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Tactique : Antoine Griezmann, le retour du DJ

Par Maxime Brigand, à Doha
12 minutes
Tactique : Antoine Griezmann, le retour du DJ

Quatre ans après avoir livré un Mondial russe fabuleux, le joueur de l’Atlético a plongé dans la troisième Coupe du monde de sa vie en laissant l’équipe de France se brancher de nouveau sur son cerveau lors de la large victoire sur l’Australie (4-1). Décryptage.

Pourquoi choisir ? Face A : il y a le bon garçon, moderne, pop, à la gueule qu’on balance dans des pubs pour rasoir, qui colore ses cheveux à un âge où certains n’osent plus sortir sans casquette et qui joue au foot avec un pinceau au bout des pieds. Face B : il y a le footballeur pro au cœur de joueur de DH qui, gosse, prenait son pied en étant « prêt à mourir sur un terrain, à tacler dans la boue, à aller chiper des ballons » pour scotcher dans la tête de ses différents coachs l’idée qu’ils avaient entre les doigts un élément hargneux comme peu. Un jour, lorsqu’il était joueur de la Real Sociedad, l’histoire raconte même qu’alors qu’il s’apprêtait à jouer contre Málaga et à affronter Weligton, Antoine Griezmann a vu son entraîneur de l’époque, Martin Lasarte, se pointer et lui dire : « S’il commence à te faire chier, tu prends une poignée de gazon, tu lui jettes à la figure et tu lui dis : « Mange-le. »  » À 31 ans, le numéro 7 de l’équipe de France a passé l’âge de balancer de l’herbe à ses proies. Il n’en a, en revanche, pas tout à fait fini avec les galipettes en short et en crampons. On l’a encore vu, mardi soir, au moment de sauter à pieds joints dans la troisième phase finale de Coupe du monde de sa vie dans un stade de Doha, se marrer en enchaînant les tacles – il en a tenté trois au cours de la soirée et en a réussi deux – et les ballons récupérés – au total, il en a gratté cinq et intercepté un.

Pour moi, Antoine est un milieu de terrain dans l’âme.

L’affaire a même fait poiler ses partenaires de toujours, Hugo Lloris en tête : « J’ai trouvé qu’Antoine a pris beaucoup de plaisir à jouer, faire jouer l’équipe, toucher les ballons, faire les efforts… » Quelques minutes plus tard, Olivier Giroud est aussi venu lâcher deux-trois mots au sujet de son copain, évoquant son « sens du sacrifice » et poussant une fenêtre : « Pour moi, Antoine est un milieu de terrain dans l’âme. » Un milieu de terrain, lui ? Oui, lui, évidemment, même si l’un des hommes qui le connaît le mieux sur cette planète – Diego Simeone, son entraîneur à l’Atlético – a redit en octobre qu’il était avant tout « un attaquant, un pur deuxième attaquant, meilleur que n’importe quel autre ». La vérité est surtout qu’Antoine Griezmann n’appartient à aucune catégorie et s’amuse à déchirer les étiquettes au fil des saisons. En 2018, après la victoire des Bleus en Russie, où il avait volé au-dessus des rencontres en magnifiant les transitions, Simeone avait loué la capacité du Mâconnais à « faire fonctionner une équipe autour de son cerveau ». Quatre ans plus tard, Griezmann s’est contenté de dire, dimanche, dans Téléfoot, qu’il essayait simplement « d’être très complet. J’adore aider mes coéquipiers, et ce, peu importe où je joue… » Ça tombe bien, il fait même un peu plus que ça : il les porte comme un sherpa et il n’y a définitivement rien à choisir. Peu importe où, peu importe quand, lorsqu’on lui donne les platines, le troisième meilleur buteur des Bleus met le feu.

Ce Mondial 2022 lui a pourtant offert une nouveauté : un nouveau rôle, de milieu relayeur droit dans un 4-3-3, que certaines voix voulaient le voir occuper depuis belle lurette. Saugrenu ? Bien sûr que non. « C’est une position où il peut amener de la fluidité quand l’équipe est sous pression. C’est un joueur décisif, hyper généreux et très actif, estimait l’entraîneur du RC Lens, Franck Haise, dans les pages de L’Équipe mardi matin. Ce qui est intéressant, c’est qu’il est capable de créativité, mais aussi d’être hyper discipliné dans la récupération du ballon. Il est assez malin pour trouver les bonnes zones pour arriver à être décisif. Son intelligence fait qu’il connaît les moments où c’est nécessaire d’être un peu plus bas ou quand il va pouvoir remonter d’un cran. » Installer Antoine Griezmann en troisième milieu, chargé de faire l’ascenseur entre les différents étages du terrain, Deschamps y songeait depuis un moment, forfait de Karim Benzema ou non. Pour accompagner une équipe de France amputée de son interrupteur en chef (Paul Pogba) et en quête de créativité à la construction, le sélectionneur a donc décidé de tenter le coup pour attaquer la défense de son titre, au Qatar. Et le test a été plus que concluant : les Bleus, bien que surpris après moins de dix minutes de jeu, ont fini par largement s’imposer face à l’Australie (4-1), et Griezmann a de nouveau laissé ses potes brancher leurs câbles à ses idées. Pour le meilleur.

Plan à trois et chaos

Le meilleur, car dès les premières secondes, le Madrilène aux 111 sélections, très libre de circuler, a vite confirmé sa réputation de formidable lecteur d’espaces et a excellé dans ses déplacements combinés. Lloris : « Ça n’était pas un poste habituel pour lui, mais il a quand même pu se balader un peu partout. C’est notre leader technique, et il a aidé à ce que l’équipe soit bien équilibrée. » Face à une Australie repliée en 4-5-1, il était indispensable d’avoir un DJ capable de mettre du rythme, d’engendrer des mystères et du stress dans les esprits pour fissurer le bloc adverse. Antoine Griezmann a pu sans souci assumer ce rôle, bien relayé par Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé, même si, au-delà des percussions incessantes des deux bolides balle au pied dans les couloirs, on pourra regretter le trop petit nombre d’appels généreux qui auraient pu faire encore un peu plus douter la ligne défensive des Socceroos. Principalement positionné dans le demi-espace droit, jamais très loin de Benjamin Pavard et Dembélé, le joueur de l’Atlético a eu tout le loisir de décrocher devant la deuxième ligne de pression adverse, de multiplier les touches (88 ballons touchés sur la soirée, soit le cinquième plus haut total français) et de régaler ses partenaires offensifs. Sa relation avec ses deux partenaires du côté a notamment été très riche.

Dès la trentième seconde, on a vu Benjamin Pavard occuper une position très intérieure afin de faire douter le duo Goodwin-McGree…

Bien aidé par le positionnement également recentré d’Ousmane Dembélé, chargé de fixer l’attention de Behich pour le confronter le plus possible à des situations de un-contre-un, Griezmann a ensuite pu être régulièrement trouvé par Konaté dans cette position, qui lui permet d’avoir tous les angles de passes ouverts…

Il a alors souvent pu échanger avec Dembélé. Cette séquence se terminera par un centre du joueur du Barça en direction de Mbappé.

Variante 25 minutes plus tard : on retrouve Pavard dans sa position intérieure, qui assure aussi ici un marquage préventif, alors que Griezmann attire avec lui le latéral gauche australien – Behich – vers l’intérieur. Dembélé est ainsi libéré…

… et peut être trouvé par l’audace d’Upamecano.

Une fois la passe latérale effectuée, Pavard déclenche un appel extérieur, une situation de deux-contre-deux est créée : Griezmann attaque l’espace ouvert et sera contré par Rowles.

Autre séquence avant la pause : Griezmann est au départ, collé à la ligne, et joue en retrait avec Pavard. Pendant ce temps, Dembélé rentre à l’intérieur et occupe Behich…

… après une phase de possession d’une dizaine de secondes, l’espace s’est ouvert grâce à un décrochage encore plus prononcé de Dembélé, combiné à un autre de Giroud. Upamecano le voit et lance Griezmann en profondeur…

… au bout, centre pour Mbappé et reprise juste au-dessus.

Si l’équipe de France a réussi à inverser logiquement le score grâce à une tête de Rabiot et à un but de Giroud à la suite d’une bonne phase de pressing enclenchée par le milieu de la Juventus, elle a ensuite déroulé en seconde période, même si tout n’a pas été parfait dans l’utilisation du ballon. Olivier Giroud, arrivé à hauteur du record de buts de Thierry Henry mardi soir, n’a, par exemple, quasiment jamais été sollicité lors du premier acte – sa première vraie combinaison avec Mbappé a eu lieu à l’heure de jeu – et Aurélien Tchouaméni, généralement seul devant la paire Upamecano-Konaté, a parfois été un peu trop neutre à la construction, même s’il s’est libéré au fil de la soirée. Alors, Griezmann, affamé, ciblé par Lloris sur les relances et souvent bien étagé avec Rabiot, s’est démultiplié pour engendrer un minimum de chaos. Et ça a payé.

Graphique fourni par la FIFA de la répartition, après une quarantaine de minutes de jeu, des pénétrations dans le dernier tiers australien. La répartition des attaques bleues en première période a alors été assez claire.

Lassé de ne pas voir le ballon lui arriver dans les pieds, Griezmann a, en réaction, souvent décroché comme sur cette séquence pour se connecter avec le côté gauche…

C’est aussi le milieu qui a fait sauter le plus de lignes et tenté le plus de passes de ce type (celle-ci, vers Rabiot, sera trop longue, mais l’idée était là).

Sa relation avec Kylian Mbappé a également été optimale : ici, il va venir décrocher demi-espace gauche, prendre l’info…

… parfaitement s’orienter dès la prise de balle…

… puis placer Mbappé dans une position mortelle.

Autre exemple de décrochage…

… et de la relation Griezmann-Mbappé, saupoudrée d’une subtile passe cachée.

Encore une autre.

Sans ballon, Griezmann a aussi ouvert parfois des espaces à l’attaquant du PSG, comme sur cette situation, où il lui ouvre une porte en attirant un central australien et laisse Tchouaméni envoyer une belle ouverture.

Sur le même modèle, on a vu le Français combiner avec Theo Hernandez…

… et ne pas passer loin de marquer.

Enfin, on l’a vu être un appui pouvant être précieux, notamment pour Pavard.

Un bloc encore ouvert sans ballon

Assez brillant avec ballon, Antoine Griezmann a malgré tout vu le bloc français peiner – et c’était l’une des principales questions du soir – à s’ajuster lors de certaines phases sans ballon. L’Australie n’a pourtant pas changé drastiquement et a de nouveau construit ses séquences avec une sortie en 2+3, où les latéraux (Atkinson et Behich) venaient serrer aux côtés de Mooy et libérer les couloirs aux ailiers (Leckie et Goodwin). De moins en moins précis au cours de la rencontre, les Socceroos n’ont heureusement pas su appuyer plus que sur l’action qui a vu la tête d’Irvine toucher le poteau dans la zone ouverte à droite de Tchouaméni (celle de McGree, d’abord difficile à canaliser). Organisée en 4-1-3-2 ou 4-4-2 sans ballon selon les hauteurs, avec Griezmann chargé de contrôler Mooy et de serrer aux côtés du milieu du Real ensuite, l’équipe de France a du boulot, et Olivier Giroud a tenu à le pointer après la rencontre : « Ce soir, c’était… différent. Il faut encore qu’on trouve nos repères, nos automatismes, notamment quand on n’a pas le ballon. On n’a pas toujours su gêner la sortie de balle adverse et en début de match, on a pu céder des décalages, laisser l’Australie trouver des passes entre les lignes facilement… » « Oui, tout est perfectible, a poursuivi Deschamps. Si j’ai fait ce choix d’animation, c’est avec l’objectif de mettre une équipe qui soit capable de créer des problèmes à l’adversaire. Ça a été le cas, mais c’est vrai que par moments, on a pu être en déséquilibre par des placements qui peuvent être corrigés. » Il faudra aussi faire des choix collectifs d’orientation, au risque de revoir trop souvent des scènes où les attaquants – Dembélé et Mbappé en tête – veulent partir chasser haut et où les autres lignes de pression ne suivent pas. La plus marquante a vu, à la 17e, l’Australie sortir sans trembler d’un « pressing » bleu en appuyant dans le dos d’Ousmane Dembélé. Dans le foot, le pressing est, comme le disait Coco Suaudeau, un révélateur de « l’état d’esprit d’une équipe, de sa mentalité, sa combativité, sa réflexion. Le pressing est l’action la plus collective qui soit. » Sans schéma clair, le bloc devient vite perméable, trop étiré sur la largeur et donc ouvert à tous les vents. Sur ce point, ce premier match a été un nouvel avertissement.

Mardi soir, certaines scènes ont fait tiquer : ici, Antoine Griezmann s’interroge clairement sur la manière dont son pressing doit être posé.

Sur la même séquence, Tchouaméni lui dit de s’occuper de Mooy…

… et lui indique au joueur du Real de surveiller McGree.

Plus tard dans la rencontre, il est possible de noter une amélioration, mais on est encore loin du bloc ultra court et compact de 2018.

Sur l’action qui a mené au poteau d’Irvine, l’Australie a su appuyer sur une zone Tchouaméni-Griezmann qui doit encore se régler, le joueur de l’Atlético peinant encore à se situer dans le double pivot dans les phases de 4-4-2, alors que celui du Real doit parfois naturellement coulisser par protection de zones.

Sportivement, c’est cette animation sans ballon souvent bancale qui a déjà participé à l’échec du dernier Euro des Bleus. Ce sera de nouveau le principal chantier du staff tricolore avant de retrouver le Danemark, les récents coups reçus à Copenhague n’ayant, on l’imagine, pas été oubliés. C’est ici une question de réglages, de souvenir et de choix : le but du 2-1 n’est-il pas arrivé au bout d’un pressing haut bien ficelé ? Ces Bleus peuvent-ils le répéter ? Deschamps assumera-t-il sur la durée le risque d’un Griezmann impliqué, mais qui peut ouvrir beaucoup d’espaces dans son dos et exposer Tchouaméni ? À méditer, tout comme d’autres points, plus positifs, à commencer par la performance de Dayot Upamecano, droitier à gauche, ce qui l’a aidé à toucher avec aisance un Kylian Mbappé déchaîné dans des positions idoines, l’entrée intéressante de Theo Hernandez pour remplacer le malheureux Lucas (ce qui a fait basculer l’animation offensive dans un 3-2-4-1), ou celle de Rabiot, notamment intéressant dans le contre-pressing et la compensation. Il y a surtout eu le match à choyer de Griezmann avec ballon, à la fois cuisinier et serveur d’un soir. Cet ensemble à l’animation asymétrique reste une bonne base pour commencer une aventure mondiale qui a débuté comme la précédente s’était terminée : avec quatre buts marqués et de quoi potasser malgré le succès.

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