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Camavinga latéral : le spectacle et l'impro
Après une entrée réussie au poste de latéral gauche en finale de Coupe du monde, Eduardo Camavinga est devenu une option officielle à ce poste pour Didier Deschamps comme pour Carlo Ancelotti au Real. Hérésie ou solution miracle ? Voici un premier élément de réflexion.
Quelle ne fut pas notre surprise au moment d’entendre le nom d’Eduardo Camavinga dans la bouche de Deschamps à l’heure d’annoncer la liste des défenseurs sélectionnés pour affronter les Pays-Bas et l’Irlande. Si l’erreur est permise, le sélectionneur a rapidement confirmé qu’elle n’en était pas une : « Durant ce rassemblement, je le considère comme arrière latéral gauche. » Pour comprendre ce choix surprenant, petit flash-back. Le 22 novembre dernier, alors que les Bleus réalisent un parcours sans accroc au Qatar après s’être imposés face à l’Australie (4-1) et au Danemark (2-1), un élément ternit le tableau. Après neuf minutes de compétition, les ligaments croisés de Lucas Hernández, latéral gauche, ont lâché. L’équipe de France est alors dans l’obligation de boucler le Mondial avec un seul spécialiste du poste, son frère Theo. Deux jours plus tard la nouvelle tombe, pour le plus grand étonnement du public : Camavinga a été testé au poste de défenseur gauche lors d’une opposition face à un club local. Les latéraux ont beau avoir souvent été des centraux avec DD – notamment à droite – en plus de ne disposer d’aucun autre défenseur gaucher, voir un pur milieu du profil de l’ancien Rennais collé à la ligne de touche peut surprendre. Lors du troisième match de poule face à la Tunisie (0-1), Eduardo dispute alors 90 minutes côté gauche avant de faire une entrée réussie et remarquée en finale face à l’Albiceleste au même poste. Quatre mois plus tard et 7 matchs excentrés joués en club, le Français est surnommé « Lizarazu » par ses compères de Madrid et est aujourd’hui appelé avec les Tricolores pour porter le flambeau du champion du monde 1998. De ce fait, deux énigmes principales émergent. La France a-t-elle un manque si évident à ce poste qu’il nécessite de dénaturer la position d’un de ses meilleurs espoirs ? Et Camavinga a-t-il réellement les qualités pour s’imposer comme latéral sur la scène internationale à moyen terme du haut de ses 20 ans et 6 sélections ?
Un tremplin pour les siens
« Il a joué en tout et pour tout 15 minutes latéral gauche en formation au Stade rennais », confie l’ancien entraîneur de Strasbourg Mathieu Le Scornet, proche du joueur après plusieurs années passées à ses côtés en formation ou en pro à Rennes. Même constat pour Nicolas Martinais, formateur de « Cam » jusqu’à ses 11 ans alors qu’il évoluait à Fougères : « Des matchs comme latéral gauche, il n’en a pas fait tant que ça. Trois ou quatre. » Mais alors que le phénomène n’a fait qu’effleurer ce poste chez les jeunes, quels sont les arguments aujourd’hui qui mènent de tels monuments comme Didier Deschamps ou Carlo Ancelotti à le déporter sur la gauche ?
Sa verticalité, déjà. Balle au pied pour percuter ou par la passe pour propulser, Camavinga est un joueur qui va de l’avant, atout forcément précieux dans un couloir. « Qu’il joue arrière gauche ou milieu de terrain, toutes ses passes sont quasiment vers l’avant », ajoute Nicolas Martinais. Cependant, cette verticalité se manifeste différemment selon la couleur du maillot qu’il revêt. Sur ses rares apparitions à ce poste en Bleu, Eduardo a rapidement montré le caractère affirmé qui est le sien, notamment en finale face à l’Argentine où il a été le premier détonateur d’une bombe qui a fait exploser Randal Kolo Muani et Kylian Mbappé. Grâce à plusieurs runs tranchants balle au pied et à sa faculté à jouer rapidement vers l’avant, parfois même en une touche, la France avait enfin pu utiliser la vitesse de ses dragsters pour renverser la finale et faire naître le chaos. À Madrid, tout est plus calme et plus posé, comme souvent. Le Français s’intègre parfaitement dans les rouages d’Ancelotti qui consistent à entourer pour le mieux Vinicius Junior. Pour conquérir la Coupe aux grandes oreilles la saison passée et perpétuer l’illumination de l’éclair brésilien aujourd’hui, le Mister place un joueur à l’intérieur alors que Vini s’excentre sur la largeur. L’animation permet notamment à Toni Kroos de décrocher dans un espace qu’il affectionne ainsi qu’à l’ailier brésilien d’avoir un relais dans l’axe. Cette organisation permet en plus à Cama de profiter de zones plus axiales qui lui conviennent forcément mieux que celles collées à la touche.
Attention, ces images peuvent heurter les plus sensibles. Cinq minutes après l’entrée en jeu de Camavinga face à l’Argentine en finale du Mondial, le Français trouve Mbappé en une touche d’une passe tranchante à la suite d’un ballon rendu par Rodrigo De Paul. Kolo Muani s’envolera ensuite pour provoquer le premier penalty des Bleus.
En prolongation, Eduardo élimine la première ligne de pression adverse par la conduite…
Avant de récidiver quelques mètres plus haut sur un autre Argentin et de subir ensuite le tacle assassin de Leandro Paredes.
Au Real, le cadre est plus clair. La preuve en images face au Betis (0-0) le 5 mars dernier où il vient se rendre disponible à l’intérieur pour laisser Kroos décrocher dans sa zone favorite…
Il élimine ensuite à nouveau le premier obstacle qui s’annonce…
Avant d’offrir à Vinicius le scénario dont il raffole : un 1 contre 1, orienté vers l’intérieur, proche de la ligne de touche.
Lorsque le Brésilien se retrouve dans cette situation sur attaque placée, il peut ensuite compter sur la présence de son jeune latéral dans la surface pour combiner. Face à l’Espanyol (3-1) il y a deux semaines, Camavinga a privilégié la frappe.
Des limites pour la suite
Si le jeune maestro est capable d’assurer l’intérim sur le côté via ses qualités et son sens du devoir, certaines choses doivent cependant être remises sur la table. Eduardo Camavinga est un crack, un enfant précoce et surdoué du ballon qui prend toute son envergure au moment de caresser le cuir avec sa patte gauche. Être face au jeu ballon au pied est forcément une bénédiction pour lui, qu’importe qu’il soit latéral ou milieu. Mais au moment de mettre en pratique certaines habitudes défensives, l’ancien Rennais affiche des lacunes naturelles. Bouleversement qu’il a d’ailleurs détaillé pour Ouest-France : « Ce qui change, c’est la gestion de la profondeur, c’est une manière différente de défendre, en reculant comme dans la négociation des deux contre un. On appartient aussi à une ligne et on est davantage bridé. Ce sont d’autres repères. » Quand le temps se réduit et que le ballon accélère, empêcher l’adversaire relève plus des réflexes assimilés depuis petit que de la simple réflexion. C’est alors que les limites se révèlent pour Cama, à l’heure d’être amputé du ballon, son jouet favori. Addiction qu’il a depuis son plus jeune âge comme le confirme son formateur : « Le mettre derrière, ça aurait été le freiner, le mettre devant il aurait toujours décroché pour toucher le ballon, donc fallait qu’il joue dans l’entrejeu. Pour qu’il coure et qu’il touche du ballon. » Des carences sans ballon induites ainsi qu’un manque de marques évident qui poussent le jeunot à répéter que le poste est inconfortable pour lui. À Doha en hiver dernier dans l’émission Le Mag pour TF1, il avait d’ailleurs répondu du tac au tac à la question de Rio Mavuba qui l’interrogeait sur son poste préféré entre milieu et latéral : « Ouais, je pense que la question ne se pose pas trop. » Toutefois, malgré les cris du cœur et certaines difficultés logiques au moment de fermer son couloir – notamment pour empêcher les centres – le rayon de soleil madrilène subit les blessures des uns et le manque d’options des autres et dépanne tant qu’il peut à ce poste-là. Avec le sourire, comme toujours.
Commence pas
— Eduardo Camavinga (@Camavinga) January 26, 2023
Sur la pelouse du Betis, le Français sort de sa ligne défensive pour presser Youssouf Sabaly, mais ses appuis ne sont pas les bons. Il défend de manière à suivre la course dans le couloir du latéral adverse alors que ce dernier remise à l’intérieur…
Alors au moment de réellement partir, forcément, il prend du retard…
Ce qui offrira une opportunité à l’ancien Bordelais après l’intervention de Rüdiger.
Face à l’Espanyol, Cama est à nouveau en difficulté au moment de défendre son couloir dans ces fameux 2 contre 1. Cette fois, il est bien orienté, mais beaucoup trop loin de son vis-à-vis. Il veut fermer l’appel à l’intérieur, mais Nacho, Tchouaméni et Militão peuvent couvrir…
Alors, il est forcément en retard au moment de contester le centre. Malgré un 3 contre 3 dangereux dans la surface merengue, aucun dégât ne sera à déplorer, le centre étant trop imprécis.
Plus tôt dans le match, Eduardo avait déjà montré certaines limites. Sur une diagonale adverse, il apprécie mal la trajectoire du ballon et laisse Rubén Sánchez contrôler et orienter…
Qui pourra ensuite délivrer une offrande à Joselu qui catapultera le ballon dans la lucarne de Thibaut Courtois. 0-1.
« Aujourd’hui, je l’ai mis à ce poste-là, mais cela n’empêche pas que je puisse être amené dans certaines circonstances à pouvoir l’utiliser au milieu. Il a été très bon pendant 4-5 matchs avec le Real, au milieu il fait de très bonnes performances aussi. Je sais que c’est avant tout un milieu de terrain, mais la situation aujourd’hui par rapport à ce poste de latéral, si je le mets là, c’est parce que c’est lui qui donne à l’équipe le plus de garanties possible. » Le monde à l’envers ? Non, simplement la réalité de Deschamps à l’instant T. Alors qu’Eduardo Camavinga est peut-être aujourd’hui le meilleur milieu de la liste sur la dynamique récente dans un secteur en plein renouveau, c’est bien dans le couloir gauche qu’il devra se distinguer s’il veut grappiller des minutes sur ce rassemblement. Bien qu’il soit « un joueur de très haut niveau qui s’adapte plutôt vite », selon Mathieu Le Scornet, le jeune Français semble avoir indéniablement les qualités pour exister chez lui plutôt qu’en exil. Alors que Theo Hernandez n’a pas disputé le dernier match de l’AC Milan à la suite d’un problème digestif, Eduardo lui devra encore mettre de côté ses maux de cœur s’il est amené à longer la ligne de touche du Stade de France ce vendredi face aux Oranje.
Par Matthias Ribeiro, avec Anna Carreau
Propos de Mathieu Le Scornet recueillis par MR, Nicolas Martinais par Anna Carreau.