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Sur les traces de Martin Ødegaard
La trajectoire fulgurante de Martin Ødegaard contraste avec son humilité et sa maturité, qu’il a forgées à Drammen, dans la grande banlieue d’Oslo, entre des terrains indoor, un père mentor et l’église locale.
Quelques personnes qui marchent sans presser le pas, alors que le mercure affiche quelques degrés en dessous de zéro, des magasins quasiment vides et pas franchement d’embouteillages sur les routes : Drammen ressemble à une petite ville de province un peu assoupie. À 35 minutes de train de la gare centrale d’Oslo, un franc soleil réchauffe la ville construite de part et d’autre de la Drammenselva, la rivière dont elle tire son nom. Sur sa rive droite, le centre-ville, ses rues proprettes et tranquilles. De l’autre côté, les usines et les scieries qui ont fait la réputation de la ville. Du moins jusqu’à l’éclosion de la pépite locale : Martin Ødegaard. Pur produit du cru, l’actuel maître à jouer d’Arsenal et élément clé du système tactique de Mikel Arteta, qui a fêté ses 24 ans le 17 décembre dernier, a éclos ici. Au calme, et au frais.
50 000 euros pour une pelouse synthétique
Pour marcher sur les traces du jeune prodige, il faut se rendre au Marienlyst Stadion, le stade du club de Strømsgodset IF. C’est sur le terrain synthétique, régulièrement recouvert de givre en hiver, que Martin le précoce a brillé avant de partir au Real Madrid en janvier 2015 pour 4 millions d’euros. Entre deux réunions avec ses équipes, Haakon Lunov, le directeur du centre de formation du club, prend le temps de recevoir, un café noir à la main. Depuis la fenêtre, il observe le terrain adjacent où se dispute un match de bandy. Ce drôle de sport – « le plus rapide du monde » dixit Lunov – est une sorte de hockey sur glace disputé à 11 contre 11, avec une balle plutôt qu’un palet, sur une patinoire aux dimensions d’un terrain de football. De nombreux jeunes de Strømsgodset ont commencé par le bandy, extrêmement populaire dans la région d’Oslo, avant de rejoindre la section football : « Ceux qui ont joué au bandy ont un avantage, comme c’est un sport où tout va très vite, ils savent prendre des décisions plus vite au moment où ils reçoivent le ballon. » Martin Ødegaard, lui, n’a jamais joué au bandy, il a directement commencé par le football, dès l’âge de 4 ans.
Mais avant de rejoindre le centre de formation de Strømsgodset, il y a eu Drammen Strong, un petit club de la ville. C’est là que Martin commence à taquiner la gonfle, déjà conseillé par son paternel Hans Erik, qui est alors un honnête joueur de première division, sous les couleurs de Sandefjord. À 7 ans, le petit prodige est déjà au-dessus du lot. Son père et d’autres parents de joueurs de Drammen Strong investissent ensemble et réunissent la somme de 50 000 euros pour que les jeunes puissent s’entraîner sur une pelouse synthétique plutôt que sur du stabilisé. Une décision onéreuse, mais qui s’avérera capitale dans la carrière du jeune homme. Une carrière que son père n’a « jamais cessé d’accompagner » selon l’entraîneur adjoint de Lillestrøm FK, l’Islandais Siggi Eyjólfsson: « Ødegaard est le projet de son père. Tous les soirs, il lui proposait des entraînements supplémentaires, il l’a entraîné très sérieusement, sans jamais être un père tortionnaire qui lui pourrissait la vie. Mais il a dû s’entraîner 10 000 heures depuis le début de sa vie, il n’y a pas de secret. » Pas de secret : c’est d’ailleurs ce que semble dire la devise de Strømsgodset, où Martin est arrivé en 2009 à 10 ans, quand son talent devenait trop à l’étroit pour Drammen Strong. Assis dans la cantine du club, Haakon Lunov la montre fièrement du doigt: « Loyauté, humour, respect, humilité ». Quatre mots qui représentent les valeurs du club et la philosophie du centre de formation. Quatre mots, aussi, parfaitement illustrés par Martin Ødegaard.
Pour la première fois en équipe première face… à son père
Haakon Lunov a bien connu Ødegaard. Il faisait partie du staff de Ronny Deila, l’homme qui a intégré Martin à l’équipe première alors que celui-ci avait tout juste 13 ans. Il a ensuite suivi son mentor au Celtic, avant de revenir à ses premières amours. Toutefois, Lunov réfute toute responsabilité dans la progression d’Ødegaard: « Si je te disais qu’il en était arrivé là grâce à moi ou au club, alors je serais soit malhonnête, soit le roi des trous du cul. Ici, on fait la distinction entre les talents cachés, qu’il faut faire travailler davantage, qui ont des qualités, mais besoin de beaucoup d’accompagnement pour éclore et progresser, et les talents visuels, les joueurs qui ont des qualités qui sautent aux yeux de tous immédiatement. Martin est évidemment un talent visuel. Mais un talent hallucinant. C’est une exception, il serait devenu un grand joueur n’importe où», assure-t-il.
Un grand joueur, donc, dont le talent saute aux yeux de tous. Un talent toujours surclassé aussi. Alors qu’il a 12 ans, il fait partie de la sélection régionale du Buskerud, lors d’un tournoi organisé par la fédération norvégienne. Il éclabousse le tournoi de sa classe, face à des gamins qui ont trois ou quatre ans de plus que lui. Le coach Lars Tjærnås se souvient: « Il voyait des solutions et des espaces que même nous, en tant que coachs, n’étions pas près d’imaginer. Il avait ébloui tout le monde, alors qu’il avait quatre ans de moins que les autres. Il était impossible de ne pas réaliser que nous étions témoins de quelque chose qui sortait de l’ordinaire. » C’est en effet aussi ce que se disent Lunov et Deila quand ils appellent Ødegaard, alors âgé de 13 ans, en équipe première pour un amical de présaison face à Mjøndalen IF, l’équipe dont l’entraîneur-adjoint n’est autre que… Hans Erik, le père de Martin. Joli clin d’œil du destin.
Extras, humilité et paroisse locale
Les mois passent et, à 15 ans à peine, en janvier 2014, l’ado intègre l’effectif professionnel. Comme il est encore au lycée, il ne peut pas s’entraîner tous les jours avec Strømsgodset et fait donc des extras avec Mjøndalen. Cette contrainte ne gêne pas Ødegaard, qui gagne très vite une place de titulaire avec Strømsgodset: « Il ne faut pas juger Martin sur son âge. À 15 ans, il avait déjà la maturité d’un type de 25, c’est incroyable. Ça n’était pas trop tôt, tout le monde le voulait en équipe première, c’était logique. » Un constat partagé par Leif Smerud, le sélectionneur des U21 norvégiens, qui a appelé Ødegaard en sélection espoirs à l’automne 2014 : « Je l’ai eu à trois reprises l’an passé avec l’équipe U21, il a fait un très gros match, notamment contre le Portugal. Ce qui était impressionnant, au-delà de son talent, c’est surtout sa maturité, et les décisions qu’il prend notamment sur le terrain. Il n’est pas rare de voir des joueurs de 15 ans vraiment doués, avec un talent comparable à celui de Martin. La différence, c’est ce que Martin fait de ce talent, comment il l’utilise. La plupart des gamins de 15 ans ont tendance à jouer pour eux, ou à ne pas avoir de science du jeu, ce qui est normal. Martin, lui, a déjà ce sens du jeu et cette capacité à jouer juste, à prendre les bonnes décisions, il est incroyablement mature. Il est né en décembre 1998. Quand il a intégré l’équipe, il jouait avec des mecs de 1992 ! Sur le terrain, mis à part l’apparence physique, on ne pouvait faire aucune différence avec ses partenaires. »
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Smerud ne pourra retenir le petit Martin que trois matchs, avant que celui-ci ne brûle les étapes une fois de plus, et intègre l’équipe première quelques mois plus tard. Smerud, encore: « Martin a plein de qualités, techniquement il est très fort, il met beaucoup de rythme. Il travaille très dur et fait vraiment les bons choix au niveau du jeu. Il le comprend à merveille. Ce qui m’impressionne, aussi, c’est qu’il apprend très vite. » Lunov ne dit pas le contraire. Lui vante la qualité de son poulain à « faire des passes déséquilibrantes avant tout ». Mais au-delà du talent, c’est de l’humilité d’Ødegaard et de son entourage sain que les deux hommes veulent parler. Une humilité sans doute due aux valeurs chrétiennes du jeune homme. Les Ødegaard sont en effet des fidèles de la paroisse locale, où on les croise tous les dimanches à la sortie de la messe: « Martin est très bien entouré, ça fait sans doute aussi la différence. Sa famille et lui ne sont pas que des gens intelligents, ce sont aussi des gens foncièrement bons, avec des valeurs, il n’y a pas de risques qu’il cède aux paillettes. Il a des valeurs solides, vient d’une famille qui lui a conféré des valeurs comme le sens de l’effort du travail. Avant de penser à lui par exemple, il pense aux autres. »
En janvier 2015, il signe au Real Madrid et emmène son mentor de père dans ses valises, pour 4 millions d’euros, un montant inédit pour un type de 16 ans à peine. Haakon Lunov livre une anecdote en évoquant cette signature qui fait alors un petit buzz médiatique : « Quand on a su qu’il avait signé avec le Real, la première chose qu’il a faite, c’est d’aller au hall de football indoor situé à côté du stade. Le hall était fermé, il a demandé la permission au gardien de lui emprunter les clés pour s’entraîner en lui promettant de les déposer chez lui ensuite. Et donc Martin s’est entraîné seul dans le stade indoor vide. N’importe quel gamin de 15 ans qui viendrait de signer pour le plus grand club du monde aurait annoncé la nouvelle sur Facebook, se serait un peu vanté. Lui est allé s’entraîner. Ça en dit beaucoup sur le bonhomme. »
Par Arthur Jeanne, à Drammen
Tous propos recueillis par AJ. Article paru dans SO FOOT CLUB, numéro 19, en 2016.