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Tactique : la France des peurs bleues

Par Matthias Ribeiro
9 minutes
Tactique : la France des peurs bleues

Bousculée à plusieurs reprises par la Pologne, l’Angleterre et le Maroc, cette équipe de France a souvent perdu l’équilibre, mais n’a jamais chuté. Alors qu’ils ont décroché leur qualification pour une deuxième finale de Coupe du monde consécutive, ces Bleus ne sont toutefois pas le rempart infaillible qu’ils étaient en Russie. Petit bilan avant le dernier sommet face à l’Argentine.

15 juillet 2018, 18h53. L’équipe de France est championne du monde pour la deuxième fois de son histoire au terme d’un mois plein de rebondissements, mais globalement maîtrisé par les Bleus. Alors qu’ils affichent 48% de possession de balle sur l’ensemble du tournoi et une domination territoriale souvent en leur défaveur, les Tricolores forment une équipe compacte et tranchante, capable de peu concéder face aux plus grandes armadas et de surfer sur les seules vagues qui s’offrent à eux. Un peu plus de quatre ans plus tard, le 14 décembre 2022 à 21h54, Didier Deschamps et les siens rallient de nouveau la terre promise pour tenter cette fois de décrocher une troisième étoile. Sur leurs trois matchs à élimination directe, les Bleus n’ont à nouveau tenu le cuir que 45% du temps, mais cette fois, tout est différent. Polonais, Anglais, Marocains : tous ont eu plus ou moins l’occasion de mettre fin à l’aventure française. Là où, à Moscou, il ne faisait aucun débat que la meilleure équipe de la compétition avait été sacrée, tout semble plus nuancé à Doha. Jules Koundé a d’ailleurs parfaitement résumé la situation actuelle après la demi-finale : « On a parfois été sur un fil, mais heureusement pour nous, Hugo(Lloris)a fait quelques arrêts et on a eu un petit peu de chance. » Le recordman de sélections et capitaine avait déjà été excellent en 2018, mais cette fois, ses exploits sont répétés et vitaux pour maintenir débout sur le ring une équipe qui encaisse les coups sans tomber K.O. Néanmoins, il n’est pas question non plus de cataloguer cette formation comme une bande de chanceux qui subit beaucoup et se repose uniquement sur un dernier rempart infranchissable. À l’heure où les comparaisons avec l’épopée victorieuse de 2018 fleurissent, il semble quand même important de rétablir certaines vérités.

Priorité à gauche

La présence d’un Jules Koundé conservateur côté droit, l’explosivité de Theo Hernandez à gauche, un homme qui laisse autant de gommes que d’espaces potentiels dans son dos, et la déconnexion de Kylian Mbappé du programme défensif. Voilà ce qui explique pourquoi le poids fait pencher la balance bleue côté gauche. Si Adrien Rabiot, qui a beaucoup manqué face au Maroc, s’évertue à combler tous les espaces qu’il peut pour couvrir Mbappé et épauler Théo, cela ne fait aucun doute que le talon d’Achille de cette équipe de France se trouve là. Les Three Lions l’avaient d’ailleurs déjà compris, en témoignent les nombreux renversements d’Harry Maguire vers Jordan Henderson dans cette zone, tandis que le jeune Bukayo Saka avait causé beaucoup de problèmes à Rabiot et consorts. Face au Maroc ? Rebelote. Sur le côté faible des Tricolores, Walid Regragui et son gang ont pu exploiter leurs forces sous la forme de trois individualités déterminantes : Achraf Hakimi, Hakim Ziyech et Azzedine Ounahi. Les Lions de l’Atlas ont d’ailleurs concentré 54% de leurs offensives sur ce flanc, et sans une charnière Varane-Konaté impériale, bien aidée par Koundé et Griezmann, la soirée aurait pu être différente. Difficile de ne pas prendre peur quand on sait que la finale verra cette zone occupée par un petit numéro 10 argentin capable de tout envoyer valser en un coup de patte ou un coup de rein, qui disputera certainement le match le plus important de sa vie.

En fin de première mi-temps, sur le temps fort marocain, Achraf Hakimi arrive lancé côté droit. Les Marocains sont alors en 3 contre 2 face à Youssouf Fofana et Theo Hernandez, Konaté et Tchouaméni étant trop loin à cet instant pour freiner la progression des Lions de l’Atlas…

… Azzedine Ounahi est trouvé et dispose d’une grande liberté pour servir l’appel intérieur de son latéral droit, redoutable quand il met les gaz…

… mais Ibrahima Konaté, excellent pour défendre sa surface, tacle pour empêcher Hakimi de centrer. C’est à la suite de ce corner que Jawad El Yamiq touchera le poteau d’Hugo Lloris.

61e minute, le ballon arrive une nouvelle fois du côté gauche français dans les pieds marocains, mais cette fois ça y est, Antoine Griezmann en a marre et décide d’invectiver Didier Deschamps pour tenter d’éteindre l’incendie grâce à un 4-5-1 plus efficace sur la largeur. Après plusieurs signes du numéro 7 français, accompagnés de certaines explications pour son coach, Marcus Thuram remplace Olivier Giroud. Le joueur du Borussia Mönchengladbach, qui aurait pu rentrer quelques minutes auparavant, vient ainsi se placer sur le côté gauche de l’attaque tricolore pour laisser Kylian Mbappé seul en pointe afin de renforcer une zone ciblée depuis des lustres par les Marocains tout en ne perdant pas le potentiel offensif du Bondynois. « Les Marocains m’ont impressionné, ils ont très bien travaillé tactiquement, défensivement comme offensivement. Ils nous ont posé beaucoup de problèmes. Le coach s’en est rendu compte et a fait un changement. L’entrée de Marcus nous a fait du bien et a aidé Theo à défendre le côté gauche. » Ajustement acquiescé par Grizi, pompier éternel.

Marcus Thuram est ainsi positionné côté gauche en lieu et place de Kylian Mbappé, alors repositionné dans l’axe. Hakimi est à nouveau servi côté droit par Achraf Dari, mais cette fois, Thuram peut couvrir là où Mbappé a longtemps été dans le dos de son pote…

La France est alors en 3 contre 2 sur le côté, et Konaté peut gérer son vis-à-vis un cran plus bas…

… Hakim Ziyech va quand même tenter de jouer à l’intérieur, mais cette fois, la France peut récupérer le ballon grâce à la bonne lecture de son défenseur central.

La liberté de penser

Amputé de Paul Pogba, boussole avec ballon, et de N’Golo Kanté, garant de l’équilibre et de la paix intérieure, le sélectionneur français a dû trouver une alternative. Elle s’appelle Antoine Griezmann. Ce n’est plus un secret, le Français excelle dans cette position de relayeur droit où il peut profiter de son influence pour tenter de camoufler l’absence de La Pioche et de son volume de jeu pour se muer en Griezmannkanté. Tant que ce plan se déroule « à l’énergie » , tout va bien. Mais Griezmann et Dembélé, que l’on peut associer à l’animation défensive du côté droit, ne disposent pas des réflexes naturels du poste sur attaque placée, ce qui permet parfois aux adversaires directs de profiter de beaucoup d’espaces dans des zones dangereuses. Ajoutez à ça une compacité pas toujours optimale – théorème pourtant cher à Deschamps -, et l’ennemi peut alors jouir d’une grande liberté… Celle de penser et d’agir librement. C’est là que le très mobile et excellent Azzedine Ounahi a frappé en première mi-temps, mercredi soir, pour livrer à nouveau un acte de haut vol.

Attaque placée pour le Maroc en début de rencontre, sur le côté gauche cette fois. Azzedine Ounahi décroche et percute avec ballon jusqu’à servir son latéral…

… Jules Koundé et Ousmane Dembélé sortent sur Noussair Mazraoui, mais Griezmann laisse s’échapper Ounahi derrière lui. Les deux Marocains peuvent alors combiner simplement…

… puis offrir une belle position de frappe au numéro 8 des Lions de l’Atlas. Tentative que sortira Hugo Lloris d’une superbe manchette.

Sans transition

Le penalty obtenu face à l’Argentine, le deuxième but de Kylian Mbappé dans le même match, la frappe pied gauche de Paul Pogba en finale face à la Croatie… En 2018, l’équipe de France n’a pas été à la peine pour être une menace en transition. Alors que le pied de Pogba ou celui de Griezmann ont souvent trouvé Olivier Giroud comme premier relais ou Mbappé directement dans la profondeur, les contres tricolores étaient létaux. Aujourd’hui, la balance semble s’équilibrer. Les joueurs ont quatre ans de plus, Pogba est absent et Griezmann joue bien plus bas. Kylian Mbappé, qui est, lui, dans la forme de sa vie, dispose ainsi de moins de ballons exploitables sur ce genre de séquences, et les rares fois où il peut démarrer le moteur, un seul joueur de l’effectif semble en capacité de lui prendre l’aspiration : Theo Hernandez. Se pose alors une question. Quid d’Olivier Giroud dans une équipe qui joue aussi bas ? Le Milanais peut certes être précieux comme target man pour allonger et ressortir les ballons, mais cela revient à n’utiliser qu’une couleur de sa palette. Les deux derniers matchs en sont la meilleure preuve.

Face à l’Angleterre, le buteur a totalement disparu en deuxième mi-temps, à tel point que Deschamps avait prévu un changement, avant qu’il inscrive le deuxième but sur une situation dans laquelle son équipe était haute et pouvait le trouver directement dans la surface. Contre le Maroc, c’est l’inverse qui a été démontré. Pour terminer la rencontre, le champion du monde 1998 a misé sur une attaque virevoltante composée de Thuram, Mbappé et Kolo Muani. Une triplette bien plus à l’aise au moment d’attaquer les espaces, à l’image du deuxième but tricolore où les trois joueurs sont impliqués sur du jeu rapide. Ne pas être assez dangereux en transition équilibre ainsi dangereusement le rapport pertes-bénéfices pour l’équipe de France qui subit finalement autant qu’elle ne crée (5,54 xG produits en 16 tirs cadrés pour 5,35 xG subis en 14 tirs cadrés concédés sur les trois derniers matchs). Heureusement pour elle, la force de frappe de cette sélection n’a pas d’égal dans ce tournoi.

En première mi-temps, Theo sort sur le porteur marocain et récupère le ballon. Les deux attaquants entament alors leur course pour jouer la transition…

Au bout de sa conduite, le latéral gauche français sert son numéro 10 à sa gauche, qui peut profiter de beaucoup d’espace…

… mais une fois arrivé dans une position intéressante, ni Olivier Giroud ni Ousmane Dembélé ne sont arrivés à bon port. Kylian Mbappé ne peut ainsi trouver personne en profondeur dans la surface ou en retrait…

… il freine donc la transition pour jouer en retrait sur Aurélien Tchouaméni qui prendra sa chance de loin sans succès. Une tentative au taux de conversion bien plus faible que ce qu’elle aurait pu être initialement.

En début de deuxième mi-temps, Kylian entame à nouveau un contre en s’envolant le long de la ligne. Cette fois, Giroud est devant lui et peut prendre de l’avance à la course…

… mais au bout de son effort, personne n’est disponible et, à nouveau, le Parisien est à nouveau obligé de ralentir sa course pour attendre du soutien, ce qui freine fatalement la séquence…

… et permet le retour de Sofyane Amrabat.

Si cette équipe est plus bancale et moins dominante qu’en 2018, elle partage malgré tout les mêmes valeurs morales qui lui permettent de résister aux plus grandes tempêtes. Koundé : « On est une équipe qui sait souffrir. Dans tous les matchs, on a eu des périodes où on était moins bien, mais on n’a pas baissé les bras. On a continué à être très intenses, à se battre pour le copain… » Alors qu’elle a résisté jusqu’ici à tous les incendies qu’elle a subis, l’équipe de France tentera ce dimanche de décrocher sa troisième étoile pour embraser un pays qui n’attend que ça. Jamais deux sans trois, paraît-il.

Dans cet article :
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