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Sylvinho, étrange étranger
Il a 45 ans, est brésilien, a joué à Arsenal et au Barça, mais n'a surtout jamais coaché aucune équipe première. Voici Sylvinho, nouvel entraîneur de l'Olympique lyonnais !
Hier en fin d’après-midi, deux symboles sont morts. Impolis, ils sont partis sans prendre la peine de dire au revoir, tombés sur le champ de bataille de la vie alors qu’on les pensait immortels. Le premier, c’est Grumpy Cat. Petit chat à gueule renfrognée devenu star d’internet, sept ans au compteur, ce qui, si l’on s’en réfère à Doctissimo, équivaudrait à 44 berges humaines. Infection des voies urinaires, a confié sa propriétaire aux médias. Fatal, mais indolore, c’est déjà ça. Et dans la foulée, alors que les mouchoirs étaient encore humides, deuxième décès, celui-là plus jeune : après 32 ans d’une existence en montagnes russes, il n’y aura pas l’an prochain d’entraîneur français à l’Olympique lyonnais. Le premier étranger de l’OL ère-Aulas, le second de l’histoire du club, ajoute-t-on souvent, manière de citer Vladimir Kovačević et la Yougoslavie du début des années 1980. Sylvinho, drôle de choix.
Contre-pied parfait
Surtout, personne ne s’y attendait. On soufflait que Mourinho était intéressé – foutaises –, que Laurent Blanc avait le profil, que Lamouchi tenait la corde. Mais après avoir intronisé Juninho en tant que directeur sportif du club – information qui devrait être confirmée ce soir après le match contre Caen, que le président a préféré à la finale de la Ligue des champions féminine disputée par les siennes contre Barcelone –, tout s’est accéléré. Aulas, qui a pour ambition de succéder à Noël Le Graët à la tête de la FFF en 2020, délègue lentement ses pouvoirs décisionnaires sportifs au sein de l’OL, lui faisant dire il y a moins d’une semaine que le club ferait « appel à des anciens joueurs et des coachs qui ont, sur le plan international, vu d’autres choses que ce qu’on propose à Lyon » . Voir autre chose, essayer différemment. Difficile de taper plus juste ensuite qu’avec le couple Juninho-Sylvinho où le second a été débauché par le premier, eux qui n’ont joué qu’un seul match officiel ensemble, au Venezuela, lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2002. Le Brésilien, en poste comme adjoint de Tite jusqu’à hier et officiellement parti pour « un grand club européen » , aurait donc été incapable de résister à l’appel du terrain après huit ans en tant que second.
Deux mois après la fin de sa carrière de joueur, en juillet 2011, il avait intégré le staff de Cruzeiro en tant qu’entraîneur adjoint, poste occupé ensuite à Recife, à Náutico, aux Corinthians, à l’Inter puis, depuis 2016, en sélection brésilienne. Aucune expérience de coach principal sur le CV, donc, lui qui avait même refusé le Graal alors qu’il assistait Roberto Mancini en Italie, lorsqu’on lui avait proposé de prendre les Corinthians. Drôle de pays que la France du foot, qui embauche sans expérience – Stéphan, Henry, Macron – quand sa société demande à ses stagiaires en entreprise d’avoir bac +5. Bref. Sylvinho est donc un coach sans passé, recruté sur la base d’une seule chose : ce que Juni en sait. Wagner Mancini, qu’il a assisté à Cruzeiro en 2011, décrit avoir été séduit en une conversation. « Il avait déjà une grande maîtrise de l’aspect tactique du jeu et aussi dans le relationnel avec les joueurs, a-t-il confié à L’Équipe. Il ne va pas renier le footballeur qu’il était. Il sera donc un coach tactique, exigeant sur l’organisation tout en donnant une certaine liberté quand son équipe aura le ballon. Il va vouloir la possession, mais avec des transitions offensives rapides et surprenantes. » Voilà des poncifs qui n’ont pas grand-chose de révolutionnaires, mais qui promettent en filigrane un jeu de transition qui colle avec les forces de l’effectif lyonnais.
Polyglotte, discret, embobineur
Ce recrutement, davantage que le reste, dessine le début d’une révolution à Lyon. Les premiers traits de crayon d’une ère sans Jean-Michel Aulas, ou en tant cas dans un rôle moins omniscient, laissant son bébé à ceux qui ont fait partie de sa croissance. Dans les faits, l’organigramme reste peu ou prou identique : Coupet sera toujours entraîneur des gardiens et Gérald Baticle toujours adjoint. Quant au rôle de Florian Maurice, son ancien coéquipier à Vigo et aujourd’hui responsable de la cellule recrutement, il reste à définir avec l’arrivée de Juninho, mais n’est pas encore annoncé sur le départ. Le futur recul aulassien aurait également pour conséquence de modifier le profil des coachs du club. Fini les gendres idéaux – Garde, Genesio, Fournier, Domenech –, place à un management d’homme, sans doute amené par la mauvaise gestion des ego cette saison. Sylvinho, dit-on dans la presse brésilienne, est un agité du bocal. Un transcendé de la pelouse, colérique, habile comme pas deux dans la langue de bois et, surtout, polyglotte. Avoir été joueur à Arsenal, Vigo, Barcelone et Manchester City lui confère déjà trois langues, alors que Marco Aurélio Cunha, actuel coordinateur du football féminin à la CBF, jure qu’il « va apprendre le français en trois mois » .
Le Brésilien, œil de Tite en Europe, connaît déjà un peu le championnat de France pour y avoir régulièrement observé de potentiels sélectionnables, et avait notamment été aperçu au Vélodrome l’an passé pour superviser Luiz Gustavo et Malcom lors d’un OM-Bordeaux. Que penser donc ? Aulas, pour la première fois de sa vie, confie son enfant à deux nounous dont c’est la première garde. Juninho n’a jamais été directeur sportif, Sylvinho n’a jamais été entraîneur principal. Les références ne manquent pas, d’un côté comme de l’autre, mais aucun, strictement aucun moyen de connaître leur niveau de compétence respective. La rapidité des négociations est aussi un mystère : faut-il être rassuré d’une affaire qui roule ou inquiété par tant de célérité ? Et puis, aurait-il été embauché s’il s’appelait seulement Sylvain ? Une chose est sûre : le peuple lyonnais s’était vu promettre un « coach expérimenté » , il tire actuellement la gueule de Grumpy Cat. Du reste, c’est un sacré pari.
Par Théo Denmat