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Sylvain Ripoll : « Prêts pour lancer le sprint »
Voilà 13 ans que l'équipe de France espoirs ne s'était pas qualifiée pour l'Euro espoirs, débuté ce dimanche. Une compétition que va découvrir aussi le sélectionneur des Bleuets, Sylvain Ripoll. Et pour les quinze jours à venir en Italie, le Breton a établi plusieurs objectifs : d'abord offrir un beau visage de la jeunesse française, sortir de la phase de poules pour se qualifier pour les JO 2020 (ce qui n'est pas arrivé depuis 1996), pourquoi pas soulever un trophée que la France n'a pas remporté depuis 1988, et surtout préparer l'avenir des Bleus, les grands.
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant d’entamer cet Euro U23 ?Surtout impatient. On a hâte de démarrer et de construire notre aventure, même si elle a démarré il y a deux ans. Personnellement, je n’ai pas eu le plaisir de disputer une grande compétition en tant que joueur international. Je sais qu’un championnat d’Europe espoirs est quelque chose d’assez énorme. J’ai hâte de découvrir tout cet environnement, toute cette excitation qu’il peut y avoir autour d’une compétition internationale.
Vous parlez d’attente et de hâte : elles sont d’autant plus énormes que ça fait treize ans que la France n’a pas participé à la phase finale de l’Euro espoirs. Est-ce qu’on vous a mis la pression ?Dès que je suis arrivé à la Fédé, j’ai senti qu’il y avait beaucoup d’attentes. C’est vrai que ce temps passé sans disputer une compétition majeure, ça a pesé un petit peu. D’où la volonté de voir cette sélection d’équipe de France espoirs bien se comporter sur cet Euro.
Souvent, les échecs précédents étaient liés à des écarts disciplinaires (le taxi de Griezmann & co ou le chambrage de Kurzawa). Est-ce que l’accent a été mis sur l’état d’esprit irréprochable ?
On ne m’a pas passé de commandes particulières, si ce n’est de faire les choses à ma façon. J’ai souhaité qu’on soit irréprochables et très respectueux des valeurs du collectif. Ce sont des choses qui, on le sait, permettent à un groupe d’aller loin sainement. Sans ça, c’est très difficile de réussir au haut niveau. On a la certitude d’avoir du potentiel individuel dans toutes les lignes et d’avoir des joueurs de grande qualité, mais, quand on voit les douze équipes qui seront à l’Euro, la différence va certainement se jouer sur des choses comme ça. Adopter des comportements, des attitudes, être tourné vers les autres ou avoir la volonté de continuer cette aventure ensemble, c’est capital.
L’affaire avec Jean-Kévin Augustin, quand il décline la sélection en septembre dernier, vous a-t-elle mise en difficulté ? Non, car on a eu le temps de discuter avec lui sur ce qui s’est passé. Maintenant, il y a des choses que j’ai jugées pas acceptables et qui, à un moment donné, l’ont éloigné de la sélection. C’était pour moi logique par rapport à la feuille de route que je m’étais fixée.
D’après un entretien qu’il a donné à L’Équipe, il semble avoir compris ses erreurs. Vous avez pensé à le rappeler ? Oui, quand on constitue une liste, il y a beaucoup de choses qui entrent dans le cadre de la réflexion. Des choses peuvent affecter, mais ce sont toujours des choix sportifs au départ. Jean-Kévin est surtout pénalisé par son manque de temps de jeu sur la phase retour, où il n’a quasiment pas joué (138 minutes et 6 apparitions depuis janvier, N.D.L.R). Et oui, il y a des choses qui se sont passées qui ne sont pas des facteurs favorables. Il ne faut pas le nier.
Dans votre façon de gérer le groupe, on note des points communs avec la méthode Deschamps. C’est quelque chose qui est recherché à l’échelle fédérale ?Il n’y a pas de choses programmées, juste des critères que l’on partage sur ces aspects-là. Mais il n’est pas question de faire du copier-coller de quoi que ce soit. Les Espoirs n’ont pas vocation à être une copie des A, même s’ils sont une source d’inspiration exceptionnelle par rapport à ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils ont réalisé. Mais il faut aussi que chaque sélection ait sa propre identité, les joueurs ne sont pas les mêmes, leurs caractéristiques non plus.
En deux ans, vous avez aussi imposé une notion de groupe, sur et en dehors du terrain, pas toujours facile à mettre en place dans cette catégorie. Quels sont les ingrédients pour y parvenir ?La grosse différence avec le quotidien dans un club, c’est déjà de prioriser son travail et ses idées. Parce qu’on a moins de temps et il faut dégager de grands principes sur lesquels on s’appuie. C’est l’avantage d’avoir des joueurs de haut niveau qui sont capables de vous faire gagner du temps du point de vue tactique. Ils sont censés comprendre les choses plus vite, s’adapter à des scénarios différents plus rapidement, avoir de bonnes réponses dans différentes situations.
En ce sens, l’absence de votre capitaine et pilier Abdou Diallo sera-t-elle préjudiciable ?Il est évident que si Abdou a fait l’intégralité de cette campagne de qualification, si je lui ai donné des responsabilités, c’est que j’estimais qu’il était bon pour le groupe et que c’était bien qu’il soit avec nous. Maintenant, il y a cette situation-là, ce n’est pas moi qui l’ai choisie. Qu’il ne soit pas disponible comme je le souhaite lors de la préparation de l’Euro, qu’il ait raté les deux derniers matchs avec Dortmund qui rajoute 15 jours d’arrêt, et une intervention qui rajoute 20 jours d’arrêt. On arrive à un temps d’arrêt sans s’entraîner trop important pour entrer dans une compétition où on devra jouer 3 matchs en 6 jours. Quand je prends la décision pour Abdou, vous vous doutez bien que j’ai pesé le pour et le contre. Dans la balance, ça penchait trop du mauvais côté. Je ne voyais pas comment on pouvait être apte physiquement pour relever ce challenge-là après 30 jours sans s’entraîner. Ça ne me paraissait pas envisageable.
Ça pose aussi la question de la priorité qui est donnée au club plutôt qu’à la sélection…Ce n’est pas à moi de répondre à ça. Je lui ai demandé de reporter cette opération après l’Euro. Parce que ça me paraissait être une compétition tellement importante… Il m’a dit que ce n’était pas envisageable, donc il a fallu prendre une décision.
Le premier match vous oppose à l’Angleterre, un des grands favoris, qui sera déterminant pour la suite. Peut-on parler de piège ?Il n’est pas plus piégeux pour la France que pour l’Angleterre. C’est un match entre deux nations qui ont de l’ambition. Mais de par la formule de ce tournoi, il ne vaut mieux pas être celui qui perd…
Qu’est-ce qui diffère par exemple d’une saison de Ligue 1 ? Ça ressemble plus à un sprint plutôt qu’au marathon d’un championnat ?L’image est peut-être bonne. Peut-être même plus que d’autres compétitions internationales où il peut y avoir des quarts et des huitièmes. On a une formule compressée, en quinze jours. Il faut être dans les starting-blocks tout de suite et prêts pour lancer le sprint.
Vous êtes un entraîneur estampillé FC Lorient, où vous avez appris auprès de Christian Gourcuff avant de lui succéder. Essayez-vous d’importer le jeu « à la lorientaise » en équipe de France ? Dans la méthode de travail utilisée, j’essaye de le faire forcément. J’ai eu la chance de débuter dans le métier en tant qu’adjoint de Christian Gourcuff, c’est un laboratoire d’observation extraordinaire. Mais après, quand on prend plus de responsabilité, on essaye aussi d’apporter sa touche en fonction de sa personnalité et de sa perception des choses. Ces idées nous suivent et il faut savoir les faire évoluer. J’ai gardé une grande partie des idées de jeu que Christian avait mises en place à Lorient, avec quelques aménagements. Notamment parce qu’il y a des spécificités à prendre en compte quand il s’agit d’un club ou d’une sélection. Quand vous avez sept ou huit séances chaque semaine avec des joueurs dans un club, et deux ou trois pour une sélection, ce n’est pas la même histoire.
De quoi est fait votre quotidien de sélectionneur ?En dehors des rassemblements, mes week-ends sont occupés par de la supervision au stade ou à la télévision. L’idée, c’est de voir un maximum de joueurs, un maximum de matchs. Généralement, le début de semaine est consacré à des réunions avec l’ensemble du staff technique où on échange les informations. On fait des rapports sur une soixantaine de joueurs chaque semaine. Donc ça fait pas mal de travail. Et puis, il y a toute la partie relations avec les clubs. C’est important d’échanger avec les entraîneurs et les joueurs pour avoir le plus d’infos et garder contact avec eux. Entre les rassemblements, certains peuvent rencontrer des problèmes ou avoir besoin d’échanger de choses et d’autres. C’est important de garder ce lien.
La différence avec Didier Deschamps, c’est que lui passe son temps à superviser des joueurs qui sont titulaires dans de grands clubs européens. Vous, beaucoup sont dans des clubs un peu plus bas au classement ou sur le banc de touche.
(Rires.) Oui, il faut prendre tous ces paramètres en compte. La catégorie espoirs a cette spécificité que les choses sont en mouvement en permanence. Il y a des joueurs qui étaient très loin de l’équipe de France il y a encore 6 mois, qui étaient presque inconnus au bataillon, qui s’en sont rapprochés à une vitesse incroyable. Et à l’inverse, par des choix de carrière ou des soucis physiques, certains prennent des trajectoires où ils perdent temps de jeu, performance ou confiance et se retrouvent loin. Il y a aussi des changements de statut, avec certains qui vont se retrouver d’un coup sur le devant de la scène et ça peut jouer sur les comportements. Il y a des chassés-croisés, des allers-retours qui se jouent, et tout ça est mouvant. L’idée, c’est de faire la synthèse de tout ça. Et il faut prendre ça en compte.
La Ligue 1 est-il un bon championnat pour nos jeunes ? Oui, dans ma liste, il y a beaucoup de joueurs qui viennent de Ligue 1. Et heureusement, parce qu’ils sont français. La Ligue 1 est un championnat difficile sur le plan tactique, avec des blocs denses, et ça, beaucoup de joueurs ou d’entraîneurs étrangers le reconnaissent. Mais on a beaucoup de joueurs qui sont en Allemagne, notamment.
Il y a eu une époque où les jeunes talents français s’exportaient très tôt, ce qui est moins le cas.Effectivement, c’est une tendance qui s’est quelque peu inversée. Par exemple, je trouve qu’aujourd’hui, le saut à l’étranger peut être intéressant à l’âge de la catégorie Espoirs. Pas forcément avant. Il y a quelques années, ça pouvait se faire beaucoup plus tôt. Après, il n’y a pas de règle absolue. Mais en tout cas, les jeunes Français n’ont pas peur de franchir le pas rapidement. Je trouve qu’à l’image de Moussa Niakhaté ou Jean-Philippe Mateta à Mayence, ils le font, mais pour être titulaires quasiment d’entrée. Avant, c’était peut-être plus pour intégrer la réserve ou faire un complément de groupe.
Comment jugez-vous la politique avec les jeunes pour un club qui est la locomotive du foot français ? Vous avez sélectionné Colin Dagba, mais intrinsèquement N’Soki ou Nkunku auraient pu aussi prétendre à une place.Je n’ai pas suffisamment d’éléments pour commenter la politique sportive du PSG vis-à-vis de ses jeunes. Après, ce n’est pas évident d’avoir des joueurs de niveau international et de garantir une place aux jeunes. Ça dépend de la directive qu’un club prend, mais je n’ai pas à juger ça.
La difficulté de cette catégorie est-elle aussi de devoir composer avec l’évolution à différentes vitesses des joueurs ? On a un Alban Lafont qui reste avec les U20, alors qu’au même âge, Mbappé est un incontournable des A.Oui, après, il faut regarder la concurrence au poste… Vous citez Kylian Mbappé, mais on parle là d’un phénomène. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur point de comparaison. Alban aurait très bien pu être avec les Espoirs, il a les qualités pour. Après, on a dû faire des choix et il pouvait être le fer de lance de cette équipe des U20. Ce sont des arbitrages.
Est-ce que ça remet en question la notion de « génération » , qui était plus prégnante auparavant ? C’est surtout qu’on voit des joueurs intégrer l’équipe pro de plus en plus jeunes. Et quand je dis intégrer, ce n’est pas juste être dans le groupe et faire des entrées, mais bien avoir du temps de jeu. Est-ce que c’est parce qu’ils sont plus armés ou moins frileux ? C’est difficile à dire. Mais la catégorie espoirs, telle que je la connaissais, était réputée pour offrir un beau tremplin à des joueurs inconnus. Aujourd’hui, on peut légitimement penser que pour certains, l’étape suivante est directement les A. En tout cas dans leur tête.
Appeler Mbappé a-t-il été une piste envisagée ?Non. C’est une question qui revient souvent, mais la réponse est toujours la même. Par le passé, voir des internationaux venir en renfort avec les Espoirs n’a jamais été franchement une réussite. Ensuite, les A avaient des échéances importantes, avec les qualifications pour l’Euro 2020. La priorité est donnée aux A, et les Espoirs viennent ensuite. Mais je pense que ça fait partie aussi des spécificités de la catégorie Espoirs. Être à disposition des choix des A.
Du coup, quelle est votre définition et le rôle d’une équipe espoirs ?On parle de la deuxième équipe du pays, juste derrière les A. Une sorte d’antichambre avant les Bleus. C’est représenter l’équipe de France sur des compétitions majeures comme peut l’être l’Euro Espoirs. Ils ont cette chance-là et il faut la saisir. Il ne faut pas avoir de regrets, ne rien gâcher et donc faire le maximum pour atteindre ses objectifs. Ils ont une belle histoire à écrire. Les derniers à l’avoir écrite, c’était en 1988, on s’en rappelle tous, et ça a marqué les gens de ma génération. Et pour en avoir discuté avec certains d’entre eux, comme Sauzée, Cantona, Passi, Blanc, ils parlent tous avec beaucoup de tendresse et de vibrations de cette victoire à l’Euro espoirs. C’est quelque chose qui les a marqués, pourtant ils en ont vécu, des choses. Pour leurs successeurs, c’est pareil. Ces joueurs ont la possibilité de marquer leur époque au fer rouge. Il ne faut pas galvauder ça, c’est évident.
Après, l’enjeu est de transformer l’essai chez les grands. En tout cas, c’est votre mission.Oui, c’est sûr. Je pense qu’en France, le potentiel individuel est élevé. Il faut ensuite mettre ça en musique pour que tout ça sonne bien. On travaille bien en amont, dans le développement des jeunes joueurs, et notre politique de formation est efficace. Quand on a du savoir-faire et de la matière, ça donne des résultats. On le voit avec les A, sur les 23 champions du monde, 18 sont passés par les espoirs. Pavard, Hernandez et aussi Ndombele ont commencé les qualifications avec nous. Peut-être que son rôle est d’être une passerelle importante vers les A. Ce qui ne veut pas dire que c’est le seul chemin, puisque beaucoup de parcours le démontrent.
Les titres de champion du monde U20 en 2013 ou de champion d’Europe U19 en 2016 ont été les prémices de la finale de l’Euro 2016 et le titre en 2018… Ça montre un lien de causalité entre la bonne santé des équipes jeunes et les résultats des A.Oui, c’est aussi ce que fait l’Angleterre aujourd’hui. Depuis trois-quatre ans, ils raflent quasiment tout dans les catégories jeunes, et qu’en même temps, l’équipe A d’Angleterre qui était aux abonnés absents en Coupe du monde est cette fois-ci allée en demi-finale. Année après année, ils ont récupéré en bout de chaîne tous ces talents qui ont été performants chez les jeunes. À nous d’assurer la continuité chez les Bleus.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger
Interview réalisée le 23 mai 2019.