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Eriksson : « Je ne pense pas que j’aurais eu autant de succès si j’avais été plombier »

Propos recueillis par Maxime Brigand et Paul Piquard, à Sunne (Suède)

Il restera comme l’homme qui n’a pas pu faire franchir les quarts de finale à la plus belle Angleterre de l’histoire sur le papier, mais il serait injuste de résumer Sven Göran Eriksson à des défaites aux tirs au but face au Portugal. Le globe-trotter suédois a aussi été un tacticien qui a enfanté quelques-uns des meilleurs coachs actuels, gagné une C3 avec des bûcherons, fait appel à des préparateurs mentaux avant tout le monde et collectionné les wags. Le premier entraîneur people de l’histoire nous avait reçus chez lui, fin 2018. Il est décédé ce lundi, à 76 ans, d’un cancer du pancréas.

Eriksson : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je ne pense pas que j’aurais eu autant de succès si j’avais été plombier<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Vous avez vécu à Londres, à Shanghai, à Mexico, mais aujourd’hui, vous résidez à Sunne, près de la frontière norvégienne. Pourquoi ?

J’ai passé les 18 premières années de ma vie dans le coin, et j’ai toujours voulu y revenir, même si c’était pour les vacances. J’ai fini par acheter cette maison. Au départ, c’était pour l’été, mais depuis un an, j’y suis en permanence. Je voulais une maison au bord du lac Vänern, en fait. Il est long de 90 kilomètres et est très connu en Suède. Selma Lagerlöf, la première femme à avoir reçu le prix Nobel de littérature, a écrit à propos de cet endroit, ce lac et ses environs… Elle n’a pas vécu ici, mais elle a rédigé le dernier chapitre du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède au premier étage de cette maison. J’ai d’ailleurs encore une lettre qu’elle a écrite à sa mère. J’aime ce lieu, je m’y sens bien, et puis, d’ici, je peux apercevoir le village où est né mon père. Il est juste de l’autre côté du lac.

Vous avez grandi dans quel type de famille ?

Mes parents n’étaient en aucun cas des personnes riches, ça, c’est une certitude. Ma mère, par exemple, est née au milieu de trois frères et sœurs. Sa mère était seule, donc elle a dû se battre, ce qui fait qu’elle n’a pas pu s’offrir les études qu’elle désirait. Il fallait aider la famille à gagner de l’argent. Mes parents étaient fermiers, ils possédaient des vaches, des chevaux, des cochons, quelques terres, donc nous n’étions pas pauvres non plus. J’aime à dire que je n’ai jamais manqué de rien, et c’est vrai. Enfant, je ne me sentais ni riche, ni pauvre, simplement heureux. Mes activités étaient simples : l’école et le sport. À cette époque, il n’y avait pas la télévision ni les jeux vidéo. On avait un cinéma en ville, qui projetait un film tous les deuxièmes dimanches du mois, à 15 heures, et c’est tout. On était heureux parce que c’était sain : on allait pêcher, certains allaient chasser, faire de la moto, du hockey sur glace…

Vous avez renoué avec ces activités depuis votre retour dans le coin ?

Quand je ne travaille pas comme consultant pour la télévision, je vais voir Torsby (cinquième division suédoise, NDLR), le club de la ville où j’ai passé mon enfance. Je travaille un peu pour eux, je les aide, pour le plaisir. Je ne suis pas l’entraîneur, mais ça me rend quand même nerveux. Ça, ça ne change pas, que ce soit à Torsby ou sur le banc de l’Angleterre. (Rires.) J’aurais pu devenir sélectionneur du Cameroun, de l’Irak, mais pour différentes raisons, j’ai finalement décliné, même si je ressens un vide lorsque je ne travaille pas.

Vous ressentiez la même sensation de vide lorsque vous faisiez du saut à ski ?

À Torsby, il y avait un petit tremplin qui nous permettait de sauter jusqu’à 25-30 mètres. J’avais 8 ans, je regardais ce truc, mais j’étais timide, donc j’ai mis un moment avant de me lancer. Puis, un jour, les grands sont venus me chercher : « Tu veux essayer ?  » Sauf qu’à 8 ans, quand on te laisse seul au milieu de la piste face au tremplin pour la première fois, ça n’a rien de rassurant. Une fois que tu es lâché, tu ne peux pas faire demi-tour, hein ! Au départ, c’est normal, tu es toujours dans une double sensation, entre la peur et la curiosité, mais une fois dans les airs, c’est magnifique. Cependant, je crois qu’on ne peut pas commencer ce sport une fois adulte. C’est impossible.

Je rêvais d’être un joueur de première division et d’avoir la chance, un jour, d’être appelé en sélection nationale, mais je n’étais pas assez bon. C’est assez dur d’accepter de mettre un terme à son rêve d’enfance.

À quel moment avez-vous troqué vos skis pour des crampons de foot ?

À 15, 16 ans. J’ai rapidement compris que je ne pourrais jamais faire carrière dans le saut à ski et le football commençait à prendre progressivement une place plus importante dans ma vie. Mon père était fan de Torsby et il m’emmenait également voir Degerfors, qui est à deux heures et demie d’ici. Ils étaient en première division. C’est la meilleure équipe de la région et ça l’a toujours été. Mon père n’a jamais joué au foot, mais il a toujours adoré ça. Il regardait tous les matchs à la télé, notamment le foot anglais. C’est comme ça qu’on a développé une passion commune pour Liverpool. C’est encore le cas aujourd’hui, d’ailleurs.

Comment expliquez-vous cette passion pour Liverpool ?

Je n’arrive pas vraiment à la définir. Quand j’étais enfant, il y avait une émission qui passait un match de foot anglais le samedi, à 15 heures. Tous les matchs étaient à la même heure à cette époque et toute la Suède regardait le foot anglais. C’était nouveau pour nous. Ici, les terrains étaient en mauvais état, c’était impossible de construire du jeu à cause de la neige, alors ça balançait souvent devant…

Vous aussi, vous étiez un joueur qui balançait loin devant ?

Quand j’ai débuté, j’étais tout petit, sûrement le plus petit de mon école d’ailleurs. J’ai grandi à l’adolescence. Je jouais milieu, le genre de milieu bosseur car techniquement limité… Puis j’ai été replacé arrière droit, ce qui était plus en phase avec mes qualités. Je voulais avoir une vue panoramique du terrain, et ce poste me le permettait davantage qu’au milieu. Finalement, je n’aurai été qu’un bon joueur de deuxième division, pas plus, malheureusement. Le talent n’était pas là, c’est aussi simple que ça. Je rêvais d’être un joueur de première division et d’avoir la chance, un jour, d’être appelé en sélection nationale, mais je n’étais pas assez bon. C’est assez dur d’accepter de mettre un terme à son rêve d’enfance. Vers 27 ans, Tord Grip, l’un de mes anciens coachs qui est ensuite devenu mon assistant, est venu me voir : « Sven, c’est mieux de stopper là. Arrête de jouer, viens coacher à mes côtés. » Voilà comment ça a commencé. Sans son intervention, je ne serais peut-être jamais devenu entraîneur.

 

 

Vous avez privilégié le 4-4-2 durant toute votre carrière. Qu’est-ce que vous lui trouvez de si particulier, à ce système-là ?

Si on revient aux années 1970 et 1980, c’est la période où le foot a vu naître le libero, avec l’Allemagne, la Suède, la France… Le marquage individuel, deux centraux, deux milieux, quatre joueurs de côté… Puis deux Anglais sont venus dans le championnat suédois : Bob Houghton et Roy Hodgson. Ils avaient moins de 30 ans et honnêtement, ils ont commencé à proposer un football horrible à regarder. C’était vraiment terrible, mais ils ont gagné, l’un avec Malmö, l’autre avec Halmstad d’abord, et Malmö ensuite… Avec Tord, on est allés les observer à l’entraînement, puis on a discuté avec eux… J’ai énormément appris de cette période. Si on regarde le foot aujourd’hui, c’est un sport très agressif, qui se résume souvent à un affrontement entre deux équipes très compactes et c’était déjà le cas en Suède dans les années 1980. En 1979, Malmö a joué la finale de C1 contre Nottingham, et Brian Clough était venu préalablement observer l’équipe contre Halmstards. Vous savez ce qu’il a dit après le match ? « Si on pose une grenade au milieu du terrain, ils vont tous mourir… » Il n’arrivait pas à comprendre l’intérêt de ce football-là, et c’est normal, parce qu’il faut dire que ces deux équipes ne jouaient pas : chaque ballon était balancé aux attaquants, et le seul objectif était de gagner les seconds ballons, pas plus. Nous, l’une des raisons qui ont fait que l’on a gagné la C3 avec Göteborg, c’était notre manière de jouer, et je sais pourtant que quand Hambourg nous a observés, ils disaient également que l’on ne jouait pas au foot… On n’avait pas de grands noms, mais on a réussi à réduire l’espace et le temps, c’est ce qui nous a fait gagner. Aujourd’hui, tout le monde fait ça.

Êtes-vous toujours convaincu que le 4-4-2 est le meilleur système ?

Je reste persuadé que la défense à quatre est la meilleure solution, que c’est une base vitale, mais aujourd’hui, les choses ont changé. Il faut désormais penser son système en fonction des joueurs, pas l’inverse. Si vous prenez Göteborg, la Roma, la Lazio, Benfica ou l’Angleterre, je n’ai jamais changé. Alors oui, j’ai parfois changé de tactique à la Fiorentina et à la Samp, quand on affrontait la Juve par exemple, mais sinon, le style de mes équipes a toujours été le même. Je suis toujours convaincu que si vous voulez créer une grande équipe, vous devez posséder votre propre identité.

J’ai conscience d’avoir été chiant avec mes joueurs, en leur proposant le même entraînement tous les jours, avec le même système à chaque match, mais finalement, ça a marché.

Diego Simeone, votre ancien joueur à la Lazio, a donné à son Atlético un style très reconnaissable. Avez-vous le sentiment que c’est le même que le vôtre ou distinguez-vous une évolution ?

Dans beaucoup d’équipes aujourd’hui, le 4-4-2 n’a rien à voir avec le mien. Désormais, c’est un buteur et un mec qui tourne autour. Diego, par exemple, a Griezmann qui tourne autour de Costa (en 2018, NDLR). On a échangé, mais je ne l’ai pas influencé dans son approche du jeu. Je pense que Simeone a simplement décidé de proposer le football qui lui ressemble le plus en tant qu’homme. Lui, c’est un guerrier, un guerrier intelligent, mais un guerrier. Il fallait le voir à l’entraînement : si un type ne se donnait pas à 100% et ne se battait pas pour réparer ses erreurs, ouhhh… Son équipe court beaucoup, je n’ai pas les statistiques exactes, mais elle cavale plus que les autres. Je l’ai revu il y a quelques années et je lui ai dit : « Putain Diego, qu’est-ce que vous courez… » Il m’a répondu : « Sven, s’ils ne le font pas, ils ne jouent pas. » Si vous regardez le Bayern, le Barça, le Real, et que vous comparez leurs qualités à celles de l’Atlético… Comment peuvent-ils rivaliser ? Ils y parviennent par l’organisation, comme nous à l’époque avec Göteborg. Vous savez, au départ, j’étais tout le temps sur mes joueurs. « Reste là, décale-toi comme ça, quand le ballon est là, tu dois te positionner ainsi… » Il fallait que ça devienne automatique. J’ai conscience d’avoir été chiant avec mes joueurs, en leur proposant le même entraînement tous les jours, avec le même système à chaque match, mais finalement, ça a marché.

L’un de vos anciens joueurs, Ruben Svensson, a dit ceci à propos de votre passage à Göteborg : « Avec Eriksson, nous pratiquions un authentique football de gauche. » Vous êtes d’accord avec lui ?

Vous savez comment je l’appelais ? Ruben le rouge ! C’était un communiste. Vous pouvez appeler cela comme ça, mais je pense que c’était surtout du football moderne. Quand je suis arrivé à Göteborg en 1979, nous avions le meilleur joueur du pays, Ralf Edström. Il venait de Degerfors, c’était même l’une de mes idoles. C’était un fainéant talentueux, qui possédait un bon pied gauche et un bon jeu de tête. Bref, un joueur fantastique, mais fainéant. L’autre souci, c’est qu’il était fatigué et n’avait plus les crocs donc, après quatre mois, nous l’avons vendu. C’est seulement après son départ que nous avons commencé à devenir une bonne équipe. Avec Edström, cela aurait été impossible parce qu’il refusait de faire le pressing, ou de revenir à la perte du ballon… Je comprends ce que Ruben veut dire. À Göteborg, tout le monde devait courir. Parce que si vous pressez, vous devez le faire ensemble. Si un ou deux joueurs ne le font pas, tout s’écroule.

Aujourd’hui, avoir un entraîneur étranger est devenu quelque chose de banal. Pourtant, lorsque vous êtes arrivé en Italie, les coachs étrangers ne pouvaient même pas s’asseoir sur le banc…

La première fois que je suis allé en Italie, c’est parce que Benfica devait affronter la Roma en Coupe de l’UEFA. Donc je suis allé à Rome pour espionner l’adversaire. Quand je suis rentré chez moi, j’ai dit à ma femme : « C’est la ville où l’on doit vivre. » Un an plus tard, le club m’a offert le poste, mais oui, c’était très difficile. À la moitié de ma première saison avec la Roma, j’avais des regrets. Je me disais que j’aurais dû aller au Barça. J’avais eu une offre entre les mains, mais j’ai choisi la Roma car la Serie A était le meilleur championnat du monde à l’époque. J’ai mis un an à changer les choses. Lorsque nous jouions à l’extérieur, je n’avais même pas le droit de rentrer dans le vestiaire à la mi-temps. N’empêche qu’après le match, c’était moi qui étais tenu responsable du jeu merdique de mon équipe.

Beaucoup de vos anciens joueurs sont devenus de grands entraîneurs : Ancelotti, Simeone, Mancini… Vous pensez avoir eu de l’influence sur eux ?

Ils ont appris de tous les coachs qu’ils ont eus au cours de leur carrière. Mancini a eu Boškov, Sacchi en équipe nationale…

Neymar devait juste prendre en main le jeu du Brésil et gagner le Mondial 2018. Parce qu’ils ont les meilleurs joueurs du monde, sans l’ombre d’un doute. Au lieu de ça, ils ont joué comme des merdes, ils n’ont jamais travaillé ensemble.

Peut-être, mais vous avez quand même eu une relation particulière avec Mancini…

Lorsqu’on m’a proposé le job à la Sampdoria, le propriétaire, Paolo Mantovani, m’a appelé. Il voulait me voir. Là, il m’affrète un avion et lorsque j’arrive à l’hôtel à Monte Carlo, il m’accueille en personne en compagnie de Roberto Mancini et Gianluca Vialli. « Mister Eriksson, bienvenue. Je ne connais pas bien le football. J’aime le regarder, j’aime gagner, mais je n’y connais pas grand-chose. Et pour être honnête, je n’ai jamais entendu parler de vous. Mais ces deux idiots se sont mis en tête qu’ils vous voulaient comme coach. » C’est Mancini qui avait eu l’idée. Nous avons déjeuné tous ensemble et la conversation a évidemment tourné autour du football. Ils avaient Boškov à l’époque, ils jouaient avec un libero et pratiquaient un marquage individuel. Mancini et Vialli voulaient du changement. Ils étaient très curieux, ils voulaient tout comprendre. Nous avons ensuite parlé de potentielles recrues pour améliorer l’équipe. À la fin du repas, Mantovani me lance : « Bon, c’est le moment de se décider : vous voulez venir ? » Je réponds oui. Là, il prend une serviette et griffonne un chiffre. Je ne laisse rien paraître, mais au fond de moi-même, je me dis : « Waouh ! C’est un bon salaire. » Mantovani me jauge un instant et finit par lâcher : « Ok, je vois que vous n’êtes pas satisfait. » Il prend une autre serviette, et inscrit un montant énorme. Incroyable ! À l’époque, Rummenigge me voulait aussi pour le Bayern Munich. Il était venu faire un tennis chez moi, à Lisbonne. Je crois même qu’il m’avait battu… J’ai attendu la fin du match pour lui dire : « Désolé, mais je vais à la Samp. » Voilà comment j’ai refusé le Bayern. Aujourd’hui, tu peux penser que je suis complètement fou, mais le foot italien était le foot italien… On me donnait l’opportunité de revenir en Serie A, d’entraîner Vialli et Mancini. Malheureusement, je n’ai pas eu de chance là-bas, parce qu’un mois avant de commencer l’entraînement, Mantovani m’appelle : « Mister, vous n’êtes pas obligé de venir, les choses ont changé ici. Je dois vendre Vialli à la Juventus. Je ne peux plus me battre avec la Juve, le Milan et l’Inter. » C’était la fin de la grande Samp. C’était toujours un bon club, mais plus un club du gratin.

 

Il y a aussi eu un rendez-vous très secret avec Berlusconi lors de votre premier passage en Italie.

C’était dans un appartement qui ressemblait à une vieille église, et au milieu de la nuit, une voiture est venue me chercher pour m’y amener. Il venait d’acheter l’AC Milan, et il m’a dit qu’il voulait créer une équipe. « Les Italiens pensent que je veux créer la meilleure équipe du pays. C’est faux. Ce sera la meilleure équipe du monde, et je vais tout acheter ! » Il croyait que mon contrat avec la Roma était terminé, alors qu’il me restait un an. Quand il l’a su, il a massacré Galliani devant moi : « Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Dino (Viola, propriétaire de la Roma) est sénateur ! Tu veux que je commence mon boulot à Milan en volant l’entraîneur de la Roma ? » Puis il s’est tourné vers moi : « Mister Eriksson, je suis désolé, mais c’est impossible, je ne peux pas faire ça. » À l’époque, Viola était le meilleur ami d’un homme politique très puissant, Giulio Andreotti, un grand supporter de la Roma. C’était des hommes très influents. Personne n’avait envie de se brouiller avec eux, même pas Berlusconi.

Vous avez coaché un peu partout. Est-ce vraiment différent d’entraîner un footballeur italien, un Mexicain ou un Chinois ?

Ça l’était beaucoup plus autrefois. Le footballeur chinois n’a pas encore le même niveau physique qu’un Européen, mais ça viendra un jour. Tactiquement, il sera aussi un peu en dessous, mais les Chinois vont refaire très vite leur retard. Par le passé, un joueur brésilien était très différent d’un joueur argentin. L’Argentin était un battant. Le Brésilien, lui, était plutôt un artiste, mais pour défendre, pfff… Aujourd’hui, tout cela a changé. Je ne devrais pas tout dire, mais quand j’ai observé le Brésil à la dernière Coupe du monde (2018, NDLR), j’étais furieux. J’étais extrêmement triste et en colère. Et particulièrement à cause de Neymar. Il a toutes les qualités pour être le meilleur joueur du monde. Il devait juste prendre en main le jeu du Brésil et gagner le Mondial. Parce qu’ils ont les meilleurs joueurs du monde, sans l’ombre d’un doute. Au lieu de ça, ils ont joué comme des merdes, ils n’ont jamais travaillé ensemble. Lorsqu’ils perdaient le ballon, Neymar ne faisait même pas un demi-mètre pour aider à la récupération. Cela m’a rappelé la première fois que je suis arrivé au Benfica. Je travaillais sur le recrutement avec Toni, mon adjoint, qui était un ancien joueur du club. « Sven, tu peux prendre un, deux, ou peut-être trois Brésiliens, mais pas plus. Sinon, ce sera le chaos. »

Les Anglais ne sont pas difficiles à coacher, parce qu’ils adorent s’entraîner. Et ils le font toujours à fond. Un joueur comme Wayne Rooney, par exemple, n’hésite pas à tacler à fond, y compris la veille d’un match. Boum ! Même si c’est Beckham qui a la balle, il s’en fout.

Durant votre carrière, vous avez lutté contre le chaos tactique, mais aussi contre le chaos mental en faisant appel très vite à des préparateurs mentaux. À quel point l’aspect psychologique influe sur la performance individuelle selon vous ?

On a travaillé l’aspect psychologique pour renforcer la confiance de quelques joueurs. Ça a été le cas avec Alen Bokšić à la Lazio, par exemple. Il jouait à l’OM, il marquait des buts. Il arrive en Italie, et à l’entraînement, il faisait tout ce qu’il voulait. C’était le meilleur. Mais en match, que dalle. Donc j’ai appelé Willi Railo, un préparateur norvégien avec qui j’avais déjà travaillé à Göteborg, et je lui ai proposé de venir à Rome. Cette saison-là, je crois que Bokšić a marqué onze buts. Le propriétaire de la Lazio avait proposé à Willi un contrat où il serait rémunéré à chaque but que marquerait Bokšić. Un jour, je reçois un appel du proprio qui hurle : « Eh, arrête de faire jouer Bokšić ! »

En revanche, vous avez refusé de faire appel à un préparateur mental lorsque vous étiez sélectionneur de l’Angleterre.

C’est vrai, et j’aurais dû le faire. Lampard et Gerrard tiraient des penaltys toute la saison avec leur club. Ils les marquaient tous ou presque. Même quand ils ne marquaient pas, ils les avaient bien tirés. Mais en sélection, que des penaltys de merde ! Beckham, pareil. Donc évidemment que c’est un problème mental. En 2002, honnêtement, je pense que le Brésil était meilleur que nous. Mais en 2006, nous aurions dû remporter la Coupe du monde.

Il y a eu de nombreux débats autour de l’association Lampard – Gerrard. Ils étaient tous les deux parmi les meilleurs milieux du monde, mais pouvaient-ils jouer ensemble ?

Dans notre système en 4-4-2, nous avions Gerrard, Lampard, Beckham et Scholes. Donc j’interrogeais les journalistes anglais : « J’enlève qui ? Et par qui je le remplace ? » Vous ne pouviez en sortir aucun, ça aurait été une folie ! Qui peut remplacer l’un de ces quatre-là ? Hargreaves n’était pas prêt à ce moment-là. Et personnellement, je trouvais que ça marchait bien. En cinq ans et demi, nous avons perdu deux matchs officiels, celui contre la France à l’Euro 2004, alors qu’on menait à la 89e, et celui contre le Brésil en 2002. Nous en avons aussi perdu un en éliminatoires, contre l’Irlande du Nord. Donc Gerrard et Lampard ont bien joué ! Les Anglais ne sont pas difficiles à coacher, parce qu’ils adorent s’entraîner. Et ils le font toujours à fond. Un joueur comme Wayne Rooney, par exemple, n’hésite pas à tacler à fond, y compris la veille d’un match. Boum ! Même si c’est Beckham qui a la balle, il s’en fout. Ça, c’est une mentalité très anglaise. Tu dois limite les tempérer : « Eh, du calme, il y a match demain ! »

Mais vous ne vous êtes pas dit que vous deviez faire mieux avec cette équipe ?

Honnêtement, 2006 aurait dû être notre année. Avant le tournoi, aucun favori ne se dégageait. Ni l’Italie ni la France. L’Espagne n’était pas ce qu’elle est devenue ensuite, le Brésil était vieillissant… Je pense qu’on aurait dû la gagner… Non, j’en suis sûr : on aurait dû la gagner.

L’une des décisions les plus discutées de votre mandat a été celle d’amener Theo Walcott, 17 ans et aucun match de Premier League au compteur, au Mondial 2006…

L’alternative était de prendre Jermain Defoe, mais il ne jouait pas régulièrement. Il avait été blessé durant la saison. J’ai voulu faire un pari sur l’avenir en prenant Walcott. J’avais beaucoup échangé avec Wenger avant de le sélectionner, et il ne m’en avait dit que du bien. Ce n’est pas la raison pour laquelle je l’ai pris, mais Wenger m’avait confié quelque chose : pour lui, la vitesse dans le jeu était très importante. Il avait un système pour mesurer la vitesse de ses joueurs : il leur faisait faire des sprints sur 30 mètres dix fois d’affilée, le but étant de réussir les mêmes chronos. Et le meilleur à cet exercice-là avait toujours été Thierry Henry. Et puis Walcott est arrivé, et l’a facilement battu… Donc il était très rapide, et capable de garder cette vitesse durant le match. Avant le tournoi, la presse anglaise était ravie. La réalité, c’est que c’était le vingt-troisième joueur ! Ça n’avait pas une grande importance, ce n’était pas le joueur qui devait nous faire gagner le tournoi. Mais bon, Rooney a pris un carton rouge contre le Portugal en quarts, il y a eu les tirs au but… Vous connaissez la suite… J’ai adoré être le sélectionneur de l’Angleterre. Vraiment. La seule chose compliquée, ça a été de garder ma vie privée intacte… Ce n’est pas comme ailleurs. Quand j’ai signé, Tony Blair, le Premier ministre britannique, m’a lancé un pari : « Qui va garder son job le plus longtemps entre vous et moi ? Nous savons que nous allons tous les deux être virés, parce que nos deux métiers sont des jobs impossibles. » C’est vrai. Vous n’êtes jamais tranquille. J’ai vécu presque six ans à Londres, mais je ne pouvais pas aller au pub, ni aller au théâtre, ni voir une comédie musicale et encore moins faire du shopping chez Harrod’s… Je n’ai jamais eu l’expérience de Londres qu’ont les gens normaux. Vous ne pouvez pas aller boire un verre dans un pub si vous êtes le sélectionneur de l’Angleterre. À Lisbonne ou à Rome, les gens te reconnaissent, mais c’est différent. Tu peux aller au restaurant avec une femme, et voilà… Un jour, ma fille est venue me rendre visite à Londres. On est parti faire les magasins, mais après vingt minutes, tous les autres clients ont commencé à nous prendre en photos. Elle m’a dit : « C’est bon, rentrons à la maison. » C’est compliqué et pourtant… En Angleterre, je suis devenu ami avec Wenger. On dînait souvent ensemble. Durant mes deux dernières années à la tête de la sélection anglaise, Arsène me disait à chaque fois : « Sven, quand tout ça sera fini, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? On devrait acheter un club… »

Les tabloïds vont très loin. Ils ont mis un mouchard dans mon téléphone qui leur permettait de lire mes messages et d’écouter mes conversations.

Vous avez été le premier sélectionneur étranger des Three Lions, mais vous êtes aussi devenu le premier «  entraîneur people ». Pour les tabloïds, votre vie privée était aussi intéressante que celle de Beckham…

J’étais divorcé et j’ai eu différentes petites amies, voilà peut-être pourquoi… Dès que quelque chose arrive dans ta vie privée, les journalistes le savent… Je me rappelle le soir où l’on a perdu contre l’Irlande du Nord. C’était un mercredi. Le jeudi matin, j’étais invité à voir un match de cricket, Angleterre-Australie. Je me lève à 8 heures du matin, je regarde par la fenêtre, et en bas, il y avait 50 cameramen et photographes. J’ai dû appeler le dirigeant de la FA qui m’avait invité pour lui dire que ce serait impossible pour moi d’être au rendez-vous. Ensuite, je suis allé au boulot, et la presse ne m’a pas demandé si j’allais démissionner mais plutôt : « Allez-vous démissionner aujourd’hui ou demain ? » Tout ça, juste pour un match perdu… Les tabloïds vont très loin. Ils ont mis un mouchard dans mon téléphone qui leur permettait de lire mes messages et d’écouter mes conversations. L’une des premières fois que News of the World a publié une histoire sur moi – ça devait être à propos d’une femme –, mon agent et moi sommes allés à leurs bureaux. On est allés voir la rousse, Rebekah (Brooks, directrice de la rédaction). Son avocat était là. Nous l’avons prévenue : « L’histoire n’est pas vraie, nous allons vous faire un procès. » Ça ne lui a pas fait peur. « Je m’en fous. C’est une bonne histoire, nous la publions. Qu’elle soit vraie ou non, ce n’est pas mon problème… » Mon passage à la tête de l’Angleterre ne s’est pas passé aussi bien que prévu. Après ça, j’ai eu un an de pause, de juillet 2006 à juin 2007. Je n’avais plus rien et je ne me sentais pas bien. J’étais frustré, je ne ressentais plus aucune émotion. J’ai finalement rebondi à Manchester City. Et à ce moment-là, j’ai commencé à m’ennuyer. Tout le monde était heureux, à part Thaksin Shinawatra (l’ancien propriétaire des Citizens, NDLR) et quelques agents. Donc on m’a viré. C’est là que je me suis dit que je devais quitter l’Europe. Avec du recul, j’ai probablement fait une grosse erreur. J’aurais pu retourner au Benfica. Le président et Rui Costa étaient venus à Manchester avec un contrat, mais j’ai refusé, j’y étais déjà allé deux fois, alors je suis allé au Mexique. J’étais en colère après mes expériences avec la sélection anglaise et Manchester City… City… Putain, j’ai adoré ce club.

 

Est-ce difficile pour un entraîneur de faire son boulot dans un pays où l’on ne parle pas la langue ? Bielsa, par exemple, refuse de s’exprimer autrement qu’en espagnol.

Bielsa est un homme très spécial. Si vous parlez aux plus grands coachs actuels, la plupart d’entre eux vous diront qu’ils ont pris quelque chose chez lui. Je le trouve très intelligent et tactiquement très intéressant, mais bon, quand ça ne marche pas comme il le souhaite, il part. Et puis, ne pas parler la langue, selon moi, c’est du snobisme, et je n’ai pas peur de le dire. Un entraîneur ne devrait pas faire ça. Personnellement, j’adore apprendre de nouvelles langues. La seule avec laquelle j’ai eu plus de mal, c’est le chinois. Mais j’ai pris des leçons, et à la fin, je pouvais un peu discuter avec mes joueurs, les chauffeurs de taxi, ou les serveurs au restaurant.

C’était bien, la Chine ?

C’est le rêve pour un entraîneur. Les joueurs chinois font exactement ce que vous leur demandez, et même plus ! Ils arrivent toujours à l’heure, ils travaillent toujours très dur, ils ne se plaignent jamais. À Shanghai, j’avais quatre ou cinq internationaux. Le seul problème, c’est qu’ils ont commencé le foot à 12 ou 13 ans. C’est tard. Les joueurs européens ou sud-américains arrivent par exemple à anticiper des situations dangereuses. Plus vous commencez jeune, plus vous savez analyser des situations sur le terrain de manière presque instinctive. Le joueur chinois, lui, verra le même danger, mais légèrement trop tard. Ce sont des choses qui s’apprennent dans la rue, sur la plage, dans un parc… Ce n’est pas un entraîneur qui vous l’apprend.

Culturellement, vous avez découvert quoi d’autre en Chine ?

La gastronomie locale. Délicieux ! Quand des amis venaient me voir, je les amenais dans un restaurant mongol… Fantastique ! Bon, je n’allais pas dîner avec les joueurs non plus.

Vous dites ne pas sortir avec vos joueurs, mais vous êtes quand même allé à l’anniversaire de David Beckham…

C’était différent. Il avait invité toute l’équipe pour une vente aux enchères dont les profits étaient reversés à des associations. C’était une énorme fête. Jamie Oliver (le Cyril Lignac anglais, NDLR) avait remporté toutes les enchères pour une somme astronomique, et moi, j’avais dîné à côté d’Elton John, c’était sympa. Mais je ne dirais pas que c’est la même chose que de sortir avec ses joueurs.

Si Beckham était assis là, vous l’apprécieriez immédiatement, avant même qu’il ouvre la bouche. Certaines personnes possèdent ce truc… Je n’ai jamais vu autant de charisme chez un homme ou une femme.

Vous aviez une relation spéciale avec Beckham, non ?

David était traité comme les autres joueurs, mais quand l’entraînement était terminé et que nous devions monter dans le bus pour partir, qui était encore sur le terrain ? Rooney et lui. Ils faisaient des paris sur qui marquerait le plus de coups francs. Je n’ai jamais eu de problèmes avec Beckham. Son seul problème, c’est ce qu’il se passait autour de lui. Parfois, c’était chaotique.

Vous vous identifiez à lui, par rapport au traitement médiatique que vous subissiez tous les deux ?

Bien sûr, il était marié à une Spice Girl, et était censé être l’un des hommes les plus attirants du monde aux yeux des femmes de 9 à 90 ans. Mais il a quelque chose de spécial. S’il était assis là, vous l’apprécieriez immédiatement, avant même qu’il ouvre la bouche. Certaines personnes possèdent ce truc… Je n’ai jamais vu autant de charisme chez un homme ou une femme. Il attire tout le monde.

Rafa Benítez, lui, a séduit sa femme en lui expliquant le fonctionnement du 4-4-2 avec une salière et une poivrière…

Je n’ai jamais essayé cette technique de drague. Peut-être que je devrais le faire.

Quelles sont vos méthodes de séduction, du coup ?

Éviter de parler de football ! Le plus possible… Honnêtement, beaucoup de femmes voulaient en savoir plus sur Beckham. Elles aiment toutes Beckham.

Mais quand vous étiez en Angleterre, beaucoup de femmes vous aimaient aussi…

Quand vous êtes sélectionneur de l’Angleterre, vous êtes célèbre, que vous le vouliez ou non. Vous passez à la télé ou dans les journaux tous les jours. Les gens imaginent que vous êtes riche. Et personnellement, j’étais célibataire, alors… Je crois que mon succès avec les femmes ne vient pas de mon visage ou de mon corps, mais plutôt de mon métier. Je ne pense pas que j’aurais eu autant de succès si j’avais été plombier.

On parle de succès, de conquêtes féminines et d’argent. Mais quelle est la rançon de la gloire ?

Le métier est difficile, mais pas la célébrité. Mon métier m’a coûté mon mariage. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis divorcé, parce que mon ex-femme n’aimait pas déménager tous les deux ou trois ans. Elle était enseignante, elle voulait travailler et avoir une vie de famille normale. Sauf que le seul moment où les enfants n’étaient pas à l’école, c’était le week-end. Et à ce moment-là, où était leur père ? Quelque part avec son équipe. Mais cela n’a rien à voir avec la célébrité ou l’argent. C’était dû au fait que je n’avais pas une vie normale, selon moi. J’aurais pu changer les choses à ce moment-là, mais j’ai choisi le football au lieu de ma femme. Ce n’est pas quelque chose de facile à dire, mais c’est comme ça. Pour moi, il n’y avait même pas de débat. J’étais au milieu de ma carrière, et l’idée d’abandonner… Non, c’était impossible.

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Propos recueillis par Maxime Brigand et Paul Piquard, à Sunne (Suède)

Interview publiée dans le SO FOOT #162, en décembre 2018.

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