- Mondial 2022
- Finale
- Argentine-France 3-3 (4-2, TAB)
Tactique Argentine-France : Retour sur la finale nuancée de Deschamps
Défaits aux tirs au but (3-3, 4-2 TAB) dans ce qui restera peut-être la plus grande finale de Coupe du monde de l'histoire, les Bleus ont jonglé entre plusieurs masques au fil des minutes. D’abord malmenée, puis surprenante et conquérante, l’équipe de France a eu mille vies dans un match sur lequel les choix de Didier Deschamps semblent avoir eu un impact tout particulier.
Nous y voilà. La prophétie tant attendue s’est réalisée. À 35 ans et pour le dernier match de Coupe du monde de sa carrière, Lionel Messi a été récompensé du seul et unique trophée qui manquait à son palmarès. Alors que le globe entier félicite celui qui semble devenu presque officiellement le meilleur joueur de l’histoire de son sport, un pays d’irrésistibles Gaulois se réveille avec la gueule de bois. Après une compétition remplie d’espoir et d’imperfections, les Bleus ont échoué sur la dernière marche, la plus cruelle. Certains restent inconsolables, d’autres fiers d’avoir vécu une finale historique, quelques-uns simplement heureux pour Messi… Quoi qu’il en soit, quelques heures après un match qui marquera toute une génération au fer rouge par sa dramaturgie et son scénario lunaire, le temps des premières conclusions, à froid ou presque, vient. Avertis et bousculés à plusieurs reprises face à la Pologne, l’Angleterre et le Maroc, les Tricolores n’avaient toutefois jamais été autant secoués que durant la première heure face à l’Argentine… Jusqu’à être renversés. D’abord complètement amorphes durant soixante minutes désastreuses techniquement et physiquement, les Bleus ont ensuite profité de la dynamique apportée par certains changements et la magie de Kylian Mbappé pour revenir miraculeusement à 2-2 et pousser l’Albiceleste en prolongation. Se pose alors une question : doit-on féliciter la préparation initiale de Scaloni, incriminer celle de Deschamps, ou louer la réactivité et le coaching du Français ?
Le moteur de la Scaloneta
« Avec mon staff, on savait clairement comment devait jouer cette équipe. » Lionel Scaloni en témoigne, il est un entraîneur au cœur chaud, mais aux idées claires. En s’inclinant une seule fois (1-2 face à l’Arabie saoudite) sur les 42 dernières rencontres pour venir glaner une Copa América, une Finalissima et désormais une Coupe du monde sur les 17 derniers mois, le temps lui donne raison. Véritable caméléon depuis son arrivée au Qatar – et même avant d’ailleurs -, La Scaloneta a brouillé les pistes concernant son organisation avant la finale. S’il n’existait aucun doute concernant la structure de l’équipe de France, le sélectionneur argentin, lui, s’est offert le luxe du choix. 4-3-3 face à la Pologne, 3-5-2 face aux Pays-Bas, 4-4-2 face à la Croatie… Tout y passe, et parfois même au cours d’une même partie. Finalement, pour affronter les Bleus, Scaloni a opté pour un 4-3-3… avec Ángel Di María côté gauche. L’ancien Parisien qui incarne pourtant parfaitement le stéréotype de l’ailier faux pied unijambiste s’est alors vu déporter sur l’autre rive, laissant ainsi son côté droit à Leo Messi après un premier match très difficile sur ce flanc face aux Saoudiens d’Hervé Renard.
Bien facilité par les soucis français, le plan de jeu de l’Argentine se trouve là. Trouver un joueur à l’intérieur pour percuter balle au pied comme peut le faire Enzo Fernández ou jouer dos au but avec Julián Álvarez pour trouver Messi, qui verra ensuite sa diagonale favorite vers le côté gauche s’ouvrir. Le tout bien facilité par les appels intérieurs d’Alexis Mac Allister visant à aspirer Jules Koundé. La France ayant déjà eu du mal à contenir les incursions axiales dans son bloc face à la Pologne de Grzegorz Krychowiak ou l’Angleterre de John Stones, cela a ouvert beaucoup d’opportunités aux Argentins qui ont bien flairé le coup. Le pied d’El Fideo s’est ensuite occupé du reste, qui a, comme souvent, répondu présent dans une finale disputée par l’Albiceleste :
Beaucoup redoutaient le rapport de force entre côté droit, force des Sud-Américains, et côté gauche tricolore, mais c’est finalement Koundé, rarement ciblé jusqu’ici, qui a vu la tempête ciel et blanc s’abattre sur lui.
À la 20e minute, Rodrigo de Paul trouve facilement une passe intérieure vers Enzo Fernández. Le milieu de Benfica se positionne entre Giroud et Griezmann, une zone que la France a souvent peiné à défendre…
Il percute ensuite balle au pied et profite de l’appel intérieur de Mac Allister pour combiner dans l’axe. Pendant ce temps, Di María profite d’une certaine liberté à gauche grâce au déplacement de son milieu qui, de ce fait, aspire complètement Koundé…
Le joueur de Brighton combine alors en une touche avec Álvarez qui profite d’un Raphaël Varane particulièrement reculé…
Jusqu’à trouver la terre promise côté gauche. C’est sur ce ballon qu’Ángel Di María provoquera la faute et le penalty concédés par Ousmane Dembélé.
La grande contagion
Comme si les blessures n’avaient pas déjà assez amoché ces Bleus en cette fin d’année, un mystérieux virus n’a cessé de circuler au sein du groupe ces derniers jours. Adrien Rabiot, Raphaël Varane, Ibrahima Konaté, Kingsley Coman… « Plusieurs joueurs ont été touchés jusqu’à être alités et privés d’entraînement collectif. Tout le groupe a été soumis à une situation que nous avons essayé de gérer au mieux. […] On n’avait pas le dynamisme qu’on avait eu jusqu’à maintenant, et c’est pour ça qu’il n’y a pas eu de match pendant une heure », a déclaré Deschamps après la finale. Alors qu’il semble difficile d’occulter certaines lacunes chroniques à nouveau observées face à l’Argentine et qui ne résultent pas que de l’état physique des joueurs, le prisme du jeu ne peut cependant parfois pas tout expliquer. Face à une Albiceleste survitaminée et souvent à la limite de l’agressivité tolérée, les Bleus n’ont pas pu prendre part à ce combat pendant une heure, faisant parfois preuve d’une passivité étonnante quand on connaît l’âme et le caractère de cette équipe.
Après deux minutes de jeu, Alexis Mac Allister peut tranquillement recevoir le ballon puis s’orienter face au jeu sur une touche dans le camp français, Antoine Griezmann étant toujours dans le flou sur son positionnement…
Le Mâconnais tente alors de se rattraper en poursuivant sa course, bien aidé par Adrien Rabiot, mais la traque française manque d’impact et d’agressivité, le milieu argentin peut alors trouver Messi seul entre les lignes…
Nouvelle prise à deux de Tchouaméni et Upamecano sur le Parisien, mais une fois de plus les Français sont à contre-temps et mal orientés, l’Argentin peut à nouveau écarter sur Di María côté gauche.
De plus, cette fébrilité physique semble avoir contaminé le facteur technique pour des Bleus alors incapables de faire parler leurs pieds les fois où ils ont eu l’occasion de calmer la furia du Lusail Stadium. Aucun tir jusqu’à la 68e minute, aucun ballon touché dans la surface adverse à la mi-temps, des erreurs grossières de Theo Hernandez, Ousmane Dembélé et Antoine Griezmann… Toujours dans la lignée des virus qui touchent cette équipe, un particulièrement frappe l’équipe de France depuis quelque temps : l’incapacité à bien organiser des transitions. La maladresse, la panique, le positionnement plus bas de Griezmann et Dembélé, le profil de Giroud… Tant de facteurs qui ont amputé la France de ses plus grosses munitions, censées légitimer l’approche conservatrice de son sélectionneur.
À la demi-heure, Rodrigo de Paul centre au deuxième poteau, le ballon est bien sorti par Koundé. Dembélé est alors touché pour enclencher une potentielle transition…
Mais le Barcelonais dégage le ballon sous la pression.
Quelques secondes plus tard, Olivier Giroud est trouvé dos au jeu et parvient à trouver en retrait Adrien Rabiot…
Mais le Turinois balance à nouveau devant.
Coaching (presque) gagnant
En effectuant sept changements (cinq dans le temps réglementaire, un en prolongation et un pour commotion) Didier Deschamps a tenté de secouer la fourmilière pour réveiller les siens et tenter de revenir dans un match qui semblait pourtant difficilement renversable. « Je voulais voir quelque chose de différent. On manquait de fraîcheur. Je ne veux pas faire culpabiliser Olivier et Ousmane, qui ont fait beaucoup pour qu’on en arrive là. Aujourd’hui, je les voyais moins bien. Je n’ai pas attendu la mi-temps parce qu’on n’allait pas y arriver. Ça a changé pas mal de choses. Pendant longtemps, il y a une équipe qui a joué une finale de Coupe du monde et pas l’autre. Il a fallu secouer le cocotier pour faire en sorte d’inverser la tendance. »
Dès la 42e minute, Randal Kolo Muani et Marcus Thuram, aux profils plus mobiles pour enfin pouvoir courir vers le but de Martínez, ont fait leur apparition à la place d’Olivier Giroud et Ousmane Dembélé, poussant ainsi Kylian Mbappé en pointe comme en fin de match face au Maroc. Leader de la résistance et presque sauveur de la nation, Kolo Muani a pénétré sur la pelouse avec le même état d’esprit hargneux que face à la Tunisie et au Maroc, matchs dans lesquels il s’était déjà démarqué par son activité à toute épreuve. Celui qui a disputé 22 duels dimanche soir (pour 13 remportés) en 79 minutes jouées a véritablement remis la tête des Bleus à l’endroit du haut de ses cinq sélections, jusqu’à déboucher sur le one man show de Kylian Mbappé. Plus globalement, bon nombre de joueurs sortis du banc ont réalisé une entrée convaincante, bien aidés par le passage en 4-4-2 à la 70e offrant ainsi une structure défensive plus adaptée à tout le monde. Thuram, Camavinga, Coman, Konaté… Tous ont à un moment ou à un autre allumé la lumière pour tenter de réveiller le géant endormi, avec succès.
Quelques minutes à peine après son entrée, Randal Kolo Muani gagne son duel côté droit en s’imposant physiquement devant Nicolás Tagliafico…
L’ancien Nantais s’offre ensuite de l’espace et percute devant lui sans se poser de questions…
Jusqu’à se faufiler entre Nicolás Otamendi et Enzo Fernández pour gratter des mètres, une faute et un carton jaune sur le milieu argentin.
À la fin du temps réglementaire, la France est plus haute, plus proactive sans ballon et arbore son 4-4-2 depuis une vingtaine de minutes. Nahuel Molina décide alors d’allonger côté droit…
Mais De Paul subit instantanément la densité physique d’Eduardo Camavinga, malgré sa position inhabituelle de latéral gauche. L’ancien Rennais défend en avançant et récupère le ballon, bien aidé par Marcus Thuram…
Jusqu’à offrir une position de frappe à Kylian Mbappé quelques secondes plus tard. Le Parisien verra sa tentative déviée au-dessus du but de Dibu Martínez. Corner.
Malgré les nombreuses imperfections et le résultat final forcément déchirant, le Mondial des Bleus a été beau. Finaliste pour la quatrième fois de son histoire, l’équipe de France continue de prouver compétition après compétition qu’elle est l’une des – si ce n’est la – sélections les plus compétitives du globe, notamment grâce à son vivier inépuisable. Un constat partagé par Didier Deschamps lui-même : « L’équipe de France a toujours eu un réservoir très important. Avant la compétition, j’avais des jeunes joueurs qui n’avaient pas une grande expérience internationale et ils ont prouvé qu’ils pouvaient être au niveau. Il y en a d’autres qui ne sont pas là, qui pourront être là à l’avenir. J’ai toujours besoin de cadres pour encadrer cette jeunesse, mais la qualité est là, très importante. Il faut toujours former un groupe, le façonner, pour avoir, en plus de la qualité, un état d’esprit. Je n’étais pas inquiet avant ce Mondial, je ne suis pas inquiet ce soir. On a fait une finale d’Euro, on a gagné une Coupe du monde, une Ligue des nations… Il y a eu cet Euro raté, mais là, on a été en finale. C’est quand même quelque chose. »
La Coupe du monde 2022 aura au moins eu le mérite d’avoir mis des étoiles dans les yeux des Français, à défaut d’en ajouter une sur le maillot. Si les Bleus ont failli dans un match qui aurait pu propulser le football de notre pays encore un peu plus dans les cieux, nul doute pour la France que l’avenir s’annonce radieux.
Par Matthias Ribeiro