- C1
- Demies
- Leipzig-PSG
Tactique : Leipzig peut-il vraiment embêter le PSG ?
Brillant dans l’utilisation du ballon face à l’Atlético, le troisième de la dernière Bundesliga, guidé par un Julian Nagelsmann roi des lectures de rencontre, représente un excellent nouveau test pour le PSG de Thomas Tuchel qui n’a pas montré grand-chose face à l’Atalanta si ce n’est une grosse force mentale. Certitude : Nagelsmann prépare quelque chose.
Drôle de fin de saison, drôle de C1, drôle de cadre et drôle de phénomène. En arrivant à Leipzig à l’été 2019, le rêve de Julian Nagelsmann était simple : le trentenaire en baskets blanches et au visage placardable sur un paquet de Kinder « brûlait de devenir un entraîneur qui réussit aussi à l’international » après s’être taillé une fine réputation chez lui, en Allemagne. Mission réussie. À 33 piges, Nagelsmann est devenu treize mois plus tard le plus jeune entraîneur de l’histoire à se présenter à un dernier carré de Ligue des champions, quadrilatère royal où le bonhomme va retrouver l’homme qui l’a « sauvé » : Thomas Tuchel. L’opération de secourisme date de la fin de saison 2007-2008, de l’époque où Tuchel était entraîneur à Augsbourg et Nagelsmann un défenseur central de vingt ans en fin de course, séché par une opération du ménisque qui a flingué son cartilage. « Au départ, je ne voulais plus rien avoir à faire avec le football », soufflera quelques années plus tard celui qui est devenu ensuite le visage d’une génération d’entraîneur moderne, imprévisible, audacieux et flexible. Tuchel, qui a également rangé ses crampons à cause d’une blessure chronique au genou, lui a finalement tendu la main en lui confiant l’analyse des adversaires puis en le pistonnant au Munich 1860 pour le poste d’entraîneur adjoint des U17. La suite n’est plus à présenter : Julian Nagelsmann a embrassé la précocité, aimanté les louanges, et ce, grâce à une qualité d’adaptation tactique assez unique. Objectif : « Provoquer les joueurs pour les stimuler afin d’en tirer le meilleur » et surprendre l’adversaire. À ses yeux, un joueur doit être capable de performer dans n’importe quel système, du moins dans celui qu’il établira le week-end pour appuyer le plus fort possible sur les failles de ses victimes. Des plans que Nagelsmann dessine le plus souvent dans son bain, « avec une règle, un crayon et un bloc-notes ». « Plus tard, je regarde si cette idée est réalisable, je recherche des clips vidéo et ensuite, si je pense que c’est une bonne idée, je l’essaie », soufflait-il à 11Freunde en 2013. Toute la force du guide de Leipzig est là : avec lui, on ne sait jamais.
De l’audace de Nagelsmann
Ainsi, cette saison, Julian Nagelsmann a déjà déplié une dizaine d’animations différentes. Il est par exemple allé gagner à Tottenham en février (0-1) avec un 3-4-3 brillant en phase de possession, notamment en première période, avec lequel le RB Leipzig a pu multiplier les décalages et occuper toutes les zones. Jeudi, contre l’Atlético, c’était encore autre chose, peut-être quelque chose d’encore plus inédit dans l’animation, mais qui est avant tout une affaire de calcul. Un calcul simple : l’Atlético évoluant sans surprise en 4-4-2, Nagelsmann a cherché à établir des supériorités numériques naturelles avec le ballon en posant sur la table un 3-1-5-1 qui se transformait en 4-2-3-1 sans le ballon.
Grâce à cette approche, Leipzig a pu tenir facilement le ballon (57% du temps) et le sortir proprement grâce à des centraux responsabilisés, qui n’ont raté que cinq passes dans leur premier tiers et qui ont systématiquement pris part aux circuits offensifs de l’équipe. Simplement : l’Atlético avançant avec une première ligne à deux têtes (Costa-Llorente), Leipzig s’est à chaque fois retrouvé avec un central disponible pour faire progresser le ballon, que ce soit par la passe ou le dribble. À ces trois joueurs (Klostermann, Upamecano et Halstenberg), Nagelsmann a ajouté Kampl en sentinelle pour former un losange et – surtout – faire sortir un milieu de l’Atlético (Saúl ou Herrera) afin de créer des espaces dans le dos de la deuxième ligne madrilène. Ensuite, Leipzig a pu progresser et se projeter en nombre avec cinq joueurs placés entre les quatre milieux et les quatre défenseurs de l’Atlético, qui ont permis d’occuper tous les intervalles sur toute la largeur du terrain.
L’objectif de Nagelsmann était ici de contourner le mur posé par Simeone : en demandant à Laimer, double pivot avec Kampl en phase défensive, de venir se placer en piston droit en phase offensive et à Angelino d’évoluer très haut, le coach de Leipzig a pu faire sortir les deux latéraux adverses et créer des espaces dans le dos, Savić et Giménez ne pouvant trop s’écarter de l’axe où Poulsen rodait.
Sur cette séquence, Klostermann sort le ballon et va chercher Laimer. Lodi est obligé de sortir dessus, alors que Sabitzer, cerveau du RB Leipzig, vient former un triangle et peut piquer dans le demi-espace. Ce mouvement débouchera sur un centre.
Sur celle-ci, alors que le jeu est à gauche, Lodi contrôle Sabitzer, mais ne fait en aucun cas attention à Laimer dans son dos, pourtant dans une position idéale.
Ce qui devait arriver est arrivé : sur l’ouverture du score, Lodi est dans une situation compliquée et va se faire logiquement dépasser par le 2 contre 1. Kampl décale Laimer, qui va ensuite lancer sur le côté Sabitzer : son centre trouve Dani Olmo et l’Atlético est mené 1-0.
Si les animations évoluent, cependant, certains principes ne bougent pas : Nagelsmann mise sur la prise de décision de ses joueurs et leur demande toujours d’occuper des zones précises pour fluidifier le jeu de position établi. Le terrain étant découpé en cinq bandes, chaque bande doit être occupée par un joueur afin d’étirer le bloc adverse et de multiplier les solutions de passes pour le joueur en possession du ballon. C’est aussi ce que demandait Thomas Tuchel à Dortmund ou ce que cherche Pep Guardiola. C’est d’ailleurs ce que le Catalan n’a pas réussi à mettre en place face à l’OL. La conséquence est simple : les joueurs ne demandent pas le ballon, mais l’attendent dans un espace défini. La suite n’est que de l’interprétation et de la récitation de circuits.
Grossièrement, voilà les cinq couloirs utilisés dans le jeu de position. On voit bien qu’en permanence, Leipzig installe un joueur par couloir. En phase de possession, Angelino prend le couloir gauche, Nkunku est dans le demi-espace gauche, Olmo est dans l’axe, Sabitzer s’installe dans le demi-espace droit et Laimer court dans le couloir droit.
Dernière caractéristique : Leipzig aime imposer ses idées et donc étouffer l’adversaire sur sa surface. Parfois, on voit que les 10 joueurs de champ du RBL sont dans le dernier tiers adverse. Upamecano, ainsi que les deux centraux, deviennent des meneurs du jeu.
Ce qu’il faut quand même noter, c’est que si Leipzig a été assez brillant dans l’utilisation du ballon jeudi soir, les Allemands n’ont pas été toujours tranchants dans les derniers gestes avec seulement 4 tentatives (sur 10) à l’intérieur de la surface et 5 centres réussis (sur 18 tentés).
« Ça va être passionnant »
Une question, maintenant : comment Nagelsmann va-t-il préparer ses retrouvailles avec Thomas Tuchel et quel plan va-t-il préparer dans son bain ? Dans les faits, cela semble peu probable de revoir le 3-1-5-1 avec ballon, qui était spécifique au 4-4-2 très compact de l’Atlético. Cette fois encore, l’homme aux 31 principes de jeu va malgré tout réfléchir en fonction du PSG. L’un de ses principes fondateurs est de « forcer l’adversaire à faire une mauvaise passe plutôt qu’essayer de récupérer le ballon dans des situations de un-contre-un où la réussite est trop aléatoire ». La réussite de son plan dépendra aussi de la capacité de ses hommes à tenir le ballon là où l’Atalanta l’a souvent trop vite rendu au PSG. Certitude pour Paris : Leipzig va davantage ouvrir le jeu que ne l’aurait fait l’Atlético, mais va aussi s’adapter plus facilement que l’Atalanta, où Gasperini fait exécuter chaque semaine une animation précise et prévisible. Cette fois, les joueurs parisiens ne seront pas pris en individuel, et Tuchel pourrait procéder à un changement d’animation, Icardi ne semblant pas adapté à un tel rendez-vous et Mbappé, s’il est rétabli, pouvant profiter d’espaces dans la profondeur en cas de renouvellement du 4-3-3.
Ce Leipzig-PSG va surtout être un bon test défensif pour Tuchel, qui va devoir avant tout bien cadenasser l’accès à sa surface et être capable de rivaliser à l’intérieur du jeu, car les sorties de balle de Leipzig seront beaucoup plus rapides et plus imprévisibles. Face au pressing de l’Atalanta, le PSG s’en est sorti mercredi dernier en sautant le milieu et en jouant rapidement vers un Neymar faux neuf : une fois Caldara, son garde du corps du soir, éliminé, Paris se retrouvait alors en situation d’exploiter les espaces laissés dans le dos et au cœur du bloc bergamasque, ce que les Parisiens n’ont d’abord que trop peu fait malgré les 16 dribbles réussis par Neymar, mais ce qu’ils pourraient faire davantage avec Di María et Mbappé dans les demi-espaces. Après la rencontre face à l’Atalanta, Marquinhos a d’ailleurs confirmé que le rôle des milieux parisiens était de « libérer le terrain » pour Neymar. Face à Leipzig, le Brésilien pourrait être plus utile dans un demi-espace, en rentrant de la gauche vers l’intérieur : ce sera l’une des questions tactiques pour Tuchel. « Quand vous vous retrouvez en situation de défendre sur des joueurs comme ça, il faut anticiper, a déjà avancé Nagelsmann. Paris a une qualité incroyable offensivement, avec également un bon mélange d’expérience défensivement et certains joueurs qui ont un gros mental. On l’a vu contre l’Atalanta. Cela va être passionnant de voir comment on va réussir à contenir cette vitesse, à travailler l’adversaire de manière à avoir nous aussi des occasions. » Chacun aura ses balles, que ce soit dans le jeu ou sur coups de pied arrêtés, secteur où les deux équipes ont souffert lors de leur quart de finale respectif. Leipzig devrait aussi être davantage capable de varier le rythme que l’Atalanta, alors que la variable physique ne peut être mise de côté. Ce qu’on sait, c’est que cette demi-finale de C1 est excitante, inattendue, exaltante. Le préambule de cette nuit raconte que Thomas Tuchel, qui possède un effectif qualitativement supérieur à son ancien élève, a donné envie à Julian Nagelsmann de devenir entraîneur. Mais la nuit elle-même, que dira-t-elle ? Mystère.
Par Maxime Brigand