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Tactique : Paris, bientôt une vie sans pointe ?
Encore secoué par un pressing féroce ce week-end, à Reims, le PSG a notamment réussi à s'en sortir grâce au repositionnement de Lee Kang-in en faux 9, plus à l'aise sous pression que Ramos. Et si, à terme, le projet de Luis Enrique se jouait sans pointe traditionnelle ?
Il est arrivé avec le visage explosé, les yeux gonflés et la tête encore fumante. Puis, mis en joue par des caméras de Prime Video, Will Still, commandant de bord d’un Stade de Reims qui vit cette saison le meilleur départ de l’histoire du club depuis 1974, s’est lancé : « Je ne sais pas si je ne vais pas être incapable de parler pendant deux jours tellement ça me casse la tête. Ce soir, je suis incroyablement fier de mes joueurs et très, très content de ce qu’on a su montrer. Maintenant, quand il y a de la qualité en face, il n’y a parfois pas grand-chose que l’on puisse faire, donc félicitations au PSG. Ils sont venus prendre trois points, ont réussi à marquer un premier but incroyable, puis deux autres buts sur deux transitions où on n’a pas réussi à commettre la faute qu’il faut. Ça me rend fou, ça me dégoûte par moments, mais je ne sais pas quoi dire d’autre. » Ainsi va parfois le foot : samedi, à Auguste-Delaune, Reims a de nouveau réussi à faire du Reims, à envoyer le même pressing intense et à avancer avec la même agressivité positive sur ses proies que depuis le début de saison (avant cette douzième journée, le groupe de Still présentait le 5e PPDA de Ligue 1 – un indicateur qui aide à mesurer l’intensité du pressing d’une équipe en se basant sur le nombre de passes autorisées à un adversaire par action défensive – et était celui qui tentait le plus de tacles par match du championnat), mais les Rémois n’ont pas été récompensés. En sortant la tête de cette rencontre, largement raflée par le PSG (0-3), plusieurs chiffres ont quand même filé le tournis. Le Stade de Reims a davantage tenté sa chance (19 tirs à 14), davantage touché de ballons dans la surface adverse (43 à 28 – à la mi-temps, on était même à 23 contre 4) et davantage gratté de ballons dans le dernier tiers opposé que ses invités (15 à 9). « Pour gagner ici, il faut souffrir. C’est impossible que cela n’arrive pas », a alors glissé Luis Enrique avant de repartir à Paris, bien conscient que le bateau sur lequel il s’affaire chaque jour depuis l’été a, encore une fois, été secoué lorsqu’il a été confronté à de gros rouleaux, et ce, à de très nombreuses reprises, ce qui l’a forcé à intervenir à la pause.
La course à la respiration
Son choix : remplacer Gonçalo Ramos, assez peu trouvé en première période (17 fois) et à la peine dans un rôle de planche pourtant essentiel pour se dépêtrer du pressing adverse, notamment face à Okumu et Matusiwa, par Vitinha afin de recaser Lee Kang-in en faux 9. « Quand tu joues contre une équipe aussi agressive et intense, tu dois essayer de résister à la pression et garder le ballon, a justifié le technicien espagnol. Le risque en enlevant un joueur grand comme Ramos et en ajoutant Vitinha, avec qui Kang-in peut combiner, c’est que les phases arrêtées deviennent plus dangereuses, mais notre objectif était avant tout d’avoir plus le ballon. » Par plus le ballon, il faut ici entendre plus de contrôle, l’alpha et l’oméga du football de Luis Enrique, ce qu’il a de nouveau répété la semaine dernière après le revers de son équipe à Milan (2-1). Capable de vivre sous les secousses grâce à sa finesse technique et à une résistance au duel aiguisée, Lee Kang-in a alors permis au PSG de respirer un petit peu, ce que le deuxième but, démarré par une phase de pressing locale poussée jusqu’aux pieds de Donnarumma, est venu symboliser. Touché au sol par Skriniar et serré de près par Agbadou, le Sud-Coréen s’est ainsi servi de la chasse haute du central rémois pour trouver Fabian Ruiz face au jeu, puis Paris a déroulé jusqu’au but de Yehvann Diouf, l’approche sans ballon très individualisé des Rémois ayant une conséquence claire et nette : un duel perdu, d’autant plus dans le cœur du jeu, et c’était potentiellement toute une moitié de gazon qui s’ouvrait en grand pour le PSG.
Séquence type de l’organisation sans ballon rémoise face au 4-3-3 du PSG : tout au long de la rencontre, une première ligne de pression Daramy-Muntesi-Ito, régulièrement soutenue par Richardson (ici au contact de Skriniar) est sortie presser la première ligne de construction du PSG, suivie par Matusiwa, mais surtout par Foket au contact du relayeur gauche parisien (ici Vitinha) et Abdelhamid au marquage du relayeur droit parisien (Zaïre-Emery). Pendant ce temps-là, Okumu gérait les décrochages de la pointe parisienne (ici Lee), Agbadou contrôlait Mbappé et Smet s’occupait de Dembélé à l’opposé.
C’est cette configuration que l’on a retrouvée au point de départ du 0-2. Alerté par Skriniar, Lee va alors prendre l’information avant le duel, puis placer Ruiz, libéré au départ de l’action par une sortie de Matusiwa sur Donnarumma, face au jeu. Le décalage est alors créé : le PSG peut attaquer en nombre la partie de terrain rémoise et, en trois passes, va faire le break.
Au-delà du deuxième but parisien, le repositionnement de Lee Kang-in a aidé son équipe à (enfin) jouer un peu plus durablement dans le tiers de terrain rémois. Si 16% du premier acte s’est disputé dans cette zone du terrain, ce chiffre est monté à 27% au cours de la première demi-heure de la seconde période (entre la 45e et la 77e, minute de la sortie de Kang-in), un moment de la rencontre où le PSG a d’ailleurs réussi 94% de ses passes (100% pour Lee Kang-in). Enrique a forcément apprécié, lui qui a déjà plusieurs fois aligné un faux 9 dans sa carrière, notamment au cours d’une passionnante demi-finale d’Euro face à l’Italie avec Dani Olmo ou lors du début de saison avec Asensio (face à Lens et à Lyon). Si la saison d’un club est très longue et qu’elle offre à un entraîneur du PSG plus d’une cinquante de contextes tactiques différents à affronter, une question pourrait se poser de plus en plus dans ceux où la pression est la plus féroce : et si jouer sans attaquant était finalement ce qui correspondait le plus aux désirs de Luis Enrique ?
Carte des ballons touchés par Lee Kang-in en deuxième période, samedi.
Un projet pensé pour un 9 traditionnel ?
Après plus de trois mois de compétition, il est en tout cas possible d’affirmer que son groupe peine toujours autant à se marrer lorsqu’il est pressé, et jusqu’ici, ni Ramos ni Kolo Muani, deux joueurs qui ont été habitués à vivre dans des cadres tactiques bien différents et doivent naturellement s’adapter, n’ont été convaincants durablement dans un jeu de remise si vital pour profiter au maximum des deux bras du projet de jeu parisien que sont Dembélé et Mbappé (72% des attaques parisiennes passent par les côtés). Ce projet demande à sa proue un pion capable de venir s’associer et combiner entre les lignes, ce qu’Asensio et Lee sont, les deux joueurs ayant même été performants et précieux à chaque fois qu’ils ont été alignés dans ce rôle. Après une victoire imparfaite à Lyon, où Asensio avait été buteur, passeur décisif, lanceur de flèches et aussi générateur de nombreux appels en profondeur, Luis Enrique disait : « Marco est un 9 différent, un 9 avec plus de mobilité pour jouer entre les lignes et créer des problèmes aux défenseurs centraux qu’il va pouvoir fixer pour libérer de l’espace pour que nos joueurs de couloir en profitent. Il n’est pas qu’un simple 9. »
Position moyenne des Parisiens lors du match à Lyon, avec Asensio venant être ainsi une pointe de losange pour favoriser le jeu de contrôle des siens.
Carte des ballons touchés (40) par l’Espagnol ce soir-là.
Il avait notamment touché celui-ci après une mauvaise relance lyonnaise et un ballon récupéré par Zaïre-Emery, relayé par Vitinha…
… qu’il avait transformé en passe décisive pour Mbappé.
Blessé au pied pendant plusieurs semaines, l’attaquant espagnol va, après la trêve, être de retour dans les plans de Luis Enrique, et cette période sera très intéressante à suivre dans le développement tactique d’un PSG qui cherche encore sa nature et se demande comment intégrer au mieux deux attaquants achetés à prix d’or. Ce match à Reims restera dans tous les cas une étape forte tant les Parisiens ont été secoués malgré la victoire, tant Luis Enrique n’a pas masqué ses louanges pour Lee Kang-in (« Il va être l’un des joueurs les plus importants cette saison ») et tant l’Espagnol n’a, au passage, pas hésité à bousculer un Mbappé dont il attend beaucoup plus pour « aider l’équipe », même quand il inscrit un triplé. Le fait est que l’approche dessinée par le coach du PSG, dont les joueurs axiaux n’ont pour le moment qu’une influence relative avec ballon, encore plus sous pression, ne semble pas tout à fait idéale pour un 9 traditionnel et ne l’a d’ailleurs jamais vraiment été. La réception de Monaco, une autre machine à presser, le 24 novembre, pourrait servir de nouveau test majeur, d’autant plus avant de défier de nouveau Newcastle en C1. Que Will Still, dont il faudra continuer à suivre le Reims de très près, se rassure : il n’est pas seul, ce matin, avec des nœuds dans la tête.
Par Maxime Brigand