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Supporters et hooligans en mode hashtag

Par Nicolas Kssis-Martov
6 minutes
Supporters et hooligans en mode hashtag

Les « voyous heureux » vivent toujours cachés. L'expression n'a plus aucun sens aujourd'hui pour les hooligans qui, désormais, existent sur les réseaux sociaux, où il se mettent en scène et peuvent ainsi imposer leur image sans avoir à dépendre du bon vouloir des médias. Et les journalistes n'ont même plus à se déplacer en zone dangereuse pour traiter « l’événement ». Une spirale qui a connu son premier grand vertige lors de cet Euro en France. Avec un contre-buzz : les Irlandais.

La vidéo a fait le tour du net et des sites web. La charge des hooligans à Marseille filmée à la go-pro par l’un d’entre eux, empruntant, en haletant, les rues étroites autour du Vieux-Port, dévalant les escaliers dans un frisson d’excitation. Un grand moment de n’importe quoi visuel et de plans inutiles, mais où se sentaient toute la tension et la violence de cette après-midi qui a permis aux cosaques de « gagner leur Euro » . Car toutes ces fights et lancers de chaises en milieu urbain n’auraient pas pris une telle importance s’il n’y avait eu, à la différence par exemple de 1998, de suivi sur les tablettes ou smartphones en quasi-direct du moindre combat ou prise de karaté alcoolisée. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne les Russes, qui ont remporté aussi bien la victoire aux poings qu’au hashtag. « Les actions des hooligans russes ont été relayées essentiellement grâce aux réseaux sociaux, explique Alexis Prokopiev de l’ONG Russie Libertés. Le réseau russe VK(ou VKontakte, équivalent de Facebook et très populaire en Russie)a été le plus utilisé. Notamment, on peut le voir avec le compte VK des Orel Butchers. Twitter et Instagram ont aussi été employés, notamment par les Gladiators Firm’96. Certains journalistes russes ont aussi largement relayé les « exploits » des hooligans, comme par exemple Dmitry Egorov. Évidemment, la plupart des messages célèbrent la violence et les « exploits » des hooligans avec des vidéos et des photos, notamment des « trophées » gagnés dans les « combats » contre les Anglais. La sémantique guerrière est très présente, même chez les journalistes. Elle se mêle à une émotion quasi disproportionnée quand il s’agit de décrire la manière dont sont traités les hooligans russes par les autorités françaises, on remarque une forte tendance au « deux poids, deux mesures » : célébrer la violences des hooligans et crier au scandale à la moindre question des policiers français. »

Agence de presse gratuite

C’est un cercle non vertueux. En ne se dissimulant plus, bien au contraire, les hooligans deviennent grâce aux divers réseaux sociaux – surtout ouverts – une sorte d’agence de presse gratuite, ce qui les différencie d’ailleurs assez radicalement de ce qui existait auparavant, notamment dans le monde plus vaste des supporters et des ultras. « L’usage des réseaux sociaux et du net y était plus « intimiste », détaille Ludovic Lestrelin, maître de conférence à l’université de Caen. En gros, ils s’en servaient pour prendre des infos sur leur club, partager des avis et expériences sur des forums et ensuite montrer un peu ce qu’ils réalisaient sur leur site, aujourd’hui éventuellement avec Instragram ou Tumblr. Tout cela a changé. Ne serait-ce que par les journalistes qui suivent les comptes de certains, ou certains comptes qui RT ou repostent tout ce qui se publie sur le sujet. » « Il existe évidemment une volonté de la part des hooligans, prolonge Florian Le Teuff, du CNSF et d’À La nantaise, de diffuser leurs images, et le grand public peut alors tomber dans le panneau dans leur manière bien à eux de concevoir le supporterisme, en réalisant un amalgame facile. »

L’audience du moindre incident, d’ailleurs, ne dépend pas que de la propagande virtuelle des amateurs de bastons pré ou post-match, puisque de nombreux citoyens ont désormais pris l’habitude de les filmer. Le phénomène est forcément accentué par le vacarme autour de ce genre de prouesses, par exemple à Nice (cette fois-ci Polonais et Nissarts contre Irlandais), garantissant l’écho de leur fait d’armes, aussi modestes ou éphémères soient-ils, concrètement. Après tout, les chaînes d’infos continues n’incitent-elle pas en permanence à « capturer » l’actualité en bas de chez vous ou à la fin des manifs anti-loi travail ?

Liens entre hools et partis politiques

Ce mécanisme a pris certes une ampleur démesurée dans le cas russe, puisque le monde politique s’en est emparé pour réagir, voire féliciter ces étranges soldats de « robdina » , la mère patrie : « Plusieurs responsables politiques russes ont encouragé les violences des hooligans, précise Alexis Prokopiev, notamment sur Twitter, comme par exemple le député d’extrême droite Igor Lebedev. Les réactions sont toutefois différentes dans l’opposition russe : Ilya Yashin, vice-président du parti d’opposition PARNAS et amateur de football, a publié une tribune décrivant les liens entre les hooligans et le Kremlin et notamment l’utilisation des hooligans par les autorités dans les actions « coups de poing » contre l’opposition et la société civile. En face, les tonalités varient, certains félicitent, d’autres minorent et d’autres trouvent des excuses. On peut ainsi voir un profond changement par exemple par rapport à 2002 et aux violences des hooligans dans le centre-ville de Moscou, après la défaite contre le Japon lors de la Coupe du monde. À l’époque, la classe politique russe était quasi unanime pour condamner les violences. La réaction de Moutko (ministre des Sports) est aussi à lire entre les lignes : même s’il a condamné les violences, il a aussi parlé de « provocations » . C’est une justification courante pour innocenter a priori l’agressivité. Il ne faut pas non plus oublier les liens entre les groupes de hooligans et les partis politiques au pouvoir en Russie (Russie unie, le parti de Poutine), mais aussi LDPR (extrême droite) et même KPRF (communiste). Cela crée un sentiment d’impunité. Bien sûr, le rôle et la place d’Alexander Shprygin interrogent. Notamment quel a été le rôle du consul de la Russie dans son retour en France après son expulsion ? (ils ont pris un selfie devant le stade à Toulouse…) »

Ce dernier exemple démontre parfaitement cette addiction à une forme d’exhibitionnisme 2.0 et de plaisir très égotiste de caresser à rebrousse-poil l’hypersensibilité du web, qui, en temps réel, a donc pu assurer une promotion immédiate de ce coup d’éclat, tout en désignant, forcément, ce troll tatoué aux forces de l’ordre qui, désormais, utilisent aussi ces outils (vidéos partagées, etc…) pour incriminer les fautifs.

La contre-hype des Irlandais

« Il y a également quelque chose d’autre de nouveau qui s’est manifesté lors de cet Euro, jusque-là, c’est la création en instantané et presque simultanément de deux figures diamétralement et complètement antagonistes : d’un coté le hooligan russe dans le rôle, revendiqué, du méchant, avec toutes les représentations associées à cet homme de l’Est qui vient saccager le pays, et de l’autre l’Irlandais, dans celui du bon supporter festif et respectueux » , remarque Ludovic Lestrelin. De fait, pendant que des gens s’amusent à capturer ou diffuser sur Periscope les heurts entre firms ou groupes rivaux, parfois à l’abri derrière un cordon de CRS, à l’autre bout de l’Hexagone, dans la tranquille quiétude du métro ou sur les places des grandes villes comme à Bordeaux, un autre contest s’est enclenché, à base de likes et de reprise dans les « vrais » médias : qui aurait le petit film le plus émouvant concernant des Irlandais (en train de chanter au stade, pour une jeune fille, un enfant…). Bref, ton Insta craint vraiment si tu n’as pas un gars portant le maillot vert dessus. Un contre-feu numérique qui, évidemment, rassure Florian Le Teuff, dans le contexte actuel où les supporters tentent en France de faire reconnaître leur utilité et leur légitimité : « Toutes ces images et vidéos illustrent à merveille ce qu’est le vrai supporterisme, avec du plaisir et de la responsabilité, et évidemment pour les Irlandais une certaine dose de consommation de bière. »

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L’Angleterre nargue son voisin irlandais
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