- France
- AS Saint-Étienne
Tactique : Boudebouz, nouveau look pour une nouvelle vie
Reculé d’un cran par Claude Puel au cours de la victoire des Verts face à Clermont début novembre, Ryad Boudebouz a depuis enchaîné trois titularisations dans un nouveau costume de meneur reculé qui lui va à merveille et lui offre l’opportunité de tirer des flèches à sa guise. Décryptage d’un début de mue.
À 31 ans, Ryad Boudebouz vit avec un boulet de forçat attaché aux deux pieds. Un boulet qui pèse son poids : l’Algérien aime son job. « La base de mon problème, dans ce métier, c’est que je l’aime, a ainsi déplié le natif de Colmar, il y a quelques jours, dans un long entretien pour L’Équipe. Je suis vraiment passionné de football. J’y joue même en vacances, avec mes potes.(…)Je peux être tracassé par des problèmes. Mais une fois sur un terrain, je suis un autre homme. J’oublie tout. Un jour, Éric Hély, mon entraîneur à Sochaux, m’a dit : « Toi, ce qui va te sauver dans la vie, c’est que tu aimes le foot. Tu vas toujours t’en sortir. » » Facile à dire, moins à faire lorsqu’un entraîneur – ici Claude Puel, arrivé sur le banc de l’AS Saint-Étienne en octobre 2019 – vous balade entre les cases. Depuis deux ans, Boudebouz a été tour à tour titulaire, remplaçant, indésirable, spectateur, puis joker de luxe et finalement solution idéale. Titularisé pour la première fois depuis mars 2021 lors du derby face à l’OL début octobre (1-1), le numéro 7 est, comme par magie, redevenu un mec qui compte et autour de qui Puel semble avoir finalement choisi de construire pour réussir la mission « survie en Ligue 1 » dans laquelle l’ASSE est embourbée. Par magie, vraiment ? Réponse de Ryad Boudebouz, toujours dans L’Équipe : « Avec l’expérience, j’ai compris que ma situation ne devait pas traverser le collectif et lui faire du mal. Le club est au-dessus de tout, et on doit le sauver. Aujourd’hui, on n’a pas le droit d’avoir des états d’âme ou de la rancœur. Il faut gagner des matchs. Cet état d’esprit vient aussi de mon éducation. J’ai grandi dans un quartier de Colmar où ce n’était pas toujours facile. Je ne dis pas que j’ai galéré, mais que pour trouver les choses, il faut aller les chercher. » Il faut aussi savoir muer, et depuis quelques semaines, une rumeur circule dans les couloirs de Ligue 1 : Boudebouz serait devenu architecte.
Voilà l’affaire : le 7 novembre dernier, l’ASSE peine à exister lors de la réception de Clermont et rentre aux vestiaires avec un 0-0, mais surtout aucun tir cadré au compteur. Claude Puel décide alors de sortir Aïmen Moueffek pour lancer Denis Bouanga, histoire de gagner « en largeur et en percussion ». Résultat : vingt minutes après le retour des vestiaires, les Auvergnats mènent 2-0, ce qui pousse l’entraîneur des Verts à redessiner de nouveau son animation autour d’une défense à trois en phase offensive et d’un Boudebouz reculé pour gagner en qualité sur les sorties de balle. Verdict ? « Il a bien fait vivre le ballon devant la défense et a bien servi les offensifs », analyse le coach stéphanois, fier de son coup et du miracle réussi par ses joueurs, finalement vainqueurs au buzzer (3-2).
À un peu plus de vingt minutes de la fin, face à Clermont, on a vu Boudebouz venir s’intercaler entre Saïdou Sow et Timothée Kolodziejczak. Premier effet : la formation d’un 3v2 à la relance face au pressing clermontois.
De cette position, Boudebouz peut amener sa variété pour sortir le ballon, soit par une passe courte, soit par un jeu long comme ici vers Camara…
… soit par le dribble.
Il a aussi pu faire la différence un cran plus haut avec un peu plus d’espace : ici, il va effacer Gastien et profiter de la nouvelle structure offensive des Verts pour percuter…
… et toucher Bouanga.
Autre petit indice d’une bonne idée : les quelques réflexes défensifs déjà présents. Ici, Boudebouz sort d’abord sur Khaoui…
… puis vient pour couvrir son latéral droit…
… et va sortir un tacle gagnant.
Le Verratti vert
Privé d’Yvan Neyou, blessé, et plus globalement d’un joueur capable de sortir proprement les ballons, alors que son approche demande un lanceur crédible, Claude Puel s’est depuis appuyé sur la bonne demi-heure vue contre Clermont et n’a plus bougé un Boudebouz qui s’éclate comme un gosse. Justification de Puel : « Les premiers ballons devant la défense sont très importants. On avait Neyou, qui est techniquement très bon sous pression. C’est également le cas de Ryad, qui a peut-être moins de volume, mais qu’on essaye de mettre dans les meilleures situations pour qu’il nous soit utile. » Si un joueur peut rapidement paniquer lorsqu’on le prive d’espace et de temps, l’international algérien, lui, s’amuse à jouer avec la pression et n’hésite pas à se créer des casse-têtes pour faire sourire ses potes. « J’ai déjà joué à ce poste plus jeune, et le coach de la réserve m’a fait jouer comme ça aussi, révélait mardi l’intéressé. Je prends des risques, ça aide à la relance, à créer un décalage. Quand je regarde les grandes équipes, elles font la différence comme ça et ça offre des opportunités, donc ce nouveau poste de regista me plaît. » La raison : dans cette fonction plus reculée, l’ancien Sochalien, dribbleur né, devient maître du temps. Il peut toucher énormément de ballons (128 à Brest cette semaine, 109 à Troyes), attirer le pressing adverse, construire des zones de liberté pour ses partenaires dans le dos de ce pressing et faire gagner des mètres à tout un ensemble par la passe ou balle au pied.
À Troyes, Boudebouz a de nouveau décroché au niveau de ses centraux pour aider à la construction verte face au 5-4-1 défensif de l’ESTAC.
Dans cette position, on le voit alors plonger dans la densité…
… jouer avec son garde du corps…
… puis créer un décalage.
Même situation de l’autre côté. Boudebouz est reculé et aide à former un 3-5-2 avec ballon qui occupe de façon cohérente les intervalles adverses.
Après avoir invité la pression de Kouamé et l’avoir effacé par le dribble…
… Boudebouz peut initier un mouvement offensif qui va déboucher sur un centre de Maçon.
Autre séquence à Brest où Boudebouz est trouvé par Moukoudi face au 4-4-2 breton…
… l’Algérien attaque alors l’espace face à lui…
… entre dans la densité, attire le pressing adverse, sort un double contact entre les mailles…
… et peut ensuite trouver Khazri avec du temps et de l’espace.
Boudebouz est aussi précieux pour sortir le ballon par la passe. Ici, à Troyes, Boudebouz est pressé par Chavalerin…
… il va l’éliminer à l’aide de son dribble fétiche…
… puis trouver Krasso un cran plus haut.
Encore plus fort face au PSG…
… Boudebouz va de nouveau inviter le pressing adverse…
… attendre le bon moment…
… et va pouvoir éliminer quatre joueurs du PSG sur une seule passe latérale.
L’homme aux multiples poisons
Précieux dans sa résistance au pressing, Ryad Boudebouz l’est aussi dans sa faculté à trouver ses partenaires de n’importe quelle position. Placé au carrefour des circuits, l’Algérien peut varier les approches, sortir une passe verticale au sol pour les autres créateurs du onze, dégainer dans les airs pour un partenaire lancé en profondeur ou trouver une brèche le long d’un bloc adverse. Dès lors, le néo-quarterback est une arme redoutable et son changement de rôle n’a pas vraiment affecté son nombre de passes clés (quatre à Troyes, trois à Brest).
En trois matchs, on l’a ainsi vu sortir des passes casse-lignes redoutables : ici pour Krasso…
… là pour Hamouma….
… ici pour Aouchiche…
… ou encore là pour Bouanga.
On a aussi vu le numéro 7 des Verts faire parler son jeu long, comme sur cette séquence, où son ouverture vers l’appel croisé d’Hamouma sera un poil trop longue.
Cette nouvelle position offre surtout à Boudebouz un panel de cibles plus important et aide les Verts à multiplier les pistes dans le cœur du jeu tout en ouvrant les couloirs extérieurs aux latéraux.
Il peut aussi encore grimper d’un cran en fonction des situations pour former un triangle entre les lignes.
Reste un aspect crucial de ce rôle : l’apport défensif de Boudebouz, qui a concédé il y a quelques jours ne pas être « défensif dans l’âme » et se contenter pour le moment d’« anticiper certaines choses en pensant comme les 10 en face » lorsque les Verts sont en phase défensive. À ce petit jeu, on l’a vu venir chatouiller Messi face au PSG, récupérer sa dizaine de ballons à Brest, et effectuer des petites pressions pour initier, sur certaines séquences, le pressing de son équipe, confirmant au passage son statut de moteur multi-casquettes. On ne sait combien de temps Claude Puel va jouer avec cette carte, mais Ryad Boudebouz, caution caractère de son équipe, offre une panoplie de poisons qui peuvent faire douter n’importe quel adversaire et offrir de l’air aux Verts. Un objectif désormais : que cet apport se valide en davantage d’occasions et de points pour une troupe qui a décidé de sauver sa peau avec un certain style.
Par Maxime Brigand