive très libre, Griezmann, pas à son meilleur techniquement (14 ballons perdus dimanche), est dans un premier temps venu régulièrement décrocher à droite dans le dos de Millar pour profiter d’un Alphonso Davies fixé par Dembélé, ce qui a débouché sur une frappe sur la barre de Thuram et plusieurs bons renversements vers un Theo Hernandez que l’on a parfois aperçu venir s’insérer au milieu. Souci : passé la demi-heure de jeu, tout s’est peu à peu éteint, le bloc tricolore s’est étiolé, le bon début de match s’est fissuré et le Canada a même pris le dessus sur plusieurs phases, Ismaël Koné attirant, au passage, le regard. Alors, que faire de tout ça ? Pas tirer de grandes conclusions, déjà, Didier Deschamps ayant dû jongler avec les absents (Rabiot, Tchouaméni), les pépins et la distribution des minutes. « Il y a des niveaux disparates entre les uns et les autres, et c’était important pour moi, même si ça nuit forcément un peu à l’expression collective, de répartir un maximum le temps de jeu », a-t-il confié dimanche soir. On peut quand même, un peu, se gratter la tête, tant sur 180 minutes, les Bleus ont manqué de fluidité, d’objectifs clairs et n’auront pas su dérouler de grands mécanismes collectifs. Ils ne sont, de fait, pas plus avancés qu’il y a une semaine, et dans sept jours, il ne sera pourtant plus question de répétition, mais de grand bal face à une Autriche vorace qui, elle, sait où elle veut aller et comment elle veut y aller. Avant de sauter dans l’Euro, voilà, pour le moment, la quête d’ennui annoncée par Antoine Griezmann sur les bons rails.

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