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Susana Torres : « Éder était programmé pour marquer en finale »
Quelques minutes après avoir offert l'Euro 2016 au Portugal, Éder a voulu dédier son but à sa « coach de haute performance » pour son aide précieuse. Derrière ce terme barbare se cache une femme, Susana Torres. Âgée de trente-neuf ans, cette ancienne banquière reconvertie dans le coaching mental a récupéré un attaquant remplaçant à Braga pour le transformer en héros national au Portugal.
Concrètement, en quoi consiste votre travail auprès d’Éder ?Mon travail avec Éder consiste à un entraînement mental de haute performance. Cela veut dire entraîner son conscient et son inconscient afin qu’il arrive au succès dans son travail et atteindre la haute performance, en compétition comme à l’entraînement. C’est un travail de coaching et de programmation neurolinguistique, la manière dont on programme notre inconscient avec le langage, avec la façon dont on va communiquer avec nous-mêmes et avec autrui.
Comment avez-vous rencontré Éder ?Avec ma fille, alors âgée de trois ans, nous avions assisté à un match de Braga. À la fin de la rencontre, dans le bar lounge du stade, nous avons vu passer Éder, et je lui ai demandé s’il pouvait faire une photo avec ma fille. Il a accepté et m’a demandé de lui envoyer la photo. Deux-trois ans après cette histoire, Éder s’est rappelé de cette photo et m’a envoyé un mail pour savoir comment allait ma fille Rita et s’il pouvait lui envoyer un maillot floqué de son numéro 17 avec le nom de ma fille. Lors du match suivant, il est venu en personne pour lui donner le maillot, et à partir de là, je lui ai dit que j’étais coach de haute performance et que je voulais bien travailler avec lui pour l’aider et le remercier du cadeau qu’il avait fait à ma fille. Éder était intrigué et a fini par accepter. Cela fait maintenant deux ans que nous travaillons ensemble.
Combien de fois par semaine appelez-vous Éder ?Je parle avec Éder pratiquement tous les jours, nous sommes très amis. Je travaille avec seize joueurs en Ligue 1, en ligues anglaise, italienne et portugaise. Avec Éder c’est différent, car c’est un ami, il fait partie de la famille. Quand il vient au Portugal, il vient chez moi, avec mon mari et mes enfants. Nous faisons une séance de coaching par semaine. Tous les quinze jours, je le rejoins en France et nous faisons les sessions de coaching en face à face. Quand je ne suis pas avec lui en France, nous utilisons Skype.
Sur quels aspects de sa personnalité, de son jeu, Éder pense avoir le plus besoin de vous ?Quand j’ai commencé à travailler avec Éder, il n’avait pas de bons résultats, il était découragé, triste à cause de ses mauvaises performances. Il pensait que sa carrière était condamnée, qu’il ne partirait jamais à l’étranger, car il enchaînait les blessures graves aux genoux. L’une d’elle était d’ailleurs très sérieuse, la majorité des joueurs ne jouent plus après cette blessure. Il était vraiment découragé. Il pensait que ses résultats étaient dus aux circonstances : le club, l’entraîneur, les blessures… À tout son environnement. Quand j’ai commencé à travailler avec lui, nous avons fait en sorte de concentrer son attention sur lui-même. Il a commencé à travailler son corps, son physique, son mental, sa discipline, installer une routine afin d’atteindre la haute performance.
Comment est Éder en dehors des terrains de football ?C’est un garçon réservé qui parle peu. Il mène une vie très réservée, très casanière. Il travaille beaucoup chez lui, il cuisine et ne sort pas le soir, ou alors seulement avec ses amis.
Pourquoi Éder a-t-il décidé de quitter Braga pour partir en Premier League ? Éder rêvait d’aller jouer en Premier League, c’était son rêve d’enfance, et je lui ai dit, OK Éder, d’ici six mois, nous serons donc en Premier League. Au début, personne n’y a cru, on pensait que j’étais folle, parce qu’en six mois, c’est compliqué de passer du banc de Braga à la Premier League. Mais Éder a fait un travail exceptionnel, il a travaillé tous les jours, matin et après-midi, comme s’il était déjà en Premier League. Il a compris les entraînements pratiqués là-bas, les qualités physiques nécessaires. Il a beaucoup travaillé son physique et son mental, il a travaillé sur l’alimentation, il a appris l’anglais, à cuisiner, il a beaucoup lu de livres, et au bout de six mois, il avait à sa disposition quatre contrats en Premier League et il a choisi Swansea. Finalement, l’expérience n’a pas été totalement réussie, mais il a su rebondir avec Lille pour être dans la liste de Fernando Santos pour l’Euro.
Durant cet Euro 2016, Éder a passé la majeure partie de son temps sur le banc des remplaçants. Que lui avez-vous dit pour qu’il garde le moral ? J’ai dit à Éder que Dieu avait certainement un plan bien établi pour lui, qu’il ne devait jamais cesser d’y croire et de continuer à travailler comme s’il était un titulaire indiscutable. En travaillant comme ceci, cela n’avait pas d’importance qu’il soit le choix principal de l’entraîneur, car un jour ou l’autre il serait récompensé. Je lui ai donc dit qu’il fallait qu’il soit parfaitement préparé, car si l’opportunité se présentait, il ne devait pas la laisser passer. Et ce travail, il l’a fourni et a pu marquer ce but.
Justement, comment Éder se sentait-il après avoir offert la victoire au Portugal ? Éder était très heureux. Je l’ai déjà vu aussi heureux quand il avait signé pour aller en Angleterre, car il avait ainsi pu réaliser son rêve d’enfance. Quand il a marqué le but de l’Euro, ça a également été l’un des moments les plus heureux de sa vie. C’est peut-être le plus grand but de sa vie, ça l’est jusqu’à présent en tout cas. Il était vraiment très heureux. Il a beaucoup travaillé pour faire la différence à l’Euro. Il souhaitait être le meilleur buteur de la compétition, mais Fernando Santos ne le faisait pas jouer, et c’était donc compliqué dans ces conditions de réaliser son objectif. En voyant qu’il ne jouait pas, il a compris qu’il ne serait pas le meilleur buteur, et a donc modifié son objectif : marquer le but de la victoire en finale. Il a travaillé sans relâche pour cela et il y est parvenu.
Est-ce une fierté pour vous de voir Éder marquer ce but en finale de l’Euro ? C’est une fierté énorme. Je sais qu’il voulait vraiment marquer le but de la victoire, mais c’est quelque chose que l’on ne contrôle pas, car nous ne savions pas si Fernando Santos allait le faire jouer. Mais, nous savions que s’il entrait, il allait marquer, parce qu’il s’était beaucoup préparé et il était programmé mentalement pour marquer le but de la finale. Quand il est entré sur le terrain, il a tout bien fait, il a réussi toutes ses passes, a été impérial dans les airs, et a pris tous les ballons. Il a tenté de marquer à chaque occasion qu’il a eue, mais le gardien français a intercepté sa tête avant de réussir à inscrire ce but durant la prolongation. C’est une grande fierté, car c’est la preuve que lorsque l’on est persévérant, que l’on travaille et que l’on y croit, un jour ou l’autre les résultats seront là. Il est donc une très grande fierté pour moi.
Comment Éder a-t-il vécu sa nouvelle notoriété ? Après le but, beaucoup de gens l’ont félicité, et le Portugal a changé d’opinion sur lui. Les supporters lui ont demandé pardon pour les insultes qu’ils avaient proférées envers lui. Éder a offert au Portugal un trophée que nous attendions depuis longtemps et les personnes étaient reconnaissantes pour cela. Cette reconnaissance a été très importante pour lui, car durant des années, les gens le massacraient, disant qu’il ne servait à rien, qu’il ne valait rien et qu’il ne marquait jamais. Après ce but, sa vie a donc totalement changé.
C’est pourquoi vous avez eu l’idée de faire un livre pour retracer sa carrière ? Nous avions déjà commencé à écrire ce livre en janvier, et nous l’avons fini après l’Euro. Le titre est Vai correr tudo bem (Tout va bien se passer !, ndlr) et c’est une source d’inspiration pour les autres personnes qui sont en situation d’échec. Les gens qui ont lu le livre ont remercié Éder, car sa vie est source d’espoir. Il a eu une vie très difficile, une histoire personnelle compliquée. C’est une vie de détermination, de résilience, de souffrance. Les gens ont enfin commencé à le reconnaître à sa juste valeur, et ont vu à quel point c’est un travailleur qui fait tout pour réussir à atteindre ses objectifs.
Qui a eu l’idée d’écrire ce livre ? C’est moi. Quand je l’ai connu il y a deux ans, je ne lui en ai pas parlé tout de suite, parce que je pensais qu’il ne voudrait pas exposer son histoire personnelle. En janvier 2016 lorsqu’il est arrivé à Lille, j’ai pensé que c’était le bon moment pour lui en parler. Je lui ai dit qu’il avait déjà atteint son objectif de jouer en Premier League et il était important de faire passer son message aux autres joueurs, aux plus jeunes qui débutent. Il était important que les gens connaissent l’histoire qu’il y avait derrière, le travail fourni et de faire passer le message qu’il ne faut jamais baisser les bras. Au début, il était réticent à l’idée d’écrire ce livre et de raconter sa vie personnelle, mais le fait de pouvoir inspirer les autres lui a plu et il a donc accepté l’idée. On a commencé à enregistrer nos échanges et notre travail, et j’ai tout retranscrit sur ordinateur. Quand l’Euro a débuté, j’ai arrêté d’écrire et je suis allée à Marcoussis pour travailler avec lui. À la fin de l’Euro, j’ai écrit le passage sur le mois de l’Euro, et ensuite nous avons sorti le livre le 28 août dernier. Tout s’est très vite enchaîné, et les retours du public sont excellents.
Comment vit-il les sifflets de la part des supporters de Ligue 1 depuis le début de saison ?L’un des principaux travaux que j’ai entrepris avec Éder était concernant la signification que nous donnons aux choses, aux attitudes d’autrui et je lui ai appris à voir les choses différemment. Les Français n’ont pas aimé perdre et vu que c’est Éder qui a marqué le but, il est normal que le public français le siffle. Les supporters sont ainsi, ils se manifestent et expriment leur opinion. Éder comprend que les gens manifestent la frustration de la défaite et qu’ils le font contre lui, car c’est lui qui a marqué le but. Avec le temps, les supporters passeront outre.
Est-il malgré tout heureux en France ? Éder aime beaucoup la France, il a appris à parler français en quinze jours. Ça a été très vite, sans professeur, simplement en parlant avec des Français, en regardant la télévision, en écoutant de la musique française… C’est un pays qu’il aime et je pense donc qu’avec le temps, la France finira par lui pardonner son but, et être plus amical envers lui, car Éder travaille tous les jours pour la France.
Comment Éder a vécu son début de saison compliqué avec Lille avant son but contre Nancy ?Nous avons passé deux mois sans travailler ensemble parce que j’étais très occupée au Portugal avec l’écriture du livre, sa présentation et également avec plusieurs entreprises privées à qui je donnais des conférences. Pendant ce temps, Éder a commencé sa saison à Lille, mais ça ne s’est pas passé comme il l’aurait voulu. Nous avons repris nos échanges il y a quinze jours et ses deux derniers matchs étaient très bons. Il a même marqué un but pour donner la victoire à son équipe. Je pense qu’il va reprendre ses bonnes performances de la fin de saison dernière. Il est très déterminé, il a des objectifs pour cette saison. Il veut remettre Lille en haut du classement et je ne doute pas qu’il y parvienne. Peu importe comment on commence, ce qui compte c’est comment on finit.
Avez-vous eu une discussion avec Frédéric Antonetti au sujet de votre travail avec Éder ? Non, je n’ai pas eu l’occasion de lui parler, déjà parce que je ne parle pas bien le français et c’est donc compliqué de parler avec lui. C’est dommage, car je suis sûre que ce serait un échange constructif. J’aurais des choses intéressantes à lui dire, pour l’aider lui et son équipe dans ce moment compliqué.
Avez-vous déjà travaillé directement avec une équipe professionnelle ? Au Portugal, je suis déjà intervenue auprès de deux équipes de Liga Nos, dont le Vitória Guimarães, la saison dernière, quand l’entraîneur était Sergio Conceição. Il m’a appelé, car l’équipe était au 15e rang du classement et elle voulait se maintenir. J’ai accepté d’apporter mon aide, mais je pensais que le maintien était un objectif trop faible. J’ai proposé l’objectif de finir à la cinquième place, ce qu’ils ont accepté. En trois mois, d’octobre à décembre, ils sont passés de la 15e à la 5e place, en gagnant pratiquement tous leurs matchs. Nous avons fait un travail exceptionnel, mais en janvier, je suis allée à Londres pour obtenir une certification en programmation neuro-linguistique (PNL). J’ai dû laisser l’équipe pendant trois mois et le Vitória Guimarães a terminé à la dixième place. Sergio Conceição est un entraîneur qui valorise beaucoup l’entraînement mental. Les joueurs ont la technique, ils savent ce qu’ils doivent faire, mais ils n’ont pas forcément la disponibilité mentale pour le faire. C’est donc très important de travailler sur le stress, l’anxiété, les peurs, ce que nous devons faire à tel moment du match selon le résultat. C’est ça, mon travail.
Et si Cristiano Ronaldo jouait le Mondial 2030 ?Propos recueillis par Steven Oliveira