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Sur les traces de Lautaro Martínez, le taureau de Bahía Blanca
À 22 ans, que ce soit avec l'Inter ou avec Albiceleste, Lautaro Martínez emporte tout sur son passage, si bien que le Barça l'imaginerait bien prendre la place de Luis Suárez. Voyage sur les traces de "Lauti", dont l'explosion ne surprend personne en Argentine, et aux origines d'un animal prêt à encorner le monde entier depuis qu'il a foutu les pieds sur terre.
Sur la côte Atlantique, à mi-chemin entre Buenos Aires et la Patagonie, il existe une ville où le football a un sérieux rival dans le cœur des locaux. Bienvenue à Bahía Blanca, plus de 300 000 habitants et plus grande base navale du territoire, mais surtout capitale argentine du basket. Ici, la balle orange est une religion, importée, selon la légende, par des marins américains au début du XXe siècle. De Beto Cabrera au quadruple champion NBA et médaillé d’or olympique Emanuel Ginóbili, la cité bahiense et ses nombreux clubs ont vu naître les meilleurs joueurs du pays et une passion indescriptible. « Quand Manu jouait, la ville s’arrêtait », se souvient José Bilbao, 69 ans, dirigeant historique du Club Atlético Liniers, l’une des institutions du coin. Et maintenant ? « C’est quand il y a des matchs de l’Inter ! ».
Depuis la retraite de l’arrière des San Antonio Spurs en 2018, Lautaro Martínez a en effet endossé le costume d’idole de la baie blanche, lui qui a hésité jusqu’à ses 15 ans entre le foot et le basket. Seule certitude : il était prédestiné à passer sa vie avec un ballon car chez les Martínez, le sport est génétique. La grand-mère, Luisa, jouait par exemple au foot dans le petit club d’Estrella de Oro. Le cadet des trois frères, Jano, 17 ans, est lui un grand espoir des parquets argentins. Lautaro, né en 1997, a préféré de son côté choisir la même voie que son aîné, Alan, aujourd’hui défenseur central dans un club local, mais surtout de son père, Mario, latéral gauche qui a écumé les meilleurs clubs de la région. « Un grand joueur qui n’a pas eu la chance de connaître le grand football », expliqua un jour Lautaro Martinez, au Gráfico.
Joue-là comme Ginó
Au début des années 2000, Mario, qui travaille sur la base militaire, trimbale ses deux gamins sur tous les terrains jusqu’à les inscrire à Liniers, l’équipe du nord de la ville et dernier club de sa carrière. « Lautaro jouait l’après-midi et ensuite il attendait que son père termine l’entraînement sur le terrain principal, rembobine Bilbao, alors président du club. Pendant ce temps, on le voyait travailler ses tirs durant des heures. » Tellement impliqué que certains témoins de l’époque, impressionnés, le comparent alors au gamin Ginóbili qui répétait ses shoots jusqu’à l’épuisement.
Le petit « Lauti », un garçon aux cheveux longs, introverti, mais attachant, est en mission. Il sera comme ses idoles Radamel Falcao et Luis Suárez. Il va s’y dédier à 200%. « Quand il avait 14 ans, il était déjà hyper professionnel, se rappelle Alberto Desideri, l’un de ses premiers entraîneurs. Il posait beaucoup de questions. Il faisait déjà attention à son alimentation et demandait à manger des pâtes blanches avant les matchs. Il voulait tout le temps aller à la salle de musculation. En fait, il regardait ce que faisait les grands et il copiait. » Sur les terrains, Lautaro fait déjà parler sa vitesse, sa puissance et sa technique à tous les postes offensifs. Sa réputation dépasse très vite le cadre du complexe Oscar Zibecchi. À tel point que certains coachs adverses imaginent déjà des plans spécifiques pour l’arrêter. Souvent, en vain. Comme ce jour de finale contre Olimpo, le grand club de la région, disputée à Ingeniero White, le port de Bahía. « On perd 2-0 à la mi-temps. Je vais voir Lautaro et lui demande ce qu’il se passe », rejoue José Bilbao. Il me regarde dans les yeux et me dit : « T’inquiète, on va gagner le match. » Il a marqué deux buts et on a gagné. C’était déjà un joueur paranormal. »
X-men, professeurs Licha et Milito
Les grands clubs de Buenos Aires ne tardent alors pas à se pencher sur le bonhomme. À 15 ans, Boca Juniors l’observe, mais ne le retient pas. Le club de la Ribera s’en mordra les doigts et tentera de le récupérer plus tard, sans succès. River Plate et Vélez ont un œil sur lui, mais c’est le Racing qui décroche le jackpot. Un coup de pouce du destin alors que Fabio Radaelli, chercheur de talents pour l’équipe d’Avellaneda, n’était même pas venu pour lui à Bahía Blanca.
« Je ne l’ai vu que trente minutes, souffle-t-il. Il semblait aller d’un côté, mais son corps allait de l’autre. Il était bon des deux pieds et avait déjà un très bon jeu aérien. On a très vite essayé de convaincre son entourage. » Parce que l’école intégré au centre du club de la banlieue de la capitale va permettre à Lautaro de terminer ses études, la famille Martínez dit oui à Racing.
Même s’il souffre de la distance avec ses proches, l’attaquant annonce la couleur dès son premier entraînement en marquant un retourné acrobatique. La psychologue du club le soumet à un test et prévient tout le monde. Ce gamin timide a des capacités de concentration de X-Men. En deux ans, dans les catégories inférieures, il claque plus de cinquante buts. Au prix d’un travail physique acharné, le petit « Lauti » se transforme en « Toro ». « Quand il avance, il embarque tout sur son passage. Il te rentre dedans et te marche dessus. C’est un animal dans la surface comme l’était Batistuta », explique Radaelli pour justifier le surnom.
Ses maîtres ? Deux légendes du Cilindro : Lisandro López et Diego Milito. « Les deux ont été très importants pour lui. Il les a énormément écouté, assure Nicolás Montalá, journaliste dédiée à l’actualité de Racing depuis 1996. Il a su gérer le fait qu’il était attendu. C’est un garçon humble, posé, sérieux. On ne l’a jamais vu en boîte ou faire le moindre scandale. » Ses performances en équipe première dès 18 ans iront jusqu’à faire douter Jorge Sampaoli pour le Mondial 2018. Le sélectionneur préfèrera finalement Gonzalo Higuaín. Le taureau digère en silence et s’envole plein de rage, après avoir résisté aux appels de l’Atlético de Simeone. Destination l’Inter.
Le Barça sur toutes les lèvres
Deux ans plus tard, Lautaro Martínez est devenu le numéro 9 indiscutable du nouveau sélectionneur, Lionel Scaloni. Sa réussite et son transfert pour 25 millions d’euros en Italie sont encore célébrés aujourd’hui à Bahía Blanca. Sans donner de chiffres, le nouveau président de Liniers, Carlos Pablo, donne une idée du pactole touchée dans la transaction : « Grâce à cet argent, on a pu : changer la toiture des deux gymnases, refaire les parquets, mettre des illuminations LED partout, rénover les piscines, installer des arrosages automatiques. Là on termine une nouvelle salle fermée avec des courts de tennis, des terrains de foot et on construit un parking de 700 places… ». La liste est longue. Au plus grand plaisir du joueur, très attaché au club de son enfance, à qui il rend visite dès que possible.
Ici, Lautaro est toujours « Lauti », ce mec tranquille qui vient partager le maté ou taper le ballon avec les attaquants. La dernière fois, c’était en décembre dernier. Alors que le buteur signait quelques autographes, son ancien coéquipier Julio Acosta, le même qui lui avait rasé le crâne après son premier match, en avait profité pour lui voler ses crampons tout neuf. Après l’avoir au préalable traité de « fils de … », le « Toro » les lui a finalement offerts. Grand seigneur. « J’aimerais qu’il aille au Barça pour jouer avec Messi, avoue l’ex-partenaire blagueur.Son frère, avec qui je vais souvent courir, est très discret sur le sujet. Quand on lui pose la question, il se marre et reste muet ! ». L’intérêt des Blaugrana alimente toutes les discussions. Le deal serait synonyme de nouvelle rentrée d’argent pour Liniers. Le président assure ne rien savoir des négociations, souhaite le meilleur au fils prodigue, mais prévient déjà : « S’il est vendu, mon vœu c’est de construire une école. »
Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires
Tous propos recueillis par GQC, sauf mentions.