T.Cascarino : chronique d’une présaison

Il n’y a pas si longtemps, pour certains joueurs, la présaison débutait avec un voyage au supermarché. Ils achetaient des sacs poubelles noirs, y faisaient des trous pour la tête et les bras, dans l’espoir que la chaleur les aiderait à évacuer le surplus accumulé pendant l’été. Je me souviens quand j’étais assis dans la caisse de Terry Hurlock, l’ancien joueur de Millwall, qui nous conduisait du terrain d’entraînement au stade. Il gardait son sac poubelle et mettait le chauffage à fond, transformant la voiture en sauna pendant que nous roulions dans les rues du sud de Londres, suant des seaux en écoutant T-Rex et Showaddywaddy.

Quand je jouais, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les joueurs revenaient pour la nouvelle saison hors de forme, en ayant pris beaucoup de poids. La plupart avaient l’habitude de laisser pousser leurs cheveux, et de ne rien foutre si ce n’est boire et manger. Chambrer le joueur le plus gros de l’effectif était un rituel de Juillet. Et oui, parfois j’en étais la victime.

Je pense que nous nous entraînions bien plus durement que les joueurs modernes, nous le devions. Non seulement jouions-nous beaucoup de matchs, souvent sur des terrains très boueux, nous commencions du niveau inférieur. De nos jours, les footballeurs prennent soin d’eux, notamment grâce à l’influence des étrangers. Tout est question d’attitude et de diététique. Je repense aux dures sessions d’entraînement, après lesquelles je gâchais tous les efforts fournis dans un Chip Butty (un sandwich de frites… ndlr).

Maintenant, les joueurs ont moins de temps de vacances – souvent plus proche des trois semaines que des six dont je disposais – et peuvent venir au centre d’entraînement une à deux fois par semaine pendant l’été pour garder la forme. Même les clubs de bas niveau donnent à leurs joueurs des instructions strictes de fitness et c’est tout un scandale si vous avez deux kilos de trop. Votre masse graisseuse et votre niveau de forme sont mesurés et contrôlés par informatique, donc il est impossible de travestir la vérité.

L’approche scientifique implique que les programmes d’entraînement peuvent être établis dans les moindres détails et individualisés. Les managers n’altèrent pas leurs plans par rapport aux résultats de présaison. Perdre contre une équipe largement inférieure en amical ne leur fait rien tant qu’ils savent que leurs joueurs reviendront progressivement à leur meilleur niveau, en vitesse et en puissance jour après jour.

A mon époque, les deux premières semaines d’avant-saison servaient à récupérer, à redécouvrir l’endurance effritée par votre paresse durant l’été. Le ballon était comme une menace, on pouvait passer plusieurs jours sans en voir un. J’étais souvent très nerveux à l’idée d’aller à ces sessions, que j’appelais “les sessions gerbe”. Entraînement double, courses d’endurance. Pas fun du tout. Vous pouviez vous attendre à choper cloques et ampoules, voire pire : il y avait de grands risques de blessure.

Une fois, j’ai accepté de faire “un tour de parc” avec quelques coéquipiers ultra motivés. « Un tour, ce n’est pas si grave » pensais-je. Malheureusement, le parc en question était le Richmond Park, le plus vaste de Londres dont le tour faisait 12 kilomètres. Une des meilleures anecdotes concerne Brian Clough et un parc. Il rassembla son équipe de Nottingham Forest. « Ok les gars » dit-il. « Jusqu’au prochain arbre, et on revient » . Silence confus. Puis quelqu’un lance : “Mais il n’y a aucun arbre en vue”. « Putain, on va trouver un » . Les joueurs sont alors tous partis dans des directions différentes.

Depuis que les joueurs des temps modernes maintiennent leur niveau d’endurance pendant l’été, ils peuvent commencer à retoucher le ballon bien plus tôt, et c’est une manière de mieux échelonner leur préparation, pas de sauter à pieds joints dedans. Ça ne leur prend pas plus d’une à deux semaines pour retrouver le niveau qu’ils avaient en mai.

Un bon mois de juillet est crucial pour avoir une saison riche et glorieuse. Comme on dit : “La présaison, c’est comme de l’argent à la banque”. Avec la forme et la santé, vous avez assez d’endurance, d’énergie, pour traverser la saison. Vous vous sentirez aiguisé et votre forme vous portera lors des inévitables creux qui surviennent pendant la campagne. Ce n’est pas une coïncidence si des joueurs ayant manqué la présaison réalisent une mauvaise saison, d’ailleurs il sera intéressant de voir ce que fera Cristiano Ronaldo en 2008-2009 étant donné qu’il sera absent jusqu’en septembre.

Tout comme l’aspect physique, il faut travailler le mental. C’est comme une nouvelle aube, un nouveau départ. Beaucoup de clubs ont de nouveaux entraîneurs, de nouveaux joueurs. C’est le temps de l’optimisme. Les joueurs à l’écart sont peut-être à une blessure ou une bonne performance de revenir dans les plans du manager.

Un doute sur votre place dans l’équipe peut subsister car les managers ont l’air de savoir exactement qui ils veulent et peuvent attendre pour récupérer leurs premiers choix. Jusqu’à ce que la fenêtre des transferts se ferme fin août, il peut y avoir des feuilletons à rebondissements, donc les managers peuvent avoir des idées sur leur future équipe avant même de rappeler les joueurs en juillet.

Avant le début de la Premier League, les clubs partent à la recherche d’endroits exotiques et voient la présaison comme un moyen de faire de l’argent. Moi, je suis allé dans ces coins pas glamour du tout d’Angleterre, j’ai pris part à des voyages au fin fond de la Scandinavie. Des expériences pas forcément utiles… Les voyages en car interminables vers des villes ternes et désertiques, pour jouer contre des équipes regroupant les hommes les plus forts du monde, montés comme des Vikings, qui se réjouissaient de nous botter le cul.

Les camps d’entraînement étrangers offrent souvent des conditions climatiques meilleures, une chance pour l’équipe de se souder et pour le manager de garder l’œil sur ses joueurs, et les tournois internationaux de présaison ont ce côté plus tranchant que les amicaux, donc ça vous donne une motivation morale supplémentaire si vous gagnez.

Mais il y a aussi le risque que les joueurs s’emmerdent. Les stars acceptent le fait d’aller loin pour jouer des matchs d’exhibition, ça fait partie du job, mais la perspective de longs voyages, à rester cloîtrés plusieurs jours dans un hôtel, ne les excite pas vraiment notamment parce qu’ils font ça toute la saison. Ils ne visitent pas le pays dans lequel ils séjournent.

Alors on peut se demander si les joueurs de Manchester United sont vraiment excités à l’idée de partir en Afrique pour la présaison. Au moins, il fera chaud – ils n’auront pas besoin de s’envelopper dans des sacs poubelles.

Par Tony Cascarino, dans The Times, Angleterre

Traduction : Pierre Maturana