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« Si Saint-Marin gagne un jour, ce sera mieux que Noël ! »
Ce samedi, ils étaient six supporters à venir soutenir Saint-Marin en Irlande du Nord. Parmi eux, Daniele. Comme depuis 2004, sa sélection préférée n'a pas gagné (défaite 3-0). Et pourtant, lui comme les autres membres de la « Brigata Mai 1 Gioia » – unique groupe de supporters saint-marinais – vont continuer de suivre les Bleu et Blanc. Rencontre.
En France, on connaît peu de choses sur cette Brigade. Pouvez-vous nous la présenter ?
Elle est née il y a onze ans sur une idée de Massimo Vesemoli. C’est un bon ami avec qui j’ai déjà voyagé plus d’une fois pour supporter Saint-Marin. Tout commence un jour où il est allé assister à un match, et il a tout de suite vu qu’il y avait peu de monde dans le stade. Quasiment personne. Il nous racontait que ce jour-là, la rencontre ressemblait plus à une pièce de théâtre qu’à un match de foot. Tout le monde était assis, il n’y avait pas de joie, pas de chant, rien. Massimo a donc eu l’idée d’inventer le premier groupe de supporters de Saint-Marin. Moi, je suis arrivé il y a plus ou moins cinq ans. J’allais voir Italie-Saint-Marin et j’ai accroché direct. Massimo s’est arrêté il y a un an pour des raisons familiales. Mais derrière lui, il a laissé un groupe composé à 95% de supporters italiens – logique vu la situation géographie du pays – avec une ou deux personnes qui habitent à Saint-Marin, des supporters allemands, autrichiens et anglais.
En tout, vous êtes combien à faire partie de ce groupe ?
On a une conversation WhatsApp où il y a une trentaine de personnes. Après, tout le monde ne se déplace pas. Parfois, on est dix, cinq, deux. Pour d’autres matchs, il peut n’y avoir que moi. C’est normal car nous venons de différentes régions d’Italie. Et comme Saint-Marin joue souvent en milieu de semaine, c’est compliqué d’organiser tout ça. Ça prend du temps, de l’argent, et puis certains sont pères de famille. Par exemple, je suis rentré hier soir de Belfast, et le voyage a été très, très long. Je suis parti avec ma femme, ma fille de deux ans et mon fils de trois mois. Alors imaginez la difficulté de ce voyage…
Vous dites du temps, de l’argent… Est-ce qu’il y a un moment où on n’est pas rattrapé par la réalité et on se dit que tous les efforts ne portent pas leurs fruits ?
Tout est compliqué pour nous. Que ce soit pour les matchs à domicile ou à l’extérieur. Je suis à deux heures de voiture du stade. Alors quand je termine le travail le soir, je dois filer vite à Saint-Marin et je rentre tard dans la nuit. Mais il y a des supporters qui arrivent de Milan, Gênes, Pise. Alors ils doivent rester à Saint-Marin pour dormir après la partie. Ça veut dire demander des jours de congé. C’est un hobby, mais il faut l’organiser. Tout ça reste très sérieux malgré ce qu’on peut penser. Même si oui, ça reste drôle. J’ai plein d’anecdotes en tête. Par exemple, il y a quelques mois, nous avons affronté le Kazakhstan à Parme. Il y avait plus de supporters du Kazakhstan que de Saint-Marin alors qu’ils viennent de 7000 kilomètres…
Et ce jour-là, vous avez encore perdu (3-0). Vous vous en foutez de cette image de perdant ?
C’est simple : nous supportons la pire équipe du monde. On le sait. On n’a plus gagné un seul match depuis 2004 (1-0 contre le Liechtenstein, NDLR). Ça, c’est sur le papier. Mais en réalité, on célèbre des victoires souvent ! Quand on va chercher un point c’est une victoire, quand on marque un but c’est aussi une victoire. Et on est souvent fiers de nos joueurs. Ils jouent avec honneur. Par exemple, vous jouez contre le Danemark, avec des joueurs comme Eriksen. Et vous perdez seulement 4-0. Si j’avais joué, on aurait pris 50-0. Si vous ne perdez que 4-0 alors que vous n’êtes pas un joueur professionnel, c’est costaud. Pour moi, ce sont des héros. Évidemment, on perd tout le temps. C’est comme David contre Goliath.
Mais à la fin de l’histoire, le petit David tue le géant Goliath. Il gagne…
Je dis toujours que c’est trop simple de soutenir une équipe qui gagne. Et je le sais, on n’est pas normaux. Mais on est motivés à faire tous ces efforts, à dépenser de l’argent, à sacrifier nos familles, notre temps, notre travail, nos épouses, pour cette passion folle. Je suis heureux de voir que ma fille est trop contente de venir avec moi regarder les matchs quand elle le peut. Je veux transmettre à mes enfants un esprit de courage et surtout l’amour de ce sport. Pas celui des polémiques, des guerres d’argent, etc.
Peut-être que vos enfants préfèrent voir Saint-Marin que La Nazionale maintenant, non ?
Oui. Là en particulier, l’Italie traverse une mauvaise période. Il n’y a plus de résultat. Avec Saint-Marin, il n’y a pas d’histoire de pression liée aux résultats. Supporter Saint-Marin, c’est comme vivre sur une autre planète. Vous voyez tout autrement. Existe-t-il une autre sélection où tu peux côtoyer autant les joueurs ? On va boire avec eux tranquillement et on discute de leur vie. En même temps, l’un est commercial, l’autre est avocat, un autre est médecin. Pour se distraire, il tape un futsal le mercredi et ça nous arrive d’y aller. Mais le week-end, ça joue contre les meilleures équipes et les meilleurs joueurs du monde. Et il n’y a personne pour supporter ces héros ? Je suis trop content de faire partie de ça. On se doit de faire le max. Si Saint-Marin gagne un jour, ça sera mieux que Noël.
C’était quand Noël la dernière fois pour vous ? Si ce n’est un 25 décembre…
Le 21 septembre 2022. J’ai vu 0-0 contre les Seychelles. Après, il y a eu le 0-0 contre Gibraltar en novembre 2020, mais la Brigade n’était pas au stade à cause du Covid. Et sinon, en 2014, beaucoup de supporters me racontent la fois où on a fait 0-0 contre l’Estonie dans un match de qualification pour la Coupe du monde. Et qu’Aldo Simoncini avait fait un match de fou. Ils avaient fêté chaque parade comme un but exceptionnel.
Il paraît que vous en êtes venus à exploser dans les tribunes quand vous obtenez un corner. C’est vrai ?
Oui. Et c’est tellement drôle. C’est dans notre slogan. Pour nous, un bon moment est un grand moment. « Brigada, magna gioia » [ ou « Une Brigade avec beaucoup de joie »]. Vous savez maintenant.
Quel est le joueur qui vous apporte le plus de joie ?
On a deux joueurs professionnels dans l’équipe, Nanni et Fabbri, qui évoluent en troisième division italienne. Et ça se ressent. Les autres jouent dans la quatrième, cinquième, sixième catégorie en Italie et dans le championnat de Saint-Marin. Disons que pour moi, Nanni est le seul joueur qui pourrait avoir une carrière intéressante.
Est-ce qu’on adore son gardien de but quand on supporte Saint-Marin ?
Oh que oui ! Simone Benedettini a joué contre l’Irlande du Nord et on a adoré. Mais la majorité préfère Simoncini. Il est beaucoup plus vieux, 37 ans. Mais on aime tout le monde parce que ce sont des gens comme nous. L’un peut être votre collègue de travail le lendemain d’un match, votre professeur, votre élève, un gars que vous croisez dans la rue. Par exemple, on est resté avec le groupe après le match à Belfast et on est rentré avec eux. Comme une sortie scolaire. C’est impossible de faire ça avec la France ou l’Italie ! Du coup faut le dire, quand tu supportes Saint-Marin, tu es témoin à chaque fois de miracles. Et comme les miracles, ce qu’on voit nous, les autres ne le voient pas, ne le comprennent pas. On a l’habitude de se faire tacler sur les réseaux sociaux. « Ils perdent pour toujours… Ce qu’ils font, c’est de la merde… » J’aimerais bien que cette interview permette aux gens de nous comprendre, et pourquoi pas nous rejoindre !
Propos recueillis par Matthieu Darbas