- 30 avril
- Journée internationale du jazz
Syncopes et contretemps au FC Jazz
Comme chaque année depuis 1966, la charmante petite bourgade de Pori, en Finlande, s'apprête à vivre pendant une semaine au son des plus grands artistes de jazz de la planète réunis pour le Pori Jazz Festival. Un événement tellement important que même le club de la ville a décidé de lui rendre hommage.
Nul doute qu’en Finlande, et plus particulièrement au bord du Golfe de Botnie, le jazz est plus populaire que le football. Il faut dire que si les stars du ballon rond ne se sont jamais retrouvées en Suomi, cette région est depuis longtemps la terre des trompettistes et des claviéristes accomplis. B.B. King, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Ray Charles, Ringo Starr, Stevie Wonder et des centaines d’autres artistes se succèdent depuis près de 50 ans sur les scènes du Pori Jazz Festival. Une renommée internationale dont aimerait bien profiter le FC Jazz, anciennement Porin Pallo-Toverit, qui a changé de nom dans l’espoir de briller un peu plus. Englué en Ykkönen, la deuxième division finlandaise, le FC Jazz aimerait bien aller swinguer avec les big bands de Veikkausliiga, la première division. Parce qu’au final, il faut bien maîtriser le bebop, le chabada et le walking bass pour pouvoir jouer dans le bon tempo, non ?
Des temps faibles, des temps forts
Fondé le 22 septembre 1934, le Porin Pallo-Toverit regroupe avant tout les ouvriers de la ville, qui rejoignent en masse la nouvelle institution. Le club rejoint d’ailleurs rapidement le Työväen Urheiluliitto, l’équivalent de notre bonne vieille FSGT. Le 4 octobre 1934, le PPT dispute et perd son premier match officiel contre le rival du Porin Pyrintö. En 1935, alors que les femmes n’ont même pas le droit de vote en France, Emil Korpela, le premier président du club, décide de créer une section féminine. Elle verra d’ailleurs le jour dix ans plus tard, le 16 février 1945. En avance sur son temps, le PPT, ce qui n’est pas vraiment une bonne chose quand on parle de jazz. En 1966, lors de la première édition du festival, le club ne fait pas vibrer grand monde avec sa triste saison. Le PPT termine dans le ventre mou de la seconde division et laisse au jazz le soin d’animer la petite bourgade.
Bob Dylan, Bobby McFerrin, Joe Cocker, Muddy Waters, Chuck Berry… les grands noms défilent chaque année sur la scène à mesure que les saison médiocres du PPT s’enchaînent. Alors, « quand une nouvelle équipe de direction a pris la tête du club en novembre 1991, ils ont voulu changer le nom pour des raisons purement marketing. Ils ont eu des discussions avec la mairie, et ils sont tombés d’accord sur ce nom, plus cool, plus moderne. Bien que ce soit évidemment un nom un peu particulier pour un club de football » explique Tomi Leivo-Jokimäki, le manager du club. Comme on ne peut pas changer le nom d’un groupe sans s’attirer les foudres du public, le nouveau FC Jazz ne plaisait à personne. « À cette époque, j’étais joueur dans le club. Je me souviens du tollé que ça a fait. Les gens étaient très en colère. Ils aimaient l’ancien nom du club, ils représentaient plus de choses pour eux. »
Les Golden nineties
Si la France a découvert le jazz pendant les années folles, dans l’entre-deux guerres, le monde du football a – un peu – découvert le FC Jazz pendant les années 1990. Le changement de nom est finalement accepté par les fans, qui ne boudent pas leur plaisir devant les bons résultats de l’équipe. « Avec le temps, les gens ont fini par comprendre. Il faut dire qu’à l’époque, d’un point de vue sportif, tout allait pour le mieux. En 1992, nous avions terminé troisièmes de la Veikkausliiga. En 1993, nous avions remporté le championnat, comme quelques années plus tard, en 1996 » , se souvient Tomi, qui a participé, en tant que joueur, à ses beaux moments. Forcément, ces bons résultats en championnat sont synonymes de coupes d’Europe.
En 1994 et 1996, le FC Jazz dispute la Coupe UEFA et se fait sortir au premier tour par Copenhague et le Dynamo Moscou. En 1997, les rois du cool jazz jouent même le tour préliminaire de la Ligue des champions, et se font sèchement sortir, au deuxième tour, par le Feyenoord. Mais si le nom insolite du FC Jazz peut sonner familier aux oreilles d’un public français averti, c’est que les Finlandais ont affronté le Paris Saint-Germain, en 2001, au deuxième tour de la belle Coupe Intertoto. « Contre le PSG, je n’étais plus joueur, mais je me souviens très bien de ces matchs. On perd 3 à 0 à Paris, puis 4 à 1 chez nous. » Sans regrets, de toute façon, puisque le PSG s’en ira gagner la petite européenne, avec un autre club français, l’ESTAC, et Aston Villa. Depuis, le FC Jazz est un peu retombé dans l’oubli.
Quelques notes de saxophone
Et si ce moins bien venait d’un manque de musicalité ? Il n’y a pas si longtemps, les joueurs comme Tomi appréciaient le jazz. « Quand j’étais joueur, pendant la belle période des années 1990, nous allions tous les jeudis, avec nos copines, voir des concerts. À l’heure actuelle, le club n’offre pas de billets pour le festival aux joueurs ou aux membres du staff. Dans les années 1990, tous les joueurs avaient le droit à deux tickets pour aller au festival » se souvient-il, un brin nostalgique. Alors forcément, pour la journée internationale du jazz, il peut bien se laisser aller à une petite analogie. « Si le Jazz FC était un musicien, ce serait un saxophoniste. C’est un instrument magnifique, du coup, ça collerait à notre belle équipe. J’adore le ton et la chaleur du saxophone, c’est vraiment un instrument très sexy. » À terme, pourquoi pas imaginer une compétition internationale des villes qui swinguent au rythme du jazz ? De quoi voir de belles rencontres entre Pori et Montreux, la Nouvelle-Orléans et Chicago, des matchs âprement disputés pour aller soulever la coupe Duke Ellington avec Chameleon d’Herbie Hancock en fond sonore. « Ce serait une bonne idée, je vais aller en parler à la direction. Toutes les villes seraient heureuses de créer un championnat pareil, je pense que ça serait un plus marketing pour nous et pour elles. »
Par Gabriel Cnudde