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  • La vie des supporters de l'AS Saint-Étienne

Supporter de l’AS Saint-Étienne : mode d’emploi

Propos recueillis par Antoine Donnarieix et Adrien Hémard

Les supporters de France à l’honneur sur sofoot.com. Nous sommes partis à la rencontre de ceux qui font vivre nos stades, qui célèbrent pour leur club, qui pleurent pour leur club. Bref, ceux qui vivent pour leur club. Aujourd’hui, l'heure est venue de se pencher sur ceux qui font le sel du Chaudron : les supporters stéphanois.

#1 - Philippe

Philippe Gastal, 60 ans, docteur en pharmacie, conservateur du musée des Verts, supporter devant l’éternel

« Je suis un Cantalou, donc je soutiens le Stade aurillacois. Mais depuis tout petit, une de mes passions, c’est le football et l’AS Saint-Étienne. Enfant, j’ai grandi à Aurillac, puis à Montpellier, mais dans les deux cas, mon père nous emmenait toujours aux matchs à Saint-Étienne. Lui était un fan du grand Reims d’Albert Batteux, donc quand Batteux est arrivé à Saint-Étienne, il a suivi les Verts. On partait dans la 504 ou en train, direction le Chaudron. Nos week-ends étaient rythmés par l’ASSE, on partait le samedi matin et on revenait le dimanche soir. On suivait aussi les Verts à l’extérieur, ce qui était rare à l’époque. J’ai découvert les villes de France, la géographie et leur histoire grâce à l’ASSE. Finalement, le match était la cerise sur le gâteau. Mon tout premier, c’était d’ailleurs un déplacement, puisque c’était la finale de Coupe de France contre Nantes en 1970. Au Chaudron, le premier, c’était un amical contre le Feyenoord Rotterdam, tout juste champion d’Europe, et le premier match de Coupe d’Europe contre Cagliari.

« Les Marseille-Sainté des années 1970 étaient indescriptibles. Une fois, les Verts sont repartis dans un bus prêté par des supporters parce que les vitres du leur avaient volé en éclats. Aujourd’hui, ça n’arriverait plus. » Philippe Gastal

De 1970 à 1982, j’ai dû assister à 80% des matchs des Verts. L’ASSE a jalonné ma vie d’adolescent et d’adulte, jusqu’à aujourd’hui. J’ai vécu les années fastes au plus près. Au stade, à peine sorti de la voiture, on entendait déjà les tribunes chanter, pleines, bien avant le match. Les places étaient compliquées à avoir, mais mon père travaillait dans les travaux publics comme le président Rocher, ça aidait. Nous, on était tout le temps là, on avait parfois accès aux joueurs, je suis entré deux-trois fois dans les vestiaires. Je me suis retrouvé tout jeune entouré d’Albert Batteux, de Salif Keita, de Robert Herbin. Le match le plus extraordinaire auquel j’ai assisté à l’extérieur, c’est en octobre 1971 à Marseille. L’ASSE l’emporte 3-2 avec un but de Jean-Michel Larqué en toute fin de match, mais surtout, l’ambiance était incroyable dans les deux camps. Depuis, je n’ai jamais retrouvé ce parfum de match. Les Marseille-Sainté des années 1970 étaient indescriptibles. Une fois, les Verts sont repartis dans un bus prêté par des supporters parce que les vitres du leur avaient volé en éclats. Aujourd’hui, ça n’arriverait plus.

Quand le club est descendu en D2 en 1984, j’étais en quatrième année de pharmacie à Montpellier, j’assistais à tous les matchs. C’est dans ces moments-là que le club a le plus besoin des siens. Du coup, on a créé une section avec deux amis dans le Languedoc. Ensuite, j’ai été muté à Monaco, alors que je souhaitais travailler dans la région Rhône-Alpes pour me rapprocher des Verts. J’allais au stade Louis-II juste pour voir les Verts, sinon je faisais la route jusque Saint-Étienne tous les 15 jours. Plus tard, j’ai aidé la section d’Antibes. En 1991, j’ai enfin pu m’installer à Saint-Étienne. Mon nouveau patron avait peur que je ne sois que de passage, mais je lui ai raconté mon histoire avec les Verts. Il a compris. De là, je suis devenu de plus en plus impliqué dans le club. Je suis devenu commentateur des VHS internes de l’ASSE : on commentait le match, on interviewait un joueur et on vendait 400 ou 500 cassettes. C’est comme ça que je suis passé du kop à la tribune de presse, où je suis encore aujourd’hui. Moi qui souhaitais devenir journaliste sportif ou professeur d’histoire, ma passion pour les Verts m’a conduit à devenir conservateur du musée du club. J’ai toujours collectionné des tas de choses autour du sport et de l’ASSE. Depuis le milieu des années 1990, on parlait de ce musée. C’est une fierté d’avoir été le premier club à ouvrir le sien et, d’un point de vue personnel, d’y contribuer directement avec des pièces. Ce que je retiens, ce qui reste de plus fort, ce sont les amitiés tissées sur toutes ces années avec toutes les générations de joueurs depuis 50 ans. »

#2 - Thomas

Thomas, 36 ans, cousin de Loïc Perrin et supporter de l’ASSE depuis 1994

« L’AS Saint-Étienne, c’est mon père qui m’en a parlé la première fois. Avec mes deux autres frères, il nous racontait toujours ses anecdotes de stade dans sa jeunesse dans les années 1970. Il écoutait aussi les actions depuis son poste de radio, c’était son rituel au moment du match de Sainté. Même si nous étions focalisés sur le présent et que mon père vivait plus à travers ce glorieux passé, on se mettait à écouter les rencontres sur Europe 1 avec lui parce qu’on le sentait passionné. Sans cette transmission-là, j’imagine qu’on ne serait jamais allé au stade à notre tour. Les années 1990 n’étaient pas les plus brillantes, mais s’il y avait un joueur qui nous mettait des étoiles dans les yeux, c’était Lubomir Moravcik. Après sont venues les vilaines années, le club luttait parfois pour ne pas descendre en National. À ce moment-là, on devait être 10 000 à tout casser dans un stade avec des rambardes pour s’appuyer en plein milieu des tribunes. De mon côté, je devais attendre d’avoir 17 ans pour m’abonner à Geoffroy-Guichard, c’était la règle de la famille. Au début des années 2000, dans la période Alex-Aloísio, je garde un souvenir plus palpable. J’avais vu quelques matchs au stade avant, mais mon tout premier match en tant qu’abonné, c’était un ASSE-Istres en 2002. J’allais toujours au stade avec ma voisine, dans la tribune des Magic Fans. Les résultats n’étaient pas flamboyants, mais la passion prenait le dessus, et j’étais obligé de suivre les matchs. Ma première grosse déception, c’était d’avoir manqué le match de la montée en Ligue 1 à cause du mariage de ma cousine. Damien Bridonneau avait marqué son seul but au club pour nous offrir la montée. Sincèrement, j’étais dégoûté ! (Rires.)

« À Geoffroy-Guichard, j’ai le souvenir de m’être tordu le pouce sur un but de Dernis contre Marseille à la dernière seconde. Un ballon qui part en lucarne, et derrière c’était la folie pure. » Thomas

L’autre facteur qui m’a encore plus lié à l’ASSE, c’était le parcours de mon cousin, Loïc Perrin. Quand je l’ai vu démarrer chez les pros au départ, j’avais du mal à y croire. Et petit à petit, ma vision du match est devenue différente quand il se mettait à jouer. Parfois, ça faisait mal d’entendre des critiques sur lui. J’ai le souvenir le plus récent qui me vient en tête, celui de son expulsion pour le dernier match de sa carrière (défaite 1-0 face au PSG en finale de Coupe de France, NDLR). C’était dur… En tribunes, j’étais à fond dans le truc et les chants, mais à la télé, je faisais forcément plus attention à ce qu’il se passait pour Loïc. Le voir jouer tout ce temps pour l’AS Saint-Étienne, c’était une forme de rêve par procuration. Je savais que je n’avais pas le niveau, mais avoir un cousin qui réussit aussi bien dans le club que tu supportes depuis tout petit, c’est une vraie fierté. Nous n’avons qu’un an d’écart, donc j’étais avec lui dans ses premières années de foot avant qu’il parte à l’ASSE à huit ans. À partir du moment où il était chez les pros, je ne lui parlais plus de son travail. Quand il venait aux réunions de famille, c’était toujours le Loïc que je connaissais. Même au-delà de la famille, il ne changeait pas ses habitudes : il venait toujours nous voir jouer au FC Périgneux, le club de ses débuts. On avait les mêmes racines !

À Geoffroy-Guichard, j’ai le souvenir de m’être tordu le pouce sur un but de Dernis contre Marseille à la dernière seconde (1-0 en 2007-2008, NDLR). Un ballon qui part en lucarne, et derrière c’était la folie pure. (Rires.) J’étais dans l’ivresse de la victoire et je ne suis allé que le lendemain aux urgences… C’est le genre de truc où tu te dis : « Bon, j’ai mal, mais ça va passer ! » alors qu’en fait, tu te retrouves deux jours plus tard avec une attelle. Mais pour une fois qu’on marquait un but décisif dans le temps additionnel, ça valait le coup. D’habitude, c’était plutôt Govou ou Benzema qui venaient nous refroidir… Ah non, plus jamais ça ! Dans mes plus beaux déplacements, je suis allé à Milan pour les voir contre l’Inter. On est partis en voiture à Milan avec des potes et on avait loué un Airbnb pour le soir. C’était une galère dingue dans le tunnel du Fréjus, tout le monde s’est retrouvé au même endroit au même moment, on a bien cru qu’on n’arriverait jamais au stade à l’heure, mais finalement, ça allait. Je me souviens d’être au milieu de la place du Dôme en plein centre-ville, on devait être 10 000 Verts… Là, ça nous mettait des frissons. L’Europe, quoi ! J’ai aussi gardé un bon souvenir de la finale de Coupe de la Ligue gagnée en 2013, j’étais au stade de France et on avait pu faire la fête dans Paris ensuite, c’était sympa. Mais quand je vois ce que le club fait aujourd’hui, je ne le sens pas capable de revenir dans le haut de tableau du championnat. C’est trop dominé par l’argent, nous ne sommes plus capables de rivaliser. Et puis avec cette distance de Geoffroy-Guichard, j’avoue que j’accroche de moins en moins. Ce n’est pas plus mal à vrai dire parce que j’étais sacrément conditionné par les résultats de l’équipe à l’époque. Ça fait aussi du bien de lever le pied. »

#3 - Serge

Serge Vial, 68 ans, commerçant à Paris, supporter depuis l’enfance et ex-joueur de l’ASSE

« J’ai 68 ans et, putain, l’année prochaine ça va me faire chier : je n’ai pas envie d’avoir 69, je suis stéphanois moi, pas lyonnais ! Ici, on est dans mon bar-tabac : la Divette de Montmartre à Paris. La devanture du bar est verte en partie, évidemment. Et l’intérieur est aux couleurs de l’AS Saint-Étienne. Je collectionne depuis que je suis môme. J’ai commencé avec les disques. Les fanions, j’ai commencé en 1982. Les écharpes, c’est celles que les clients m’apportent. Les maillots, il y a ceux de mes enfants, ceux offerts par les habitués. Et puis le président Romeyer m’en a donné plusieurs dédicacés, dont celui de Platini. J’ai mis celui de Perrin à l’entrée. Le maillot de Rocheteau, c’est sa famille qui me l’a donné. J’en ai partout dans le bar, mais je n’ai jamais acheté une écharpe ou un maillot. Ma plus belle pièce, c’est le maillot que j’ai porté quand j’étais môme à l’ASSE. Un jour je vais m’en aller, tout ça partira au musée du club. Les seules choses que j’ai achetées en dehors des fanions, ce sont les vinyles. Ça, ça m’a coûté bonbon.

« J’ai reçu Hervé Revelli et Dominique Rocheteau dans mon bar. Il y avait une dame d’un âge certain, qui rêvait de voir Rocheteau et de l’embrasser. Elle était là, toute heureuse, j’ai dû éponger le sol tellement elle était émue. » Serge Vial

J’ai tout vécu ici : neuf Coupes du monde du foot dont les victoires de 1998 et 2018. Ce bar est devenu un lieu de pèlerinage pour les amoureux des Verts, il paraît. En arrivant à Paris, les Stéphanois savent qu’ils peuvent venir à la Divette, on peut discuter, les rassurer, les conseiller. C’est surtout ça l’utilité. Un jour, Ćurković est venu boire des coups. Avant un match de l’ASSE contre le PSG, j’ai reçu Hervé Revelli et Dominique Rocheteau ici. Il y avait une dame d’un âge certain, qui rêvait de voir Rocheteau et de l’embrasser. Elle était là, toute heureuse, j’ai dû éponger le sol tellement elle était émue. Le président Romeyer était là, il voulait réunir tous les présidents des sections de supporters, cela s’est fait ici. C’était un beau moment. Pour moi qui ai grandi à Saint-Étienne, c’était un grand moment parce que j’ai quitté la ville en 1974 pour venir travailler au Bourget et à Roissy avant de reprendre le bar ici, à Montmartre. Mais je suis un vrai Stéphanois, mon père a joué à l’ASSE avant la guerre. Il est au musée des Verts. J’y suis aussi, d’ailleurs, je suis projeté à l’entrée. Je suis né à côté du Chaudron, un dimanche à 7h du matin, l’après-midi mon père était au stade. On allait au match, tout le monde le connaissait. Mon frère aîné a remporté la première Coupe Gambardella du club aussi. Quant à moi, j’ai joué gardien jusqu’en minimes là-bas, on était entraînés par Rachid Mekhloufi. C’était fou. Je ne réalisais pas à ce moment que je portais le maillot vert. Ce qui m’intéressait, c’était d’entrer gratuitement au stade avec la carte.

Ça fait longtemps que je ne peux plus aller au Chaudron. Les matchs, je les vis ici à la Divette depuis 1986. Je les ai toujours diffusés, le bouche-à-oreille a fait le reste. Quand les gens viennent regarder des matchs, ils m’attaquent sur les Verts, donc je dois les attaquer en retour. Ça fait partie du jeu. Les soirs de défaite ici, les mecs se mettent minables. Ils se rassurent à la verveine verte. C’est après les défaites que l’on s’amuse le plus. Mais tout le monde est le bienvenu, même les Lyonnais. Il y a peu, il y a un gars qui arrive pour acheter des clopes. Il pose sa main sur le comptoir avec un tatouage « Lyon » , en me le montrant bien. En vérité, il venait juste pour foutre sa merde. Il croyait me faire peur. Il s’est trompé. Ici, c’est Montmartre, mais dans mon bar, c’est Saint-Étienne. Le summum, ça a été la finale de Coupe de la Ligue en 2013. D’habitude, j’ouvre à 17h, là j’ai ouvert à midi. Jusqu’à minuit, je n’ai pas bougé de la pompe à bière. Je n’ai pas réalisé le monde qu’il y avait dehors. J’avais prévenu la police parce que je savais que la rue serait bloquée. Les voisins m’en parlent encore de cette fête. Ce qui était bien, c’est qu’en revenant du stade, ils étaient tous nazes, j’ai pu fermer tranquille à minuit. (Rires.) »

#4 - Christian

Christian Copéré, 55 ans, ex-président de la section 167 des Associés Supporters de l’ASSE, supporter depuis 1960

« Jusque l’an dernier, j’étais président de la section 167 de Coteaux. Avec 120 adhérents, on est une des plus grosses sections des Associés Supporters de l’ASSE, qui est le plus gros groupe de supporters en France, avec 200 sections dans le monde et dont le siège est à Saint-Étienne. On est basé à 80km du Chaudron pour notre part, et on organise des bus à chaque match à domicile depuis 22 ans. Parfois, on en met aussi en place pour les déplacements à l’extérieur. On est allés en Corse, à Milan, à Manchester ou à Bâle ces dernières années. Mais bon, aujourd’hui, organiser des déplacements en France, c’est compliqué avec toutes les mesures restrictives. J’ai fait tous les stades de France, à l’époque c’était toujours la fête, mais aujourd’hui c’est ingérable : vous mettez tout en place, et deux jours avant, on vous pond une interdiction de déplacement sans raison.

« À l’époque, c’était tellement convivial : tout le monde amenait le casse-croûte, le cubi de rouge tournait dans la tribune. Pour le foot, on a été des privilégiés à Saint-Étienne, on a eu de la chance. » Christian Copéré

Supporter Saint-Étienne, c’est supporter un club qui avait certaines valeurs, qui n’était pas encore trop entré dans le foot business, même si aujourd’hui on entre dans le moule depuis quelques années. Moi j’avais 10 ans en 1976, donc je suis tombé dedans tout petit. Plus qu’un club, les Verts sont un phénomène sociétal. On était la petite ville ouvrière qui battait toutes les grandes, et qui était à la tête de la France du foot. À l’époque, il y avait l’amour du maillot, on avait un gros centre de formation. On se reconnaissait dans l’équipe, même si on allait chercher des jeunes joueurs à droite à gauche, ils étaient formés ici. Après dans les années 1980, le club commençait à mettre de l’argent dans les transferts… Le club représente la région, l’histoire de la ville. Lyon par exemple, c’est tout l’inverse de ce que représente le foot pour moi : le business. L’AS Saint-Étienne, après le grand Stade de Reims, a été le précurseur des grands clubs français qui ont eu des résultats en Coupe d’Europe. De nos jours, on est rentré dans le rang, hélas, même si la ferveur de notre public fait qu’on reste un club spécial. Saint-Étienne, comme Marseille ou Lens, c’est une ville qui vit pour le foot. Sans les Verts, ce ne serait pas la même ville.

J’ai fait beaucoup de folies pour mon club. Une fois, j’ai organisé un déplacement de trois jours à Ajaccio pour 50 personnes. C’était beaucoup de travail, mais c’était extraordinaire. Plus qu’un match de foot, c’était trois jours de vacances. Au total, j’ai organisé une bonne quarantaine de déplacements, en plus de ceux, systématiques, à Geoffroy-Guichard. Mon premier gros souvenir, c’est Saint-Étienne-Dynamo Kiev : j’y étais, j’avais 11 ans. J’avais fait quelques matchs de championnat avant, notamment contre Avignon, mais Kiev, c’était une rencontre mythique, extraordinaire. C’est des moments que j’espère revivre, mais j’en doute. À l’époque, c’était tellement convivial : tout le monde amenait le casse-croûte, le cubi de rouge tournait dans la tribune. Pour le foot, on a été des privilégiés à Saint-Étienne, on a eu de la chance. J’ai vécu des moments incroyables avec les supporters adverses. On pouvait rentrer dans une ville, boire un coup avec les supporters adverses, parfois un petit peu trop. (Rires.) Les stades étaient moins aseptisés. Je me souviens qu’à Auxerre, on a fait une cave de Chablis avant d’aller au stade. On s’est retrouvés à la fête foraine avec les Auxerrois… J’ai une quinzaine de mes gars qui ne sont pas allés au match finalement, ils sont restés dans la fête foraine. »

#5 - Romain

Romain Martin, 39 ans, membre du groupe Facebook Le Kop stéphanois de Buenos Aires

« Mis à part naître en supporter de l’ASSE, ça me paraît difficile de le devenir. J’ai suivi la voie familiale parce que je suis né dans cette ville en 1982. Mon père avait eu plus de chance, car il a vécu les plus belles années du club, mais quand je l’écoute me parler de sa passion, je sens que l’AS Saint-Étienne avait un rapport social fondamental dans l’équilibre des Stéphanois. Il n’y a pas vraiment d’autres centres d’intérêt que le football là-bas, donc tu vas avoir 98% des gens derrière l’ASSE et 2% d’irréductibles qui vivent dans l’ombre et n’affichent pas leur préférence pour leur club. Et puis il y a aussi une histoire avec la production minière : au départ, les mineurs venaient au stade pour se changer les idées. Mais quand la production s’est arrêtée dans les années 1970, il y a eu de nombreuses pertes d’emplois, et les locaux se sont rattachés à quelque chose de fort. Il y a une sorte de coïncidence sociétale qui a fait exploser le nombre de fans. Le club faisait venir les meilleurs joueurs du pays et cela entraînait une dynamique sportive envoûtante. C’était comme une échappatoire pour les supporters afin d’oublier le quotidien précaire le temps d’un match et vivre dans une sorte de rêve.

« Une fois que je me suis bien installé en Argentine, j’ai repris contact avec Oswaldo Piazza. Pendant quelques années, il nous invitait pour regarder les grosses affiches avec un bon asado. » Romain Martin

À partir de 12-13 ans, j’allais au stade et je me suis nourri du spectacle au-delà du football : les tribunes, les tifos, les chants. Je trouvais cela magnifique. Bon, tu avais aussi parfois des bastons et tu découvres cette atmosphère tendue avec des yeux d’adolescent. Tu pars aussi en déplacement et tu crames ton week-end entier pour blinder le parcage à Monaco ou te prendre des gaz lacrymo à Lyon et voir des mecs défoncer les sièges de TER ! (Rires.) Le folklore stéphanois, c’est une poussée d’adrénaline très intense qu’on ne pouvait pas trouver dans tous les stades de France. D’ailleurs, c’était aussi à cela qu’on s’accrochait parce que sur le terrain, ce n’était pas vraiment ça. On avait Moravčík, Blanc ou Kastendeuch, mais globalement, je n’ai jamais connu de grand attaquant à l’AS Saint-Étienne jusqu’à Aubameyang, et à ce moment-là, je n’étais plus au stade. Il y avait Bafé Gomis qui était pas mal aussi, mais le fait qu’il soit parti à Lyon n’a pas joué en sa faveur. À partir de 18 ans, je célébrais différemment et je me concentrais plus sur l’avant-match que le match ! (Rires.) Je suivais dans les bars à Paris ou chez moi à la télé. J’allais voir certains matchs à La Divette de Montmartre qui était une sorte de forteresse pour les supporters stéphanois. Quand il y avait un derby contre l’OL, je savais où aller. Je me souviens bien du hold-up à Gerland pour le centième derby avec le coup franc de Payet (en 2010, N.D.L.R), le bar avait bien vibré ! C’était un bon soulagement après une énorme frustration liée aux années précédentes… La Divette, c’était comme un mini-stade.

Quand je suis allé vivre à Buenos Aires, nous nous sommes regroupés entre Français pour former un groupe d’amis fans de Saint-Étienne. Ensemble, on s’est fait pas mal de matchs avant la Covid. Bon, j’ai regardé la dernière finale de Coupe de France à la maison, mais je garde de bons souvenirs, comme la victoire des Verts en finale de Coupe de la Ligue avec le but de Brandão, en 2013. Avec toute notre équipe, on s’est posés sur la place de la République à côté de l’Obélisque pour fêter notre victoire. C’était le premier titre vécu de mon vivant ! Là, on profitait des feux rouges pour parader devant les voitures à l’arrêt avec nos maillots et écharpes… Certains devaient nous prendre pour des fous, d’autres klaxonnaient pour se mêler à la fête. Là où tu vois que cette passion stéphanoise est grande, c’est qu’elle résiste au temps. En 2010, j’avais effectué un stage de six mois au service de communication du club et j’avais pu travailler avec Oswaldo Piazza qui était très actif dans la vie associative. Une fois que je me suis bien installé en Argentine, j’ai repris contact avec lui. Pendant quelques années, il nous invitait pour regarder les grosses affiches avec un bon asado. J’ai aussi pu enregistrer ses vœux lorsque mon meilleur ami, lui aussi stéphanois, s’est marié. Quand il rentrait en France, Oswaldo servait parfois d’intermédiaire avec mes parents pour le courrier. Dernièrement, nous avons échangé quelques mots au décès de Robert Herbin. Ce club, c’est comme une famille où tu vas partager les bons et les mauvais moments. »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix et Adrien Hémard

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