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Tactique : Mbappé au Real, mais pour en faire quoi ?
Un an après avoir fracassé sa tirelire pour s’offrir Jude Bellingham, le Real Madrid a décidé d’insérer le boulon Mbappé dans sa machine, encore une fois victorieuse de la Ligue des champions. Question simple : mais pour en faire quoi ?
C’est une vieille histoire, que Carlo Ancelotti aime raconter à ceux qui viennent l’interroger sur la façon dont il a appris à gravir les différents cols au cours de sa carrière d’entraîneur. Il y a quelques années, l’entraîneur du Real Madrid, vainqueur samedi dernier de sa cinquième Ligue des champions sur un banc, l’avait même confié à Éric Roy, autre héros de la saison de foot qui vient de s’écouler. « Il avait utilisé cette histoire pour me démontrer pourquoi il est très important de ne pas s’enfermer dans une zone de confort, expliquait le coach du Stade brestois, fin février, dans un long entretien donné à So Foot. Il était au tout début de sa carrière d’entraîneur, sortait de longues années avec Arrigo Sacchi et ne jurait que par le 4-4-2. Il était à Parme, où il est resté de 1996 à 1998, et, alors qu’on lui a proposé Roberto Baggio, il a refusé, par peur de ne pas pouvoir le mettre dans son système et par manque de courage de changer son approche pour un joueur qui ne voulait jouer que 10. Ça l’a marqué, et il m’avait répété qu’un entraîneur ne doit jamais oublier d’être capable de bousculer ses idées, d’aller vers autre chose. Si tu arrives avec des idées préconçues, que tu t’obstines sans réfléchir à faire entrer des joueurs dans un concept et qu’ils ne sont pas capables de le mettre en action, tu n’y arriveras pas. »
Après cet épisode, Ancelotti n’a, évidemment, plus jamais été le même coach. Il y a peu, dans une interview au Times, il a même tranché ainsi : « N’avoir qu’une seule identité est une limite. Un jour, nous avons joué un match de C1 face au Shakhtar Donetsk. Une très bonne équipe, dont l’entraîneur était Roberto De Zerbi. Ce qu’il faisait avec ses latéraux et son jeu de position était vraiment bien, mais j’ai dit à mes joueurs que le Shakhtar voulait qu’on presse haut, donc qu’il ne fallait pas y aller. J’ai dit : “Si vous ne pressez pas, ils finiront par vous rendre le ballon.” C’est ce qu’ils ont fait, et on a gagné 5-0. […] Il n’y a pas de style Ancelotti. Mon style n’existe pas, car je change. Cette saison, en C1, contre City, nous avons joué avec un bloc bas car sur ce match, j’ai estimé que c’était la façon de rivaliser et de gagner. […] Nous nous adaptons sans mettre les joueurs mal à l’aise. »
Ancelotti face à ce qu’il préfère sur Terre
Alors qu’une saison vient de se finir et qu’une autre s’apprête déjà à commencer, revoilà donc l’entraîneur madrilène face à ce qu’il préfère sur Terre : trouver une nouvelle formule pour insérer au mieux un nouveau talent. Et pas n’importe lequel : Kylian Mbappé, un joueur qui aime principalement naviguer dans la zone intermédiaire entre l’axe et la ligne de touche gauche (le fameux demi-espace), un espace où la grande majorité des animateurs offensifs de Carlo Ancelotti aiment se balader (Vinícius Junior, Bellingham, Rodrygo).
Alors, que faire ? Vaste débat alors que l’arrivée du capitaine français à Madrid tournait dans l’air depuis plus ou moins le début de sa vie en crampons et qu’Ancelotti vient de boucler la saison avec, pour système, un 4-3-1-2 hybride où Bellingham a joué le passe-plat dans un rôle de 10/faux 9 derrière les missiles Rodrygo et Vinícius. Seule certitude : l’Italien mettra, de nouveau, son animation au service de ses joueurs et ne les forcera pas à rentrer, coûte que coûte, dans un moule mal adapté à leurs qualités, lui qui a déjà, par le passé, toujours su trouver des plans pour cogner dès que possible dans la profondeur des adversaires trop téméraires. Cela avait été le cas à l’époque de Cristiano Ronaldo et Gareth Bale, cela avait été le cas ensuite, avec Isco ou Benzema dans le costume du Bellingham d’aujourd’hui, cela a été le cas cette saison, et cela sera, sans aucun doute, le cas la saison prochaine.
L’atout de la déstructure
Important à noter afin de bien se projeter : Kylian Mbappé sort d’une saison à Paris avec Luis Enrique, où il a évolué dans un jeu de position très codifié, et va, avec Carlo Ancelotti, être davantage dans un cadre similaire à celui qu’il retrouve en équipe de France, avec Didier Deschamps, où les consignes offensives sont moins rigides, plus flexibles. Interrogé mardi, le Français a même dit : « C’est deux visions du football très différentes, deux entraîneurs (Luis Enrique et Didier Deschamps) qui contribuent à élargir ma palette en tant que joueur. D’un côté, avec Luis Enrique, c’est beaucoup plus un football de possession. Il aime avoir le contrôle dans tout ce qu’il fait. Quand tu entres sur le terrain, il aime que tu saches où donner le ballon, quand donner le ballon, quoi faire. C’est une vision louable. Avec le coach Deschamps, c’est autre chose : il est rigoureux tactiquement, mais il laisse plus de libertés au niveau offensif. Ça a permis au joueur que je suis d’apprendre et d’engranger beaucoup d’expérience. »
Aujourd’hui, une question naturelle semble se poser : comment faire en sorte que Vinícius, meilleur buteur (24 buts) et troisième meilleur passeur du Real Madrid toutes compétitions confondues cette saison, et Mbappé ne se marchent pas sur les pieds, sachant que les deux hommes aiment partir de loin, au large dans le couloir gauche, pour repiquer à l’intérieur ? Carlo Ancelotti peut-il se permettre de sacrifier Bellingham ou va-t-il demander à son nouvel homme de prendre le couloir droit de Rodrygo, que le Brésilien n’occupe dans les faits que sur le papier et que Kylian Mbappé n’a plus occupé depuis 2018 ? Face à ces questions, l’attaquant tricolore sait qu’il possède pour atout le côté déstructuré et chaotique du Real sur les phases avec ballon, ce qui n’est évidemment pas sans risque à la perte, entasser les joueurs sur un seul côté laissant automatiquement l’autre côté vulnérable aux attaques rapides du clan adverse.
Jusqu’ici, Ancelotti possédait un garant de l’équilibre : Toni Kroos, qui a fini la saison avec le deuxième plus haut total de ballons récupérés de l’effectif madrilène derrière Valverde, mais qui ne mettra plus de short après l’Euro. L’Allemand assurait un minimum de présence dans le cœur du jeu à la perte et va naturellement laisser un vide, difficile à combler, qui pourrait peut-être pousser son futur ancien coach à retaper son système avec un 4-3-3 ou un 4-2-3-1 où Bellingham reculerait d’un cran, dans un rôle de 8/10 très avancé, laissant Kylian Mbappé prendre un rôle de 9 avec, à sa gauche, Vinícius, et à sa droite, Rodrygo, de façon à avoir un onze un poil plus équilibré en cas de transitions défensives. S’il devrait s’y retrouver assez vite offensivement, la clé, pour le Français, sera dans tous les cas de gagner en discipline, d’élargir encore un peu plus sa palette, de jouer un peu plus avec le sablier et le rythme des rencontres, d’autant plus avec la retraite de Toni Kroos, au risque de trop déséquilibrer son futur navire. Pour les adversaires, les déséquilibres et les maux de tête seront dans tous les cas nombreux. Pour Carlo Ancelotti certainement aussi. Pas grave : s’il a prolongé début janvier, c’était sans aucun doute pour en revivre.
Par Maxime Brigand