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- PSG-Bayern (0-1)
Tactique : la finale totale de Thiago Alcántara
Alors qu'il a probablement disputé son dernier match avec le Bayern, Thiago Alcântara a été l'homme de cette finale de C1 remportée par le Bayern face au PSG. Récit tactique de la nuit d'un homme qui réveille le souvenir de Steve Nash.
Thiago Alcântara a l’image d’un sparadrap, d’un joueur qui colle et qui tète dans les plaies adverses. Alors que cette finale de Ligue des champions s’allume, on ne voit rapidement que lui, et l’Europe est soudainement forcée d’observer ce milieu de poche qui semble jouer seul dans sa bulle, mais qui en réalité ne joue que pour les autres. Sécurisé par une qualité de conservation de balle unique, qui lui permettrait de finir la nuit sans aucune tache sur le veston, l’international espagnol brille et réveille le souvenir de Steve Nash, dont l’objectif intime était d’impliquer l’intégralité de ses potes dans le jeu. Dès les premières minutes, le match a choisi son roi, comme si Scott Joplin avait décidé de revenir d’entre les morts et de s’offrir une balade en short sur une pelouse de Lisbonne. Tête haute et semelle agile, Thiago récupère, distribue, régule, construit dans les petits espaces, aide Alaba et Boateng à assurer les sorties de balle, sert de leurre pour permettre à ses centraux de toucher les latéraux ou vient couper les lancements parisiens. Sa nuit, c’est dans un rôle d’essuie-glace qu’il a décidé de la commencer, et à la quatrième minute, il faut le voir jaillir sous le nez d’Ángel Di María, puis venir ensuite casser un démarrage d’Ander Herrera côté droit. L’Espagnol n’est pas venu participer à ce Final 8 : il est venu y régner en maître de son espèce et étaler sa supériorité dans la visualisation, un drôle de pouvoir évoqué il y a quelques années par Andrea Pirlo dans son autobiographie. Extrait : « Je perçois le jeu de manière différente. C’est une question de points de vue, d’avoir un champ de vision plus large. Être capable de voir l’image globale. Le milieu classique regarde devant et voit les attaquants. Je me concentrais plutôt sur l’espace entre moi et eux, où je pouvais faire passer le ballon. C’est plus une question de géométrie que de tactique. L’espace paraît plus grand que moi. » C’est justement cet espace qui a fait l’une des différences de cette finale remportée par le Bayern face au PSG, dimanche soir : celui souvent immense entre la première ligne de pression parisienne et la seconde. Ainsi, Thiago Alcântara a eu tout le loisir de jouer avec un cure-dents entre les incisives et d’ordonner les circuits offensifs d’une troupe de coureurs dynamiques.
Casseur de lignes et chef de relance
En arrivant au Bayern en 2013, Pep Guardiola avait prévenu ses nouveaux dirigeants. Une recrue ? « Thiago, ou rien. » La raison : « Thiago peut jouer comme 6, comme 8, comme 10, comme 11 et même comme 7. Il peut jouer à trois ou quatre postes et sera utile dans chacun d’entre eux. C’est un super joueur. » Sept ans plus tard, rien n’a changé : le natif de San Pietro Vernotico est toujours un super joueur, sait toujours jongler entre les rôles et récolte toujours des louanges. Interrogé récemment, son entraîneur au Bayern, Hansi Flick, l’a alors qualifié « d’exceptionnel » et de « très intelligent ». À raison : ce type réfléchit avant et mieux que les autres, c’est avant tout ce que sa finale est venue rappeler, lui qui a terminé la rencontre avec la plus grand influence sur la possession du Bayern (9,3%), plus de 88% de passes réussies, 100% de tacles réussis et 100% de dribbles réussis. Preuve de son match total, Thiago Alcântara a été le joueur qui a gratté le plus de ballons (4 ballons récupérés, 1 interception), mais également celui qui a réussi le plus de passes dans le dernier tiers adverse (21), l’Espagnol créant notamment deux occasions pour le Bayern. S’il fallait retenir un mouvement, ce serait évidemment celui qui a amené au seul but de la rencontre, qu’il a initié en brisant en deux le bloc parisien (six joueurs éliminés) à l’aide d’une passe enclenchée à l’entrée du rond central en direction de Joshua Kimmich. Sur ce but, inscrit par Coman de la tête, il faut aussi mettre en lumière l’avant-dernière passe – et le mouvement – de Müller qui élimine trois joueurs parisiens et la qualité du centre de Kimmich, mais Thiago, nouveau sosie de Nessbeal, est bien la mèche initiale.
Au premier rang, c’est dans ce registre – le cassage de lignes – que Thiago Alcântara s’est évidemment régalé. On l’a par exemple vu toucher les ailiers munichois, souvent placés dans les interlignes en phase de construction, à plusieurs reprises.
Source centrale des sorties de balle munichoises, Thiago Alcântara casse de nouveau le bloc parisien en deux en trouvant Gnabry, derrière la ligne médiane, entre Paredes et Marquinhos.
En deuxième mi-temps, un cran plus haut, Thiago Alcântara trouve une nouvelle fois un coéquipier (Müller) derrière le milieu parisien.
Deuxième rôle du soir pour Thiago Alcântara, sans doute le plus important, celui de soutien à la relance, l’Espagnol venant quasi systématiquement, comme à son habitude, s’intégrer à une ligne de trois Munichois en phase de construction.
Ici, Thiago Alcântara vient s’installer entre Alaba et Boateng. D’autres fois, il se mettra à la droite de Boateng (puis Süle) ou à la gauche d’Alaba.
Lorsque le PSG a décidé de presser à trois devant, Thiago Alcântara est alors venu former la tête haute d’un losange dont la tête basse était Neuer. À quatre contre trois, la sortie de balle a été simplifiée et souvent, cela a permis au gardien munichois de toucher Kimmich ou Davies sur les côtés. Lorsque le PSG a préféré se positionner en 4-5-1 avec un Neymar seul en pointe, Di María pour fermer l’accès à Davies et Mbappé celui à Kimmich, le rôle de Thiago a alors parfois été d’attirer Neymar afin de laisser Alaba et Boateng (puis Süle) sortir avec le ballon et s’insérer dans le bloc.
Sur cette séquence, alors qu’Alaba a le ballon et que Di María vient faire pression en trottinant, Thiago recule volontairement pour attirer Neymar et permettre à Alaba de s’insérer avant de trouver Gnabry dans l’interligne droit.
L’étape suivante pour Thiago Alcântara, lorsque le Bayern a réussi à se sortir de la pression parisienne, soit la majorité du temps, a été de distribuer soit dans les interlignes vers les ailiers comme vu plus haut, soit vers les ailes munichoises. Kimmich et Davies ont d’ailleurs été deux des trois cibles préférées du métronome espagnol (15 passes vers Davies, soit autant que vers Goretzka ; 11 passes vers Kimmich).
L’extincteur des transitions parisiennes
Troisième costume de la nuit pour Thiago Alcântara, enfin : celui d’extincteur des transitions offensives parisiennes, où le bonhomme a brillé grâce à sa qualité d’anticipation des mouvements adverses.
Sur cette première séquence, il vient couper devant Di María.
Là, sur une passe de Kimpembe mal appuyée en direction d’Herrera, il mord le milieu espagnol et tue dans l’œuf la progression parisienne.
Même chose ici, sur un nouveau lancement de Kimpembe, où Thiago Alcântara surgit pour empêcher les attaquants parisiens de se retourner et de piquer dans la profondeur.
En seconde période, il a fait évoluer son rôle en fonction de celui de Neymar, qui a cherché à se montrer dans l’interligne gauche, où il avait fait tant de mal à Leipzig. Là aussi, Thiago Alcântara a imposé sa loi.
Dernier exemple : la grande qualité de lecture de Thiago est ici mise en lumière, même si la passe de Kehrer vers Neymar est très mauvaise.
Alors qu’il a sans doute disputé son dernier match avec le Bayern et qu’il s’apprête à rejoindre Liverpool, Thiago Alcântara a posé une cerise royale sur le gâteau qu’il s’est amusé à préparer depuis sept ans à Munich. Milieu relayeur au Barça, l’Espagnol est devenu en Allemagne un « constructeur » reculé à la Pirlo. « Au Bayern, c’est lui qui façonne le jeu de l’équipe et le dirige », expliquait ainsi récemment son frère, Rafinha, à France Football, avant de poursuivre : « Il a une capacité d’élimination en un contre un impressionnante. C’est l’une de ses meilleures qualités. Techniquement, il est incroyablement doué.(…)Son premier contrôle, je crois que je n’ai jamais vu ça. C’est un des joueurs les plus fins qui existent à l’heure actuelle dans le monde. Il fait partie du gratin. Et évidemment, sa première touche, c’est une folie. C’est très agréable de jouer avec lui, car techniquement, il est précieux. Il voit le jeu. » Mieux : il le porte sur ses frêles épaules et semble jouer avec l’espace comme un gosse malaxe une pâte à modeler. Cette finale de C1, où le PSG été dompté par un Bayern aux repères brillants et à l’identité collective affirmée, a aussi – et peut-être surtout – été la sienne : celle d’un mec qui sait faire chanter le ballon pour pouvoir tirer de grandes oreilles dans le ciel.
Par Maxime Brigand