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Tactique : comment Nicolò Barella a déshabillé la Vieille Dame
Vainqueur de la Juve pour la première fois de sa carrière d’entraîneur dimanche soir, Antonio Conte a surtout vu son Inter sortir son plus beau match de la saison en dévorant le milieu de la Vieille Dame (2-0). Au centre des affaires, Nicolò Barella, passeur décisif et buteur, a été partout. Récit tactique de la soirée XXL du lubrifiant milanais.
Il était peu avant 21 heures, dimanche, lorsque Nicolò Barella, arrivé au gala sur la pointe des pieds, à la manière d’un étudiant de première année torturé intérieurement entre l’envie de ne pas se planter et le désir de mettre le feu aux planches, a débouché pour la première fois le long de la ligne de touche. L’horloge de San Siro indiquait alors que le sommet entre l’Inter et la Juve avait démarré depuis six grosses minutes, soit le temps nécessaire pour voir la Vieille Dame offrir ses premiers espaces géants entre sa première et sa deuxième ligne de pression – un cadeau mortel lorsqu’un joueur comme Marcelo Brozović danse en face – et pour comprendre que la soirée allait être très longue pour la bande à Pirlo, qui a alterné entre un 4-4-2 sans ballon assez inefficace étant donné l’importante distance entre les différentes lignes et un 3-5-2 avec ballon trop peu mouvant pour être dangereux (où Danilo a formé une ligne de trois avec Bonucci et Chiellini). Temps nécessaire, surtout, pour voir Barella s’effacer subtilement afin d’observer les premières courbes du débat et scanner les zones clés à dévorer. Puis, on a ensuite vu le jeune milieu italien se mettre à s’agiter et à hurler, avant de toucher son premier ballon dans le dos de Ramsey et sous le nez de Frabotta. La suite ? Du Barella : une remise en talonnade vers son collègue marocain, le même à qui l’ancien joueur de Cagliari a ouvert un paquet d’espaces pour briller tout au long de la nuit. Alors qu’Antonio Conte avait demandé à ses joueurs de saisir cette soirée pour envoyer un message à la Juve et aux autres concurrents pour le titre, l’Inter a plus que répondu présente : dimanche soir, elle a dévoré la Juve aux quatre coins du terrain grâce à un pressing très soutenu et n’a laissé que des miettes (2-0) tout en sortant son meilleur match de la saison toutes compétitions confondues. « Quand il y a un tel écart, c’est difficile d’analyser le match, a alors soufflé le défenseur turinois Giorgio Chiellini après la bataille. Ce soir, la différence a été énorme. L’Inter nous a surclassés dans toutes les parties du terrain, y compris la nôtre. Nous n’avons pas réussi à gagner un duel. » Pirlo a également tiré dans le même sens : « Quand on n’a pas la rage de gagner, les duels sont difficiles… Nous avons été trop passifs, comme si nous n’étions pas sur le terrain. On était bas et timorés, en ne pensant qu’à la phase défensive. On ne pouvait pas faire pire. » Nicolò Barella, lui, pouvait difficilement faire mieux.
Un poison et des mailles mal serrées
Posé à droite de Brozović et déguisé en tremplin pour le duo Lukaku-Martínez, celui que Fabio Capello a un jour comparé à Marco Tardelli a tout simplement marché sur ce choc dans les faits et dans les chiffres. Barella a bouclé la soirée avec un but, une passe décisive, deux tirs, trois passes clés, trois dribbles réussis (sur quatre tentés) et 51 passes réussies sur 56 tentées. C’est surtout l’impression laissée qui bluffe, tant l’international italien a avancé libre dans sa tête, avec personnalité et audace, en héros d’une Inter magnifique, également portée par un Alessandro Bastoni brillant et un Marcelo Brozović solaire, étant tour à tour une solution pour relancer les ballons et la caution supériorité numérique une fois le ballon sorti. Première chose : Nicolò Barella a été un poison permanent entre les mailles mal serrées de la Juve.
Alors que Brozović sort facilement le ballon avec De Vrij, Barella vient se glisser dans le dos de Ramsey…
… et va être servi dans une position idéale pour exploser en transition.
Barella remonte alors le ballon et fixe avant de lancer Hakimi. Derrière, le Marocain va trouver Vidal en retrait, dont la frappe va échapper au cadre.
S’il n’a touché qu’une petite vingtaine de ballons en première période (le double en seconde), le numéro 23 de l’Inter a réussi l’exploit de tous les transformer en or.
Son premier ballon de la soirée : une remise en talonnade dans le demi-espace pour Hakimi.
Six minutes plus tard, on le retrouve une deuxième fois, d’abord pour emmener Ramsey avec lui et ouvrir un espace à Hakimi…
Puis, pour être touché par Vidal, avant de retrouver le Chilien…
Idéalement lancé, Vidal coupe alors le centre de Barella et ouvre le score de la tête pour l’Inter : 1-0.
Dix minutes plus tard, Barella se montre de nouveau en effaçant Ronaldo sur un second ballon…
… avant de lancer Lukaku en duel avec Chiellini. Si Barella aurait pu fixer un poil plus longtemps sur cette séquence, le Belge va quand même réussir à armer et forcer un bel arrêt de Szczęsny.
En fin de période, superbe sortie de balle de l’Inter, qui se joue encore facilement du pressing turinois : Barella est alors trouvé dans le dos du milieu à quatre de la Juve.
Après avoir effacé Rabiot, le milieu de l’Inter déboule côté droit et va cette fois prendre le temps de fixer…
… afin de trouver Lukaku en position idéale. Malheureusement, le Belge va trop écraser sa frappe.
Plus que tranchant avec ballon et royal entre les lignes, Barella a surtout eu un rôle essentiel sans ballon pour former avec ses centraux (Škriniar-De Vrij-Bastoni) et ses deux potes du milieu (Brozović et Vidal) un coffre axial impénétrable. Ainsi, Rabiot et Ramsey n’ont quasiment jamais pu communiquer avec Morata et Ronaldo, et la Juve, qui a souvent attaqué avec un seul élément dans la surface de l’Inter, n’a été vraiment dangereuse que sur une frappe d’Adrien Rabiot en début de match.
Exemple du rôle défensif de Barella avec cette intervention sur une passe de Kulusevski vers Bentancur.
Autre exemple avec un rôle très classique de fermeture de l’accès au demi-espace, ce qui a souvent forcé Ramsey à décrocher pour exister.
Autre séquence.
L’homme qui monopolise les projecteurs
En vue en première période, Barella a également monopolisé les projecteurs pendant la seconde avec 49 ballons touchés, soit le deuxième meilleur total de l’Inter derrière un Brozović toujours impeccable et juste devant l’extincteur-constructeur Bastoni (sept ballons récupérés, dix interceptions, deux passes clés…). Surtout, le milieu relayeur a réussi à être touché dans des zones où il ne l’a pas été lors du premier acte.
Lors de la première période, Barella s’est souvent débattu dans le vide malgré quelques bons appels. Exemple ici.
Ou là.
Dès le début de la seconde période, il va être plus souvent recherché dans des zones précises comme ici par Brozović…
Là magnifiquement par De Vrij, ce qui accélère tout de suite la transition…
Ou encore là, sur un dégagement d’Handanović…
Avant de pouvoir rapidement toucher Lukaku, qui peut ensuite décaler Brozović ou chercher Hakimi.
Autre exemple avec cette relance de Škriniar.
Ou ce une-deux vite joué avec Brozović.
Souvent lancé dans le demi-espace droit pour profiter du bon travail de Lukaku, Barella va surtout piquer au meilleur des moments et définitivement punir la Juve des nombreux espaces offerts entre les lignes par un pressing très mal coordonné :
À la 52e minute, l’Inter joue un 6 mètres. Bastoni l’effectue avec Handanović avant de s’écarter…
Handanović décide alors de rejouer avec Bastoni, qui a alors de l’espace pour conduire le ballon…
Plus qu’un espace, Bastoni a un boulevard…
Et va profiter d’un alignement terrible de la défense turinoise pour lancer Barella d’une superbe ouverture. Au bout, pas de réflexion : 2-0.
Déjà auteur d’une belle ouverture pour Lukaku en première période et décisif sur le premier but en ayant récupéré très haut une relance turinoise, Bastoni a permis ici à Barella, dont Sacchi est fan, de faire entrer son match dans la catégorie « référence » . Ce deuxième but est surtout le symbole d’une Inter joueuse, audacieuse, qui a eu un paquet d’occasions dimanche soir et qui aurait pu s’imposer plus largement avec un Lautaro Martinez un poil plus tueur. Conte peut principalement se satisfaire de la prestation de son trio du milieu, qui a été impérial et très actif (quatorze ballons interceptés, douze ballons récupérés, une quinzaine de tacles) face à une Juve plate et passive. Pour Nicolò Barella, c’est une confirmation. Celle que l’Italie tient un lubrifiant d’une autre espèce, capable de piquer, presser, danser, tacler, nettoyer une lucarne et de boucher tous les trous. Pas mal, donc.
Par Maxime Brigand