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Supporters : les dirigeants du foot aux abonnés absents ?
Le boycott par les instances du football des Assises du supportérisme, qui se sont déroulées mercredi 11 février au Sénat en présence du secrétaire d'État aux sports, n'est pas passé inaperçu. Ignorées par la LFP et la FFF, qui leur reprochent un manque de représentativité, les fédérations de supporters ont décidé de faire appel aux parlementaires pour être intégrées parmi les acteurs du monde du football.
Y a-t-il deux axes dans la gestion des supporters en France ? L’un serait guidé par la hantise de troubles à l’ordre public et le principe de précaution. Piloté par la place Beauvau, il verrait la Ligue de football professionnel (LFP) et la Fédération française de football (FFF) prendre directement consigne auprès de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). L’autre s’articulerait autour des efforts de deux fédérations nationales de supporters, le Conseil national des supporters français (CNSF) et l’Association nationale des supporters (ANS), pour avoir voix au chapitre, tant sur la gouvernance du football que sur les questions d’accueil du public dans les stades. À défaut d’être écoutés par les instances, elles mettraient un pied dans la porte laissée entrouverte par Thierry Braillard, le secrétaire d’État aux sports, et iraient chercher appui du côté des parlementaires, premiers représentants de leurs territoires et eux-mêmes potentiels supporters.
« L’argumentation évolue, mais la finalité reste la même : pas de dialogue »
Les deuxièmes Assises du supportérisme qui se sont tenues mercredi 11 février au Sénat en présence du secrétaire d’État aux sports et de parlementaires de diverses sensibilités, mais en l’absence remarquée de représentants de la FFF, de la LFP et de l’UCPF (Union des clubs professionnels de football), ont contribué à accréditer cette thèse. Et ce, d’autant plus que la Fédération française de football accueillait, dix jours plus tôt, le séminaire annuel de la DNLH. Un raout que n’avait cette fois pas boudé Frédéric Thiriez, président de la LFP, et pour lequel Noël Le Graët, absent, avait pris soin d’enregistrer une intervention vidéo tout en se faisant représenter par son directeur de cabinet, Victoriano Melero, ainsi que le relatent nos confrères de la Grinta.
Pour justifier le boycott des Assises, les cabinets des deux présidents ont eu beau jeu, dans un courrier envoyé aux organisateurs le 18 décembre dernier, de reprocher aux supporters une diversité d’interlocuteurs : « Nos instances font, depuis quelque temps, l’objet de diverses demandes émanant de différentes organisations se prévalant du statut de structure représentative des supporters en France. À ce stade, si nous sommes bien entendu disposés à engager des discussions sur le thème du « supportérisme », il serait prématuré de privilégier une organisation donnée. » Pourtant, il y a encore trois ans, Frédéric Thiriez s’abritait justement derrière l’absence de Fédération nationale pour refuser le dialogue. « On constate que leur argumentation évolue et qu’ils changent de discours, mais que la finalité reste la même : pas de dialogue » , déplore Florian Le Teuff, président du CNSF.
« On s’est calqué sur l’organisation européenne du supportérisme »
Le supposé manque de représentativité des associations de supporters a également été soulevé par les instances du football. Selon une source proche des dirigeants du football, deux approches s’opposent à ce sujet : « La FFF considère que le CNSF est un collectif nouvellement créé qui n’est pas représentatif de l’ensemble des supporters et elle leur a dit « construisez d’abord votre légitimité au sein des supporters, et ensuite, on pourra ouvrir le dialogue ». De son côté, le CNSF fait valoir que c’est aux instances du football de leur donner les moyens de se structurer et d’être représentatifs. » Une légitimité que Florian Le Teuff estime avoir bâtie en rassemblant au colloque « toutes les familles du supportérisme, des représentants de handi-fan clubs aux groupes ultras. Les instances auraient trouvé, si elles étaient venues, tous les interlocuteurs nécessaires pour aborder l’ensemble des questions relatives aux supporters. » Alors que le CNSF se positionne davantage sur la gouvernance et la représentation des supporters dans les clubs comme dans les instances, l’ANS est tournée vers les problématiques d’accueil et de gestion du public dans les stades. Leurs dirigeants respectifs expliquent s’être calqués sur l’organisation européenne du supportérisme qui comprend trois grandes fédérations : Supporters Direct qui rassemble les projets d’actionnariat populaire, Football Supporters Europe qui se préoccupe surtout de l’animation des stades et des droits des supporters, et le Centre pour l’accès au football en Europe focalisé sur les spécificités des supporters handicapés.
« On représente déjà plusieurs milliers de personnes, indique Romain Gaudin, responsable de la Brigade Loire nantaise et vice-président de l’ANS, mais si on avait une main tendue de la LFP, les gens nous rejoindraient encore davantage. Avec le silence des instances, le problème c’est que les groupes de supporters sont sceptiques et pensent que nos démarches n’aboutiront pas. La LFP nous reproche de ne pas être représentatifs, mais c’est à elle de nous reconnaître et d’accepter de discuter pour qu’on soit encore plus représentatifs. » Le mutisme de la Ligue entretient un climat de méfiance qui n’est pas de nature à réconcilier deux mondes dont les visions du football diffèrent déjà sensiblement. Lors du débat au palais du Luxembourg, Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des mouvements de supporters, expliquait que dans plusieurs pays voisins « les instances avaient justement favorisé l’émergence et la structuration des associations représentant les supporters » . Au sein des instances du football, on rétorque que « pour qu’un dialogue s’ouvre, il faudrait d’abord qu’il commence à huis clos et pas lors d’un débat public » .
« Au gouvernement, il n’y a pas qu’une seule ligne quant à la gestion des supporters »
Que les instances du football ne partagent pas la vision des associations de supporters n’est pas une nouveauté, mais qu’elles n’aient pas pris la peine de se déplacer, même pour faire entendre une voix discordante, a surpris jusqu’à Thierry Braillard qui a déclaré au Sénat : « Je regrette vraiment que ni la FFF, ni la LFP ou l’UCPF, même s’ils n’étaient pas d’accord, ne soient pas venus pour le dire » . Ayant reçu une délégation de mission de service public de la part du ministère des Sports, la FFF n’a-t-elle pas vocation, sinon obligation, à faire acte de présence à une telle rencontre ? Le cabinet du ministre laisse entendre que « ce n’est pas le rôle du ministère de contraindre. En revanche, c’est à nous d’encourager la structuration des associations et le dialogue avec les instances. C’était le sens de la venue du ministre aux Assises » . Si le dialogue doit être encouragé, il ne saurait donc être imposé. Une source proche des instances ajoute : « Au sein du gouvernement, il n’y a pas qu’une seule ligne quant à la gestion des supporters, chacun a sa façon d’appréhender le dossier et celle de Thierry Braillard n’est pas forcément celle du ministère de l’Intérieur » . Ce que le secrétaire d’État aux Sports, au détour d’un bon mot lors du débat, n’a pas vraiment eu l’air de démentir… Néanmoins, si la ligne sécuritaire prime sous la houlette de la DNLH, notamment dès qu’un match à risque se présente, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de place pour la discussion et la prévention, qui peuvent s’avérer complémentaires de la répression ?
La LFP, comme à son habitude sur ce sujet, s’est murée dans le silence, s’en tenant au discours rigide de Frédéric Thiriez lors du séminaire de la DNLH, le 3 février dernier : « La meilleure prévention, c’est quand même la peur du gendarme et la crainte de la répression » . L’UCPF tente, de son côté, de relativiser son absence : « On aura d’autres moments pour discuter avec le CNSF » . Et ajoute que s’il n’y a pas eu pour l’instant de réponse nationale donnée aux supporters, « on ne peut pas nier que les clubs font le travail localement avec leurs supporters. » Mis sous pression par les sanctions de la Ligue à l’encontre des clubs en cas de débordements de leurs fans, d’un côté, et par les revendications de leurs supporters, de l’autre, les clubs sont pris entre deux feux. Et ce sont eux qui, au final, paient les pots cassés, fait-on valoir du côté de l’Union des clubs pros.
« Ce n’est pas à la FFF ou à la LFP de dire à un club comment il doit gérer ses supporters »
En effet, mais les situations diffèrent d’un club à l’autre, et le dialogue qui prévaut à Lyon, Nice ou Bordeaux ne l’emporte pas forcément à Metz ou Montpellier. Voire pas du tout à Paris. La rencontre organisée au Palais du Luxembourg avait également pour objet de présenter la réforme du SLO (Supporters Liaison Officer – Officier de liaison avec les supporters) proposée par Supporters Direct et mise en place dans l’article 35 du règlement de l’UEFA. Le SLO est, au sein du club, chargé de fluidifier les relations entre, d’un côté, les supporters et, de l’autre, les dirigeants du club, mais aussi les stadiers ou les forces de l’ordre. Spécialement formé à cette mission, il est censé bien connaître la culture des supporters et ne pas avoir également en charge les questions de sécurité. « La France est très en retard dans ce domaine » , regrettait William Gaillard, conseiller spécial du président de l’UEFA Michel Platini, mercredi 11 février dans Le Parisien.
Au sein des instances du football, on laisse entendre que la position de William Gaillard n’est pas forcément celle de l’UEFA : « Ce n’est pas à la FFF ou à la LFP de dire à un club comment il doit gérer ses supporters. S’il n’y a pas de SLO, c’est parce qu’il n’y a pas de modèle unique, chaque club gère ses supporters à sa manière, en tenant compte des spécificités locales » . De son côté, l’UCPF fait valoir que la France a encore un an pour mettre en place cet agent de liaison avec les supporters et que des SLO existent déjà dans certains clubs. Cependant, certains cas évoqués au Sénat laissent sceptiques : à Metz ou à Montpellier par exemple, ceux qui devraient jouer le rôle de SLO sont d’anciens policiers… Au MHSC, Patrick Daudou, devenu directeur adjoint de la sécurité du club, était auparavant chargé de l’information et du maintien de l’ordre dans les rencontres sportives et autres manifestations de l’agglomération héraultaise. Qu’il s’occupe aussi des relations avec les supporters va à l’encontre de l’esprit de la réforme de l’UEFA, préconisant justement une personnalité qui ne soit pas issue de la sécurité. Pour se faire entendre, les supporters ont donc choisi de passer par la loi et la contrainte qu’elle pourrait exercer sur les autorités du football. « Comme on nous empêche d’entrer par la porte, on va s’efforcer de passer par la fenêtre » , ironise Florian Le Teuff.
Proposition de loi par les supporters ?
Jean-Pierre Clavier, professeur de droit à l’université de Nantes et vice-président du CNSF, a donc rédigé une proposition de loi en ce sens, qui modifierait les articles du code du sport afin de favoriser la représentation des supporters dans les clubs et dans les instances du foot. Le texte vise également à encourager l’actionnariat populaire sans néanmoins le rendre contraignant. Rien de bien révolutionnaire donc pour le petit monde du football, mais un levier pour que les fans soient écoutés et représentés. Afin de porter cette loi, le CNSF s’est rapproché de parlementaires de diverses sensibilités, comme Ronan Dantec ou François de Rugy chez EELV (Europe écologie les Verts), déjà sensibles au projet d’À la Nantaise. Dominique Bailly, sénateur PS du Nord et supporter de Lens, ou encore Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), qui a confessé ne pas être supporter, mais être scandalisé par les atteintes aux droits des fans qui s’exerceraient actuellement, ont également répondu à l’appel du CNSF. Retenues par leurs obligations parlementaires, les deux anciennes ministres des sports Marie-Georges Buffet et Valérie Fourneyron ont de leur côté transmis des textes de soutien à la proposition de loi, qui ont été lus à la tribune. Mais le chemin est encore long jusqu’à ce qu’une majorité se dégage pour faire adopter le texte à l’Assemblée. Si toutefois cette proposition de loi venait à être inscrite dans le code du sport, les instances du football ne pourraient plus ignorer les associations de supporters, sauf à se mettre en dehors du cadre d’une loi qu’elles reprochent, tous les week-ends, à certains supporters de ne pas respecter.
Par Anthony Cerveaux