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Tactique : Tous les Diallo ne portent pas de cape
Être parmi les meilleurs buteurs de Ligue 1 en jouant le maintien, c’est possible. Seul joueur des dix canonniers les plus prolifiques de France à ne pas figurer dans la première moitié du classement, Habib Diallo porte à bout de bras un RC Strasbourg au bord du précipice. Focus tactique avant un déplacement périlleux à Lens ce vendredi.
Parmi les nombreux charmes de notre championnat, celui des chevaliers du maintien en est un tout particulier. En crampons et en short, ces guerriers aux pieds soyeux s’arrachent chaque week-end sur les pelouses de l’Hexagone pour maintenir leur équipe à flot, alors que leurs aptitudes devraient leur permettre d’évoluer à un niveau supérieur. Vincent Marchetti à Ajaccio, Ludovic Blas à Nantes, Franck Honorat à Brest… Tant de soldats qui se battent corps et âme pour la survie des leurs en Ligue 1, alors que leur place personnelle semble assurée dans l’élite, maintien ou non. Lors de cette saison si particulière aux quatre relégations, la liste des distingués par l’Ordre national du mérite en Ligue 1 s’est fatalement allongée. Le lauréat ? Habib Diallo. Après avoir traversé la France dans toute sa latitude en passant par Metz, Brest et Strasbourg, le Sénégalais de 27 ans a enfin pleinement déployé sa cape du côté de l’Alsace. Septième meilleur buteur de Ligue 1 – quatrième sans les tirs au but – avec 15 réalisations en 29 rencontres, Diallo est aujourd’hui l’atout numéro un d’une équipe qui dispose d’autant de points (29) qu’Auxerre, premier relégable. « À ses débuts, il était plein de talent, mais très inconstant dans ce qu’il faisait d’une séance à l’autre ou même dans une même séance : capable de marquer trois buts d’affilée puis de disparaître. C’est ce qui lui est ensuite arrivé à Metz avec des hauts et des bas », précisait Olivier Perrin en 2019. Peu fiable à l’entame de son épopée, l’enfant de Génération Foot a grandi jusqu’à devenir depuis un modèle de régularité. 15, 11, 9, 12… Non, ce ne sont pas les numéros du loto, mais bel et bien le total de buts de Diallo sur les dernières saisons en Ligue 1, avec un temps de jeu disparate. Une progression fulgurante qu’il ne doit qu’à une seule personne : lui-même. Philippe Hinschberger confirme : « Habib est quelqu’un de très discret, très poli, gros bosseur, vachement dans l’observation, qui s’entraîne tout le temps et ne ramène jamais sa gueule. » Après avoir été dans l’ombre de Ludo Ajorque et Kévin Gameiro, Super Diallo doit assumer ses responsabilités lors du sprint final pour la survie des siens en Ligue 1.
Air Diallo
« Dans le jeu aérien, ce n’est pas compliqué, c’est ce qui se fait de mieux en France », lançait Jean-Marc Furlan, dithyrambique, à propos de celui qu’il a entraîné durant une saison et demie à Brest. Quatre ans après ces dires, les chiffres confirment puisque Habib Diallo est le joueur qui a remporté le plus de duels aériens (92) cette saison en Ligue 1. La recette pour un bon jeu de tête est simple, et le constat l’est tout autant : Diallo a tout. La taille (186 cm), la détente exceptionnelle, le sens du déplacement pour correctement apprécier les trajectoires et surprendre l’adversaire, ainsi que la capacité à frapper le ballon avec précision et puissance. Si ses statistiques dans l’exercice sont bonnes sans être transcendantes (4 buts de la tête pour lui cette saison, meilleur total du championnat derrière Breel Embolo et ses 5 coups de casque), la qualité dans le domaine, elle, ne fait aucun doute. Là où certains pourraient parfois cataloguer les « joueurs de tête » comme des béliers qui ne demandent qu’à tout enfoncer, Diallo lui est un esthète. D’un saut long et droit – qui lui évite de commettre des fautes au duel -, il s’envole régulièrement auprès des cigognes de la Meinau pour disputer des ballons qui finiraient en six mètres pour une bonne partie des attaquants professionnels. Mais plus qu’un athlète hors norme, le goleador du Racing est un cerveau illuminé. Grâce à des appels fuyants, le plus souvent dans le dos de son vis-à-vis en direction du poteau opposé au ballon, Habib se cache dans l’ombre avant d’allumer la lumière en surgissant avec vivacité devant son adversaire ou en le dominant plus simplement au duel.
Au Vélodrome (2-2) le 12 mars dernier : Habib Diallo se situe dans une zone difficile à gérer pour les Marseillais. Dans le dos de Chancel Mbemba et devant Jonathan Clauss, qui ne peut pas le gérer au duel. Alors sur le centre, il se dirige vers son second poteau favori…
Avant de changer brusquement de direction, avec les appuis contraires à Mbemba qui s’écarte pour faire de la place à son portier…
La sortie de Pau Lopez n’est pas exemplaire, mais aurait certainement été efficace face à 90% des attaquants de Ligue 1. Manque de chance : il s’agit là d’Air Diallo et de sa détente impressionnante qui s’envole plus haut que les gants adverses sans faire de faute.
Le ballon sera ensuite sorti sur sa ligne par Eric Bailly.
En début de saison face à Nantes (1-1), Sanjin Prcić adresse un centre dans la surface. Diallo attaque alors le dos d’un adversaire redoutable au duel : Nicolas Pallois…
Mais lui-même héros en ses terres ne peut rien face à la détente stratosphérique de Habib Diallo. Le Sénégalais parvient en plus à redresser parfaitement le ballon pour dunker dans la lucarne d’Alban Lafont, 1-0.
Habib habile
Buteur à 9 reprises en 2023 – pour 11 titularisations –, Habib Diallo ne compte évidemment pas uniquement sur ses envolées cape sur le dos pour se distinguer face au but et faire tourner ses compteurs. S’il a encore « des progrès à accomplir dans ses relations techniques avec les autres pour participer davantage à l’élaboration des actions », selon Fred Antonetti, le Sénégalais dispose toutefois d’une palette assez large au moment de faire parler la poudre. Amoureux des duels dans la surface et redoutable dans l’exercice, l’Alsacien sait aussi les éviter quand il le faut afin de se créer des opportunités de frappes plus pertinentes. L’intégralité de ses banderilles a été plantée depuis la zone de vérité cette saison, démontrant ainsi une certaine qualité pour se distinguer dans les derniers mètres alors qu’il est de plus en plus attendu et étudié. Attiré mais pas aspiré par le but, Diallo arrête régulièrement ses courses pour se démarquer dans les zones optimales ou éviter le hors-jeu, récoltant ainsi temps et espace afin de fusiller le portier adverse, souvent dans la partie haute du but qui rend fatalement l’arrêt très difficile. En totalisant 15 buts pour 15,6 expected goals attendus, le buteur strasbourgeois démontre qu’il est une gâchette qui ne s’enraye que rarement.
Lors de la réception d’Auxerre (2-0) dans un duel clé pour le maintien : Habib Diarra trouve Morgan Sanson en retrait. Diallo, qui attendait un centre en première intention, filait dans le dos de Jubal au second poteau comme à son habitude…
Alors sur le contrôle de son partenaire, il prend le temps de se replacer grâce à quelques pas d’ajustement pour ne pas être hors jeu – il n’avait sûrement pas vu l’Auxerrois à droite de l’image…
Et transforme le bon centre de Sanson… Au deuxième comme souvent.
Quelques secondes après le coup d’envoi face à Montpellier (2-0) : Sanson déboule côté gauche. Diallo suit alors logiquement l’action pour se présenter à la retombée du centre…
Mais soudainement, il arrête sa course pour s’offrir un contexte idéal, alors que les défenseurs héraultais eux continuent de reculer…
La réaction adverse est tardive, Diallo allume tranquillement Lecomte sous la barre après 13 petites secondes de jeu.
Une relation technique se distingue régulièrement ces derniers temps sous la houlette de coach Antonetti qui ne se fait pas prier pour l’utiliser : celle entre Morgan Sanson et Habib Diallo. L’arrivée cet hiver de l’ancien Marseillais n’est pas anodine dans le démarrage canon de son partenaire sénégalais en 2023. Grâce à une patte précise dans le jeu long – pour centrer ou jouer vers l’avant -, Sanson peut abreuver son attaquant de ballons qui siéent parfaitement à ses qualités. Félin dans la surface, mais aussi redoutable dans l’espace, c’est cette versatilité et cette mobilité qui permettent au buteur du Racing de se distinguer comme un joueur spécial dans le dernier tiers. Preuve qu’il est un joueur difficile à appréhender pour ses gardes, il est le 4e homme à provoquer le plus de fautes (55) cette saison en Ligue 1. C’est notamment de cette manière qu’il avait fait exclure Leonardo Balerdi à Marseille (2-2) il y a un mois.
Au Vélodrome, Sanson allonge dans l’espace vers Habib Diallo. Toujours à l’opposé du ballon, toujours dans le dos de son adversaire direct…
Le Sénégalais apprécie mieux la trajectoire que le Congolais…
Mais manque légèrement sa prise de balle et ne peut frapper que dans un angle très fermé qui facilite l’arrêt de Pau Lopez.
Une situation déjà observée à Clermont (1-1) quelques jours auparavant : le passeur est différent, mais la situation est presque identique…
Le contrôle, qui cette fois est très difficile, est encore imparfait…
Et la frappe presque impossible. Mais les solutions offertes sont là.
Lancé en août 2015 dans le grand bain par José Riga face à Lens en Ligue 2, l’ancien Messin retrouve les Sang et Or vendredi dans l’élite pour montrer qu’il a depuis changé de statut. Il y a quelques années, Jean-Marc Furlan disait de son protégé : « Quand Habib aura 28-29 ans, il vaudra mieux l’avoir dans son équipe. » À 3 mois de l’échéance, le temps semble lui donner raison.
Par Matthias Ribeiro
Tous les propos recueillis par Mathieu Rollinger en 2019, sauf ceux de Fred Antonetti.