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Tactique : le bilan de Noël de la Ligue 1

Par Maxime Brigand
14 minutes
Tactique : le bilan de Noël de la Ligue 1

16 journées, 158 matchs joués, 434 buts marqués : l'heure est aux premiers enseignements tactiques de la saison 2020-2021 de Ligue 1. Avec quelques équipes audacieuses, des déceptions, des surprises, des révélations. On fait le bilan, calmement.

La question : le PSG peut-il vraiment se faire souffler le titre ?

Le début de saison l’avait fait sentir, et tout le monde l’attendait au tournant : battu deux fois lors des trois premières journées (à Lens et contre l’OM), puis deux autres fois ensuite (à Monaco et face à Lyon), incapable de dégager une réelle identité collective, bousculé défensivement lors de plusieurs rencontres (16 tirs concédés face à Dijon, 18 contre Bordeaux et une surperformance défensive globale avec 18.33xGA – nombre de buts que le PSG « aurait dû » encaisser – contre 10 buts réellement encaissés), le PSG a ramassé des coups lors de ses seize premières sorties de la saison. Pire : les Parisiens ont livré une première partie de saison record avec une première défaite au Parc face à l’OM dans l’ère QSI, une première défaite au Parc face à l’OL dans l’ère QSI, une première défaite au Parc en phase de poules de Ligue des champions dans l’ère QSI, trois rencontres à un tir cadré ou moins en Ligue 1, ce qui est aussi une première dans l’ère QSI, et même le premier 0-0 concédé depuis un Caen-PSG de mai 2018, qui était alors une affiche de dernière journée de championnat.

Autre chose ? Oui : le PSG n’a battu qu’un seul de ses colocataires du top 5 – le Stade rennais (3-0), début novembre – et a été séché par deux d’entre eux. Mais voilà, après seize journées de championnat, la bande à Tuchel est aujourd’hui troisième de Ligue 1 et est tout sauf décrochée pour le titre. Cela dit beaucoup du niveau de la Ligue 1, mais aussi de la régularité de l’adversité présentée aux Parisiens (le LOSC et l’OL n’ont été battus qu’une fois, mais ont concédé 6 nuls, dont 50% à domicile), tout ça alors que le champion de France en titre n’a eu aucune préparation et doit bastonner tous les trois jours avec une infirmerie qui dégueule. Titillé, bousculé, un brin contesté, le PSG, meilleure attaque (35 buts marqués) et co-meilleure défense (10 buts encaissés) du championnat, ne sait pas toujours où il va. Il s’est souvent sorti de la galère par des individualités qui se régalent la majorité du temps la chique en Ligue 1 (sauf lorsqu’elles regardent l’OL dans les yeux) et pourrait s’en contenter, sachant que l’OL et le LOSC, ses deux challengers les plus séduisants, pourraient perdre certains éléments majeurs cet hiver (Depay d’un côté, Renato Sanches de l’autre) et que l’OM, l’équipe qui tire le moins de Ligue 1 (9,6 fois/match) et qui affiche un total de xPTS révélateur (20xPTS, contre 28 points réels), pourrait tomber du fil sur lequel elle tient d’ici au printemps. Pour les bons points parisiens, à l’exception d’une démonstration à Reims (0-2) et d’une copie collective aboutie à Lille (0-0), on repassera.


L’équipe frisson : Lens, la prime à l’action

Franck Haise a commencé son aventure en Ligue 1 par une prise de guerre (une victoire face au PSG) et une démonstration d’intention : pression permanente sur l’adversaire, défense en avançant, pressing à la perte de balle, déploiement de cinq chasseurs (les deux récupérateurs, le dix, les deux attaquants), aidés par deux molosses sur les ailes, lorsque l’adversaire décide de relancer court… Et cela a porté ses fruits. Cela lui a déjà permis de gratter un but face aux Parisiens, Ignatius Ganago profitant alors d’une boulette de Bulka, puis un autre contre Bordeaux, où l’on a retrouvé Ganago à l’affût d’une remise foireuse de Rémi Oudin. Sur la pelouse de Nîmes, fin septembre, c’est aussi après un contre-pressing sur Fomba que Kakuta a gratté un ballon avant de servir de nouveau Ganago pour l’ouverture du score. Lors de ce début de saison, Lens, promu, a osé provoquer les erreurs, ce qui veut aussi dire oser ouvrir des espaces dans le dos des chasseurs, et de s’inspirer de ce que fait l’Atalanta depuis plusieurs saisons, que Papu Gómez justifiait ainsi un jour dans un entretien donné à El Pais : « On sait qu’on prend des risques, que l’on risque les contre-attaques adverses, mais finalement, cela nous apporte plus de bénéfices que de pertes. On pourrait défendre à dix derrière, mais ce n’est pas notre idée, car si on ne peut pas contre-attaquer, face à une équipe du haut de tableau, on tombe. Au contraire, on a décidé de mordre, d’empêcher l’adversaire de se retourner, de le forcer à reculer… »

En reprenant cette idée, Haise a aussi récolté plus de bénéfices que de pertes puisque après 16 journées, le RC Lens est huitième de Ligue 1 avec un match en retard à jouer contre l’OM et pourrait être bien plus haut sans sous-performance défensive (23 buts encaissés, 15,88xGA), notamment liée à un Leca loin d’être toujours impeccable. Preuve en est : Lens est l’une des équipes qui concèdent le moins de tirs du championnat (9,5/match). Offensivement, si Lens n’hésite pas à jouer très long, on a vu de belles choses avec un Kakuta retrouvé – sept buts, trois passes décisives – et qui n’hésite pas à décrocher derrière les deux milieux axiaux. On a aussi vu beaucoup de variations dans les combinaisons intérieures, un Seko Fofana qui monte doucement en régime, un Jonathan Clauss omniprésent et un Loïc Badé impérial (les deux derniers cités sont arrivés libres)… Résultat, Lens a fait de beaux coups (PSG, Monaco, Rennes), a été percé par moments (comme à Metz ou face à Angers), complètement dépassé dans d’autres (à Lille), mais est le petit rayon de soleil de cette première partie de saison avec le Stade brestois, l’OL et le projet abouti du LOSC de Galtier. Le jeu finit toujours, sur la longueur, par sortir vainqueur.


La déception : Lorient, sans grande direction

Installé dans son bureau, début août, Christophe Pélissier dépliait ses envies pour le retour de Lorient en Ligue 1 lors d’un entretien donné à So Foot : « Je n’ai jamais demandé à mon équipe de fermer, de bétonner. Je n’ai jamais dit non plus à un mec de mettre de grands tubes devant à la récupération du ballon. Qu’importe l’adversaire, qu’importe le fait que tu sois à domicile ou à l’extérieur, quand on voit mon équipe jouer, j’ai envie qu’on dise qu’elle est ambitieuse dans le jeu. Je veux qu’elle pétille… » Quatre mois plus tard, malgré quelques réflexes visibles (volonté de combiner à l’intérieur pour ensuite attaquer la profondeur sur les côtés) et deux copies abouties (face à Strasbourg et Nîmes), Pélissier est toujours à la recherche de la bonne formule pour des Merlus qui peinent à ne pas exploser à la perte du ballon. Résultat, alors qu’on l’attendait dans le ventre mou, Lorient est dix-neuvième de Ligue 1 et a passé huit rencontres sur neuf depuis la fin octobre sans inscrire le moindre but. Cette situation a poussé Pélissier à bousculer son schéma de base, à retravailler son approche, à fouiller pour enfin exister dans les trente derniers mètres adverses, où seul Yoane Wissa réussit plus ou moins à exister. Pour l’instant, le coach breton a le soutien de sa direction, mais il y a urgence.


Le but : Romain Perraud (Brest) face à Lorient

Le Stade brestois est un formidable pote pour un dimanche après-midi. Toujours joueur, toujours de bonne humeur, offensif, vivant… Et Olivier Dall’Oglio, qui a toujours vu le foot à travers le prisme du spectacle et a toujours souhaité faire développer le cerveau de ses joueurs, y est pour beaucoup. Oui, Brest joue avant tout le maintien. Oui, Brest a la deuxième plus mauvaise défense de Ligue 1. Oui, Brest gagne autant qu’il perd. Mais Brest le fait parce que son jeu est généreux, audacieux, qu’il construit avec patience d’un côté et veut finir de l’autre, qu’il sait injecter une grosse dose d’imprévisibilité dans ses circuits et qu’il sait où il va. Il n’y a aujourd’hui plus beaucoup de secret : le gang de Dall’Oglio repart court, étire sa victime en long et en large histoire de créer des espaces dans le cœur du jeu, voit systématiquement un milieu glisser entre des centraux proactifs pendant que les latéraux sont déjà un ou deux crans plus haut, puis pique sur les ailes (77% du temps) avant de finir plein axe où Mounié est le roi des airs et où le Béninois est toujours accompagné d’un profil mobile (principalement Cardona). Pour résumer l’affaire, il faut se repasser la victoire face au LOSC (3-2) et revoir le but inscrit par Romain Perraud, auteur de trois buts et cinq passes décisives depuis le début de saison, face à Lorient.

1. Au début de la séquence, on voit Belkbebla glisser entre ses deux centraux. Brest est alors en 3v2 face à la première ligne de pression lorientaise et Larsonneur peut décaler Herelle.

2. Puisqu’il a du champ, Hérelle grimpe jusqu’à la médiane et écarte sur Faussurier, collé à la ligne de touche et donc sur les bords du 4-4-2 lorientais. Le bloc adverse est étiré et les milieux excentrés se sont recentrés dans le cœur du jeu : où les choses se décident. Perraud, lui, démarre sa course.

3. Bloqué, Faussurer recule avec Diallo, laissé libre.

4. Brest redescend d’un cran. Le SB29 a gagné des mètres avec sa sortie de balle et peut maintenant s’organiser. On retrouve la ligne de trois Hérelle-Belkebla-Duverne. Il faut ici écarter vers l’un des centraux excentrés.

5. Ce que fait Belkebla, alors qu’Enzo Le Fée sort sur Duverne.

6. Juste techniquement, Duverne crochète Le Fée et rentre à l’intérieur du jeu, où il peut combiner avec Faivre et Diallo.

7. Rapidement, Charbonnier décroche et peut être trouvé derrière la deuxième ligne de pression adverse. N’importe quelle équipe rapide et juste techniquement peut contrer n’importe quel pressing.

8. Perraud continue sa course, Charbonnier, lui, lance Mounier, ce qui force le latéral lorientais à rentrer et donc à abandonner Faussurier.

9. Mounié décale Faussurier. La défense lorientaise est regroupée, mais où est Perraud ?

10. À l’opposé : 33 secondes, 17 passes, but.


Les joueurs à retenir :

⧫ Angelo Fulgini (Angers)

On en a désormais pris l’habitude : Angers réussit toujours à trouver un joueur pour attirer l’œil. Celui-ci n’est pas nouveau, puisqu’il vit sa quatrième saison au SCO, mais semble avoir enfin franchi le cap attendu. Il est aussi au cœur d’une révolution tactique, puisque après cinq ans de 4-1-4-1, Stéphane Moulin a installé un 4-2-3-1 depuis une brillante victoire à Rennes (1-2) en octobre. À l’origine pensé sur un match, pour « attaquer le dos de la défense rennaise, côté gauche », le coup a été prolongé et a plutôt réussi aux Angevins, battus trois fois à domicile (par Nice, Lyon et Strasbourg), mais aussi vainqueurs à Lens (1-3) et à Nîmes (1-5) avec la manière. Il réussit surtout à Angelo Fulgini, repositionné en 10 plutôt qu’en 8, désormais libre de ses mouvements, qui a noué une belle relation technique avec Sofiane Boufal et qui a avoué il y a quelques semaines comprendre qu’il s’agissait du moment où jamais. Fulgini voulait se montrer, et c’est le cas : avec deux buts, une passe décisive, mais surtout un apport identique à Téji Savanier dans les passe clés (33 dégainées depuis le début de saison, 3e meilleur total de Ligue 1), une implication totale dans les cartouches de son équipe, un paquet de dribbles réussis (seul Ben Arfa et Neymar font mieux) et un statut de joueur le plus victime de fautes dans l’élite (55 depuis le début de saison, soit 24 de plus que Neymar). Fulgini de la lampe.

⧫ Romain Faivre (Brest)C’est la grosse bombe de ces seize premières journées. Romain Faivre est le joueur le plus impliqué offensivement du championnat et est le joueur à suivre puisque encore à polir. Questionné dans L’Équipe sur le profil de celui qu’il a récupéré à Monaco pour moins de 400 000 euros cet été, Dall’Oglio disait alors en novembre : « Il a une vitesse de course avec ballon assez impressionnante. Il a beaucoup de dextérité, il est aussi à l’aise dans les petits espaces que sur de longues courses, pour se dégager du marquage ou pour aller percuter… » À l’époque, l’entraîneur brestois estimait que le joueur devait encore bosser sur l’aspect défensif du jeu et des progrès ont été vus ces dernières semaines. Excellent dribbleur, mais surtout précieux pour combiner entre les lignes, Faivre a été titulaire à toutes les journées sauf lors du déplacement à Lyon (2-2), où il est quand même entré transformer un penalty décisif, et a été convoqué chez les Espoirs. L’énième pépite du Racing Club de France démarre sa carrière à l’allure d’un hors-bord.

⧫ Tino Kadewere (Lyon)

Il faut toujours se méfier de ce que Tino Kadewere annonce. Il y a d’abord eu ces mots prononcés le jour de sa présentation à l’OL : « Dans le football, il y a des remplaçants et des titulaires. Je respecte ceux qui sont déjà là, mais je suis là pour jouer. » Puis, il y a eu ce rêve, fait quelques jours avant un derby face à l’AS Saint-Étienne et révélé à Téléfoot le matin de la rencontre : « C’est fou, mais j’ai fait un rêve il y a deux jours. Je marquais deux buts dans ce derby. Je ne sais pas, mais j’espère qu’il va se réaliser. » Des paroles et des actes : voilà comment condenser les premiers mois de l’attaquant zimbabwéen à Lyon, qui a bien sûr claqué ce doublé dans le derby, mais aussi quatre autres buts depuis le début de saison, souvent décisifs (Nice, Angers, Strasbourg, Paris). Arrivé dans la peau d’un tueur de surface, Kadewere a confirmé qu’il était bien plus que ça dans le 4-3-3 progressivement installé par Rudi Garcia. Son match à Nice l’a confirmé : l’ancienne gâchette du HAC provoque, se replie, presse, offre, croque. Il est surtout aujourd’hui le pansement de l’OL qui est venu recouvrir le trou creusé par un Moussa Dembélé en manque de confiance et un complice parfait à Depay et Toko-Ekambi dans un rôle que n’avait sûrement pas imaginé Garcia. C’est aussi la marque des grands : sortir son nez à l’endroit où on ne l’attend pas et ne plus jamais disparaître.

⧫ Loïc Badé (Lens)

On aurait pu appuyer de nouveau la candidature de Jonathan Clauss au poste de latéral droit en équipe de France, mais un autre homme a décidé de tout casser. Un homme qui a décidé de tout faire plus vite que les autres. Il y a un an, Loïc Badé n’avait pas disputé le moindre match chez les pros. Aujourd’hui, celui qui a été transféré du Havre à Lens durant l’été est certainement l’un des défenseurs centraux les plus scrutés du championnat. Pilier de la défense à trois de Franck Haise, Badé est devenu patron à vingt ans et pas n’importe comment : il casse des lignes balle au pied, prend des risques, et avance avec une personnalité assez délirante pour son âge. Et il a des stats : Loïc Badé est aujourd’hui le joueur qui intercepte le plus de ballons en Ligue 1, le central qui réussit le plus de dribbles, mais aussi l’un des éléments qui disputent le plus de duels aériens du championnat pour une réussite plus qu’honnête (74% pour 102 duels aériens disputés).

⧫ Andan Delorde (Montpellier)

Il a toujours été demandé, dans un duo, d’accoupler deux profils différents. Mais pas ici. Andy Delort et Gaëtan Laborde sont construits dans le même moule, ce qui ne les empêche pas de jouer ensemble avec un bandeau sur les yeux. Delort sur Téléfoot : « On commence à se connaître les yeux fermés. On joue maintenant ensemble depuis deux ans et même à l’entraînement, on est tous les deux. Quand je fais une déviation, je sais ce qu’il pense et vice versa. Avec le temps, on ne fait que progresser. On a envie que ça continue pour emmener Montpellier le plus haut possible. » Cette saison, Delort a déjà marqué sept fois, dont deux fois sur des passes décisives de Laborde. À l’inverse, Laborde a planté cinq fois, sur trois services de son colistier. Mais plus encore, les deux hommes sont partout et forment la doublette offensive la plus brillante de Ligue 1.

On parle ici des deux joueurs qui tirent le plus au but du championnat (plus de 80 fois à eux deux), des deux mecs qui font le plus de passes décisives avec Jonathan Bamba et Florian Thauvin, de deux types qui passent une bonne partie de leur vie dans les airs (Laborde et Delort sont sur le podium des joueurs qui disputent le plus de duels aériens avec Mounié), de l’un des meilleurs sur les tirs cadrés (Laborde) avec l’une des références des passes clés et de la qualité dans les centres (Delort, qui a déjà centré 48 fois pour 42% de réussite). Forcément, ça ne peut que faire mal, et pour un cours magistral, il suffit de se repasser le Montpellier-Angers de début de saison, lors duquel Delort a mis un doublé, et Laborde lâché trois passes décisives. Peu importe le système, ces deux-là dévorent les défenses. Cela a des conséquences : Laborde pourrait rapidement partir et on se dit que Delort pourrait suivre, lui qui a la maturité pour s’offrir un challenge encore plus intéressant en Ligue 1 (à l’OM ?). En attendant, c’est Montpellier qui se régale.

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Par Maxime Brigand

Stats tirées de Instat et FBref.

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