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Sur un crochet de Zlatan
Arrivé sur un lit de doutes à Manchester l'été dernier, Zlatan Ibrahimović est devenu début février le premier joueur de United à atteindre la barre des vingt buts sur une saison depuis Robin van Persie. Le dernier symbole fort d'un catogan qui a fait repasser le club du désir à l'ambition et un crochet envoyé sur quelques mâchoires.
Que reste-t-il du Cliff ? Avant tout, le souvenir d’une révolution débutée à la fin des années 80. C’est là qu’un matin de novembre, l’un des hommes les plus recherchés de l’époque a débarqué pour retourner les cultures et les prendre de face. Sa première causerie, Alexander Chapman Ferguson l’a faite un lendemain de cuite. La sienne ? Non, celle des membres du drinking club de Manchester United largement animé par le trio Robson-Whiteside-McGrath. Ferguson, lui, avance dans la vie comme le faisait son mentor, Jock Stein, mort sur scène le 10 septembre 1985 à Cardiff sous les yeux d’un Fergie adjoint, soit avec autorité et avec l’exigence d’une hygiène de vie irréprochable. En quelques semaines, l’Écossais interdira l’alcool, dégagera les bouteilles des casiers, rendra les costumes obligatoires les jours de match et imposera un visage rasé de près à chacun de ses joueurs. The Cliff a donc d’abord été le théâtre de la révolution portée par un homme dont on connaît aujourd’hui tous les succès. Son premier titre de champion d’Angleterre, Sir Alex Ferguson le remportera en 1993.
Quelques mois plus tôt, la légende écossaise a récupéré un certain Éric Cantona dans son effectif, champion la saison précédente avec Leeds sur un « I love you, I don’t know why, but I love you » resté mythique. Cantona entre dans l’histoire dès sa première saison à Manchester en devenant le premier joueur du championnat à devenir champion successivement avec deux clubs différents, mais reste surtout, encore à ce jour, l’un des autres souvenirs centraux du Cliff. Tout simplement car Canto représentait une certaine idée de la perfection. Une habitude mise en place dès le premier jour le résume parfaitement. À la fin de son premier entraînement avec Manchester United, le Français ne va pas vers le vestiaire de l’équipe pro, mais interpelle Ferguson. « Coach, j’ai besoin de deux joueurs. – Pourquoi faire ? – Pour travailler. » Dès cet instant, Cantona aura deux jeunes du centre de l’équipe réserve à sa disposition pour lui faire des centres et le laisser bosser ses volées chaque jour. Il y a plus de vingt-quatre ans, un joueur étranger venait doper un effectif motivé pour le surmotiver. Nous sommes en 2017 et l’histoire se répète aujourd’hui à Carrington, qui a depuis remplacé le Cliff.
Les plans et l’âme
Mais n’a-t-on pas retenu la leçon ? Il y a quelques mois, lorsque Zlatan Ibrahimović est arrivé à Manchester, tout et n’importe quoi a été écrit. À trente-quatre ans, on le disait cramé, dépassé pour le haut niveau, le rythme de la Premier League, mais lui n’avait aucune envie de se barrer prendre des chèques faciles en Chine, aux États-Unis ou dans un club européen qui n’avait pas la possibilité de lui offrir ses besoins de défi. Ça, ce sera sûrement pour plus tard. Puis, il y a eu José Mourinho, cet homme à propos de qui Zlatan avait un jour confié ceci : « Un lien s’est formé entre nous avant même que nous nous soyons rencontrés. Il devait plus ou moins devenir quelqu’un pour qui j’aurais pu mourir. » Ibrahimović et Mourinho étaient faits pour se retrouver. Alors, mieux que mourir pour le Portugais, le Suédois est devenu l’âme du Manchester United de José, l’équivalent de ce qu’étaient hier pour l’ancien entraîneur de Chelsea Didier Drogba ou Diego Costa. « Je donne beaucoup de consignes à l’entraînement, mais c’est difficile pour moi de faire pareil lors des matchs, donc j’ai besoin de joueurs qui, sur le terrain, prennent le relais. Zlatan fait partie de ce type de joueurs » , confiait récemment Mourinho. Comme à Paris ou ailleurs, Ibra est devenu en l’espace de quelques semaines ce mec capable de sortir le geste dans la douleur, de trouver l’espace dans la difficulté. Au point de déjà devenir en sept mois le premier joueur de Manchester United à atteindre la barre des vingt buts sur une saison depuis Robin van Persie, arrivé à l’époque comme le dernier ingrédient d’une recette déjà presque parfaite autour de De Gea, Ferdinand, Vidić, Évra, Scholes, Carrick ou encore Rooney. Là, le tableau était différent et la page blanche sur laquelle s’est lancée José Mourinho l’été dernier était bancale. Une question de temps, avant tout.
Les couilles et l’héritage
Ce qu’a déjà apporté Zlatan Ibrahimović à Manchester United est finalement assez facilement palpable : une exigence de l’effort, un goût du succès, mais aussi sa capacité à élever le niveau de ceux qui l’entourent malgré le fait qu’il puisse encore disparaître par période de certaines rencontres. Sans lui, la bande à Mourinho ne serait probablement pas sixième de Premier League. La machine a mis quelques mois à se lancer, mais le Suédois n’a eu besoin que de quelques matchs. Pour, finalement, renvoyer les critiques d’une savate sanglante dans la gueule de ces mecs « payés pour raconter de la merde » début janvier : « J’ai vécu une année fantastique.(…)Je suis venu à Manchester United, mes six premiers mois ont été plus qu’incroyables.(…)Je suis venu en Premier League et tout le monde pensait que c’était quelque chose d’impossible pour moi, mais comme souvent, je leur ai fait bouffer leurs couilles. » Oui, c’est clair, et Zlatan s’est souvent nourri de ses détracteurs. L’homme agace, il fascine, mais il répond. Ce qui est aussi vrai, c’est que le bonhomme n’a jamais aimé les personnes fausses. S’il s’est un jour engueulé avec Cambiasso à l’Inter, c’est pour ça. Là aussi, le catogan a du Cantona. Un mélange de respect, d’arrogance, mais aussi de travail auprès de jeunes qui restent souvent impressionnés devant l’aura. La mission définitive de Zlatan Ibrahimović jusqu’à son départ de Manchester – soit on ne sait pas vraiment quand, même si son recrutement a une visée assez courte – sera donc celle-ci : transmettre les clés du coffre, l’héritage, à Marcus Rashford ou Anthony Martial. En attendant, il y a encore quelques lignes à écrire.
Par Maxime Brigand