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Tactique : comment Gaël Kakuta a dansé avec l’AS Monaco
En forme depuis son retour à Lens, le Français a été brillant mercredi soir lors de la destruction de Monaco, rapidement réduit à dix, au Louis-II (0-3). Retour sur une masterclass.
18 février 2012. Dans un couloir du stade Gaston-Gérard de Dijon, Younousse Sankharé éclaire les curieux face à un drôle de mystère : « Moi, Gaël, je l’appelle « le Génie ». C’est simple. Il se déplace merveilleusement sans le ballon. Regardez, à chaque fois qu’il le reçoit, comme par hasard, il s’est mis dans un intervalle. » Face à Nice, Gaël Kakuta vient d’inscrire un but, de filer une passe décisive à Brice Jovial, mais aussi de faire beaucoup plus que ça : le Français a passé sa soirée à inventer, créer, esquiver, danser. Victime du jour, René Marsigilia profite d’un micro tendu pour évoquer la bête qui a effrayé son équipe : « Ce qui me frappe, c’est son insouciance, sa jeunesse dans le jeu. Il est inventif, culotté, sûr de lui… » Gaël Kakuta amène surtout les spectateurs, ses coéquipiers et ses adversaires dans son propre monde : un univers dont il se plaît à dicter les codes et à fixer les limites. Il a alors vingt ans, bluffe les suiveurs par sa gestuelle, et la France du foot se dit qu’elle assiste petit à petit à la confirmation chez les grands d’un crack du jeu parti quelques années plus tôt en Angleterre, alors qu’il n’était même pas encore majeur. Doux rêve.
Été 2020. Une boucle se referme : à 29 ans, Gaël Kakuta est de retour à Lens, où tout a commencé et n’est plus tout à fait le même homme que celui vu à Gaston-Gérard en 2012. Interrogé par L’Équipe, il s’ouvre sur les onze clubs qu’il a connus au cours de la décennie et une étiquette de talent gâché qui lui colle aux crampons : « Tous ces voyages m’ont permis de parler espagnol, anglais, de comprendre l’italien et d’avoir une base néerlandaise. En Chine, ça m’a endurci. J’ai pris des coups. L’arbitre ne sifflait jamais. Maintenant, j’ai le réflexe de continuer mes actions. En Angleterre, il faut être capable de répéter les efforts. En Espagne, j’ai appris à ne plus précipiter mes gestes.(…)J’ai 29 ans. Certains arrivent à maturité à cet âge. Je ne doute jamais de mes qualités. Je n’ai aucun regret. J’ai encore l’envie de jouer au plus haut niveau, la C1. Mais si je peux faire trois saisons fantastiques à Lens, je ne dis pas non. Et, si possible, retrouver l’Europe avec ce club : je serais le plus heureux du monde. » Alerte : cinq mois après son retour à la maison, Kakuta rayonne. Mercredi soir, à Monaco, on a même retrouvé le Kakuta qui avait illuminé les yeux de Marsiglia il y a huit ans, celui capable de faire basculer un match sur une inspiration et de distribuer des bonbons techniques aux quatre coins du terrain. Résultat : le RC Lens a éteint l’ASM et l’a fait tomber pour la première fois de la saison dans sa boutique (0-3). Tout sauf un hasard.
Le poison des intervalles
Gaël Kakuta n’a jamais eu besoin de plus d’une minute pour monter un chapiteau, et trente petites secondes ont été suffisantes mercredi soir pour comprendre que l’ancien joueur de Chelsea avait décidé de sortir une prestation de « très haut niveau ». Une copie qu’il est d’abord possible de chiffrer : 46 ballons touchés, 88% de passes réussies, 2 tirs, 1 but, 3 dribbles réussis, un 100% dans le jeu long, une interception… Mais qui a surtout marqué les esprits, même si son entraîneur, Franck Haise, a tenu à inscrire la performance de Kakuta au cœur de la démonstration collective de ses joueurs. L’intéressé a également tiré dans ce sens : « J’ai eu le temps de faire une préparation complète et surtout de regarder comment mes partenaires évoluent sur le terrain. Ici, il n’y a pas de star. » À Lens, il y a surtout une approche – le 3-4-1-2 – qui demande un effort collectif permanent et qui ne peut fonctionner qu’avec un investissement total. Au Louis-II, on a de nouveau eu l’impression de voir un onze d’oiseaux parfaitement coordonnés, où aucune trajectoire d’un individu n’est venue interrompre celle d’un autre et où chaque mouvement a répondu à un autre, sans cesse. Et Kakuta, dans tout ça ? Il a fait du Kakuta et a apporté « le leadership technique » loué par Haise fin septembre. Le premier but de la soirée en est un parfait exemple.
Alors que le match n’a débuté que depuis 25 secondes, le RC Lens réussit à trouver un premier décalage : en possession du ballon dans le rond central, Cheick Doucouré décale Gradit qui peut remonter le ballon dans le camp monégasque…
Pendant que Gradit pénètre dans la moitié de terrain de l’ASM, Gaël Kakuta déclenche un appel sous le nez de Maripan. Gradit va alors le chercher…
… d’une subtile talonnade, Kakuta trouve Doucouré plein axe, qui peut écarter vers Michelin…
… lancé dans le dos de Ballo-Touré, Michelin a un boulevard. Sur cette séquence, on voit surtout que Lens attaque en nombre…
Au moment où Michelin déclenche son centre, le RC Lens a placé cinq joueurs dans la surface monégasque. Trouvé au deuxième poteau, Sylla peut donc tranquillement ouvrir le score.
Au cours de ses 57 minutes passées sur le terrain, Kakuta a été un poison permanent dans les intervalles et a brillé par son sens du placement face à une AS Monaco réduite à dix après vingt minutes de jeu.
Le 3-5-2 lensois, où Kakuta traîne derrière la ligne des deux milieux adverses et vient occuper l’attention d’un central adverse.
Trouvé ici en phase de transition par Doucouré, Kakuta a alors deux solutions. La première : décaler Seko Fofana qui arrive lancé. La seconde : jouer avec l’orientation de son corps et punir dans l’espace offert par l’ASM sur sa droite.
La première option semble évidente, mais Kakuta a reniflé une meilleure idée. Il ne va donc pas remettre vers Fofana, mais il va se servir de son coéquipier…
… et moins d’une seconde plus tard, il déclenche vers Ganago en profondeur. Conséquence : au bout de cette séquence, Disasi va déséquilibrer l’attaquant lensois et va être expulsé.
Quatre minutes plus tard, on le retrouve un cran plus haut pour combiner à l’intérieur du jeu avec Doucouré et Fofana afin de rapidement trouver Sylla sur le côté gauche.
Classique avec le RC Lens version 2020-2021 : on a vu mercredi soir pas mal de rotations et de variations entre les milieux. Ainsi, Kakuta, souvent placé derrière les deux attaquants, a parfois décroché derrière Fofana et Doucouré comme sur cette séquence…
Cette position lui offre une fenêtre idéale pour briser le bloc adverse. Malheureusement sur cette séquence, sa passe pour Ganago va être mal ajustée et va finir sur Badiashile.
Très libre, Kakuta se balade en permanence entre la ligne des défenseurs et celle des milieux afin d’être le troisième homme pour permettre la progression du ballon et la supériorité numérique.
Ce rôle est idéal pour lui et permet de mettre en lumière ses qualités de scanner.
Autre séquence en fin de première période où, trouvé par Michelin, Kakuta va bénéficier d’un terrain d’expression optimal…
Sur un pas, Kakuta se retourne et peut de l’extérieur tourner le jeu vers Sylla…
Son festival a continué en seconde période, bien évidemment.
Décisif sur l’ouverture du score de Sylla, le numéro 10 lensois a évidemment eu son moment pour briller et l’a saisi à six minutes de la pause.
Alors que Monaco vient d’attaquer et que Leca a intercepté un centre d’Aguilar, Kakuta est trouvé rapidement devant sa surface…
Il peut alors démarrer son accélération alors que Banza, Ganago et Fofana ont suivi…
Alors qu’il tente d’écarter vers Fofana, sa passe est ratée et facilement interceptée par Aguilar…
Reste que le défenseur de l’ASM se plante et que Fofana récupère le ballon : Kakuta n’a pas arrêté son effort et va inscrire le troisième but lensois.
La clé du pressing
Cheville tactique, relais entre les lignes, accélérateur et premier relanceur, Kakuta a aussi été précieux dans son apport défensif et son rôle dans le pressing lensois a été une clé essentielle, forçant l’ASM à souvent balancer par désespoir.
L’organisation en phase défensive du RC Lens est similaire à celle de l’Atalanta. Le pressing est haut, intense et empêche l’adversaire de relancer court. Ici, les deux attaquants cadrent les centraux adverses alors que les pistons serrent les latéraux adverses. Pendant ce temps, Kakuta se charge d’un milieu axial et va aider à fermer les connexions intérieures avec Fofana…
On se retrouve alors souvent avec cette situation.
Ainsi, l’ASM n’a aucune solution, et Ballo-Touré va balancer le ballon vers les trois centraux nordistes, soutenus par Doucouré.
Lorsqu’une passe intérieure est tentée, Katuta peut jaillir et couper la phase de transition.
Au bilan, Lens n’a quasiment rien concédé défensivement mercredi soir, si ce n’est sur phases arrêtées en début de match. Jean-Louis Leca, souvent fragile depuis le début de saison (62% de tirs arrêtés seulement), a alors répondu présent devant Volland lors du premier quart d’heure et a été sauvé par sa barre sur une tête de Maripan. Pour le reste, R.A.S. pour un Racing qui a arraché une septième victoire méritée en Ligue 1. Avec trois buts et deux passes décisives dessinés lors de ses cinq dernières rencontres, Gaël Kakuta en est l’homme phare. Ainsi, l’international congolais dessine de nouveau ses propres frontières et revient pour de bon en haut de l’affiche au cœur d’un collectif joueur, offensif, culotté. Un collectif qui a donc finalement épousé les qualités de son leader : bel hymne à la liberté.
Par Maxime Brigand