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Sur les traces de Lucas Digne
Avec Kurzawa, il incarne probablement l’avenir du couloir gauche de l’arrière-garde française. Après une saison pleine à Rome, Lucas Digne, 22 ans, devrait profiter de cet Euro pour engranger un peu d’expérience derrière le patron Évra et préparer le terrain pour la Coupe du monde 2018. En attendant, il est l’indéniable fierté de Crépy-en-Valois et du LOSC, ses premiers clubs, ceux qui lui ont permis de se forger. Retour à la source, là où son histoire s’est éveillée.
Situé à soixante kilomètres de Paris, dans le département de l’Oise, Crépy-en-Valois est une petite commune d’à peine 14 000 habitants où il n’y a pas grand-chose à faire à part visiter deux-trois monuments historiques. Le complexe sportif de l’équipe de foot n’est pas non plus des plus séduisants. En son sein, deux terrains : l’un pour les matchs, l’autre réservé aux entraînements. C’est tout. À entendre le coach Jean-Michel Cholet, l’US Crépy-en-Valois « n’est pas le genre de club à avoir une belle pelouse. Faute de moyens pour la protéger, on va jouer en salle durant l’hiver. »
Lorsqu’il débarque ici en 2002, à 9 ans, Lucas Digne a pourtant l’ambition de franchir un palier. Il vient de passer ses quatre premières années de footeux à l’US Mareuil-sur-Ourcq, et sa famille sait bien que la ville voisine possède de meilleures infrastructures. Une équipe au niveau plus élevé, également. Alors, puisque leur petit Lucas ne s’imagine pas faire autre chose que câliner le cuir, puisque sa passion du ballon rond semble être son seul moteur, ils n’hésitent pas une seconde à l’inscrire à US Crépy-en-Valois. L’occasion, en gros, de s’éclater encore davantage et, éventuellement, de se mettre en valeur.
De la timidité, des terrains boueux et des grosses remontrances
Au début, ce ne sera pas le cas. Comme tous ses camarades de jeu – et comme tout gamin de neuf ans -, l’arrière gauche est agité sur le terrain, plein d’énergie, ravi de s’amuser avec un ballon.
Son potentiel ne souffre déjà d’aucune contestation, mais il demande à être aiguillé, peaufiné. Et puis il n’évolue encore qu’en Benjamin, c’est bien trop tôt pour envisager une carrière professionnelle. Ce qui va faire la différence, finalement, c’est sa motivation. « Il jouait attaquant à l’époque, il adorait mettre des buts et il était déjà excellent pour son âge, éclaire aujourd’hui Jean-Michel Cholet, la fierté à peine dissimulée lorsqu’il s’agit d’évoquer le destin de son ancien protégé. Avant, très vite, d’entrer dans le vif du sujet : « Il s’est toujours donné les moyens de réussir. Devenir professionnel, ça a toujours été son rêve. Et quand on a fait ses classes, comme lui, dans la boue, sur des terrains sans pelouse, mais avec beaucoup de terre, on ne peut être que bon lorsqu’on commence à jouer sur de vrais terrains. »
Réputé discret, simple, humble à la limite de la timidité, Digne « n’était pas le genre de gamin à faire des bêtises » , mais, à en croire son ancien entraîneur, pouvait avoir un sacré caractère par instant. Quitte à péter les plombs en plein match. Comme cette fois où l’Us Crépy-en-Valois est mené 2-0 sur sa pelouse : « Son père était dans les tribunes, il l’encourageait, mais comme le match ne se passait pas comme il l’avait prévu, il a commencé à s’énerver et lui a répondu de façon assez sèche, détaille Jean-Michel Cholet, toujours souriant lorsqu’il s’agit d’évoquer cet épisode révélateur du tempérament de son poulain. Lucas n’avait que dix ans, mais sa réaction était bien trempée. Celle de son père également. En plein match, il est descendu des tribunes, l’a attrapé par le haut du maillot, l’a amené dans les vestiaires et, je pense, lui a donné une bonne souffrance. Je vois encore les images, le changement de joueur que j’ai été obligé de faire, etc. »
La force tranquille
Toujours en contact aujourd’hui – « Il m’a invité plusieurs fois à Paris et à Rome pour le voir » -, Lucas et Jean-Michel ne manquent pas d’évoquer ce souvenir lorsqu’ils se croisent.
Ça les fait sourire. Les deux savent que s’il fait aujourd’hui partie de la liste des 23 de Didier Deschamps, c’est aussi grâce à une famille unie, attentive à son parcours, qui veille à ce qu’il reste simple, ne se la raconte pas trop et garde en mémoire le milieu d’où il vient. « Ça peut paraître bête à dire, mais c’est important quand on est formateur d’avoir une bonne relation avec la famille, précise Jean-Michel Vandamme, directeur du centre de formation du LOSC. Avant d’approfondir, avec la conviction de ceux qui savent de quoi ils parlent. C’était le cas avec les parents de Lucas. Ils ont toujours été dans la collaboration, ne sont jamais tombés dans la connerie comme beaucoup d’autres familles. Ce qui n’était pas forcément évident parce qu’on avait engagé Mathieu, leur fils aîné, à la base. Lorsque ce dernier a compris qu’il n’y arriverait pas, mais que son petit frère avait toutes ses chances, ça n’a pas dû être facile à gérer pour les parents. »
Digne n’a que quatorze piges lorsqu’il débarque dans le Nord. Mathieu, son grand frère, vient d’intégrer le centre de formation du LOSC et sa famille compte bien l’accompagner dans cette nouvelle vie. Lucas est lui aussi dans les petits papiers des Dogues, mais il lui est demandé de s’entraîner avec Villeneuve-d’Ascq. Du moins, pendant un temps : « Il appartenait déjà au LOSC, mais le domaine de Luchin n’était pas encore finalisé, restitue Rachid Chihab, entraîneur en fonction depuis 1993 au sein du LOSC. Du coup, il a pleinement intégré le centre de formation un an après son arrivée. Dès lors, tout est allé très vite pour lui. »
Très rapidement, en effet, son talent a été manifeste pour tous, et certains aspects de son style de jeu que l’on retrouve désormais chez lui sont d’ores et déjà palpables. Problème : Digne ne sait pas jouer dos au but. Un gros point noir lorsqu’on se veut attaquant. « On avait déjà eu la même expérience avec Debuchy et son repositionnement nous semblait tout aussi évident, rappelle Jean-Michel Vandamme, non sans louer son talent. « Il n’arrivait jamais à se retourner lorsqu’il était dos au jeu, mais aimait par-dessus tout partir de loin. Sa vitesse et sa puissance dans les accélérations faisaient qu’il était très facile lorsqu’il avait un peu de champ. » Soucieux de restituer le passé avec véracité, Rachid Chihab précise : « Plus on avançait dans le cursus, plus les qualités dont il disposait se révélaient. Il s’est imposé à ce poste grâce à sa motivation, son assiduité et sa mentalité, mais je pense sincèrement qu’il était programmé pour ça. »
« Même Hazard n’affichait pas autant de détermination »
Derrière le gamin discret, il y a déjà une maturité saisissante. Lucas écoute attentivement, se nourrit des conseils de ses éducateurs et les applique. Alors que beaucoup de ses coéquipiers craquent sous la pression, lui s’en accommode :
« Son mental, sa certitude d’y arriver, c’est ce qui a fait la différence. Je n’ai rarement vu quelqu’un d’aussi déterminé que lui. Même Hazard n’affichait pas autant de détermination, alors qu’il avait sans doute un plus gros potentiel. Digne, lui, était limite impatient. Il avait beaucoup de conviction, de détermination et de caractère, bien plus que la plupart des joueurs de haut niveau. » Rachid Chihab a lui aussi été impressionné par la précocité de celui qu’il a dirigé en U18. « Le fait qu’il est toujours été surclassé, qu’il est toujours joué dans des catégories supérieures, ça l’a forcément aidé à progresser, rappelle-t-il, encore admiratif. Mais sa force, je pense, c’est d’avoir une personnalité assez forte sans jamais chercher à la mettre en avant. Il a un sens du collectif incroyable. Alors, forcément, il n’avait que des copains. »
À l’hiver 2011, Vandamme finit par persuader Rudi Garcia de l’intégrer dans le groupe et de le faire jouer. « Il avait déjà été titularisé lors d’un match en Coupe de la Ligue contre Sedan, mais n’avait plus jouer ensuite. Je sais que ça l’avait déçu de ne pas jouer le premier match de Coupe de France contre Chantilly en janvier 2012, mais Rudi Garcia voulait préparer son équipe type. Malgré tout, je suis intervenu et je lui ai demandé de le faire jouer au deuxième tour, face à Compiègne. Il a été exemplaire et Rudi lui a tout de suite fait confiance. » Lucas ne profite alors d’aucun concours de circonstances ou d’une quelconque blessure pour glisser son nom dans les petits papiers de l’entraîneur. Son endurance, sa qualité de centre et sa puissance sur les premiers appuis ont fini par convaincre Garcia d’en faire un titulaire presque indiscutable au LOSC.
« Se donner les moyens, c’est ce qu’il a toujours fait »
La suite est connue.
Debuchy en partance pour Newcastle, Béria repositionné à droite, Digne enchaîne les matchs, révèle un sens viscéral du collectif et affirme au haut niveau un style que l’on retrouve encore aujourd’hui à Rome. Rachid Chihab : « Il a énormément progressé sur le plan défensif, dans ses placements et ses déplacements. Avant, il manquait de rigueur, mais là il est en train de s’imposer comme l’un des meilleurs arrière gauche moderne. » Au point d’être le futur latéral de l’équipe de France ? Jean-Michel Vandamme en a la certitude : « Je ne connais pas le caractère de Kurzawa, je sais qu’il en a les qualités également, mais je peux affirmer que Digne, de son côté, va tout faire pour s’imposer en tant que titulaire. Se donner les moyens, c’est ce qu’il a toujours fait. »
Reste que si ses différents entraîneurs ou éducateurs lui prédisent un avenir étoilé, lui reste fidèle à ses origines.
À ses premiers clubs. À ses anciens mentors. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un œil aux différentes photos mises en ligne sur le site de l’US Crépy-en-Valois. Sur plusieurs d’entre elles, on l’aperçoit, tout souriant au milieu de ces gamins qui lui apportent un soutien inconditionnel, sans faille. « C’est le seul joueur à être sorti du club avec une telle réussite. Forcément, ça crée des vocations et ça aide le club à accueillir de nouveaux inscrits » , explique avec tendresse Jean-Michel Cholet. Dans une interview à France 3, Muriel Da Silva de l’US Mareuil-Sur-Ourcq se disait elle aussi une présidente comblée : « Lucas est devenu un exemple pour les jeunes de Mareuil, ils savent qu’il a commencé ici tout petit et ils voient qu’il y a la possibilité, même dans un petit club amateur, de pouvoir faire quelque chose de grand et peut-être devenir professionnel. » Pour son prochain onze, Deschamps sait où regarder.
Par Maxime Delcourt