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Superligue : tout crime mérite châtiment
L'élite du foot continental assume donc son crime sécessionniste, en quittant une Ligue des champions qui ne lui convient plus. Mais peut-on exiger un châtiment qui soit à la hauteur des outrages que ces clubs infligent à un football européen qu'ils achèvent de détruire ?
Cette fois, il faut croire que c’est la fin. Les dernières illusions s’envolent. Les communions d’antan aussi. Le sceau est brisé, le pacte déchiré. De l’autre côté du miroir, douze clubs contemplent une réalité annexe, dont ils ne veulent plus faire partie. Le reflet qu’ils nous renvoient a quelque chose de monstrueusement lisse, désincarné et cartésien. Juste la fin d’un monde, qui menaçait de toute façon de s’effondrer depuis déjà plusieurs années.
Marquise déchue
Avant de concrètement réagir, de trouver des solutions alternatives, ne faut-il pas déjà se mettre en colère ? Mettre des mots, des émotions, sur ce que ces clubs dissidents sont en train de détruire, d’ôter à tous les autres ? Ce mardi, c’est un sentiment de dépossession qui prédomine. D’impuissance crasse. Malgré tous ses défauts, son tournant élitiste opéré à la suite de l’arrêt Bosman, on l’aimait encore, cette Ligue des champions. Certes, elle était bourgeoise, exigeante, précieuse comme une marquise de l’Ancien Régime, mais les froufrous de sa robe promenaient toujours quelques fantaisies dans ses innombrables plis. Porto en 2004. L’Ajax en 2019. L’Atalanta en 2020. Par le passé, on avait encore davantage révéré sa diversité, ses fantaisies européennes, qui ont permis à des clubs écossais, roumains et serbes de soulever sa prestigieuse coupe aux grandes oreilles.
La grande dame séduisait toujours, parce qu’elle ne fermait jamais tout à fait les grilles de son palais. Qu’il était bon de goûter le mardi et le mercredi aux voluptés de son salon. On savait bien, pourtant, que l’embrassure de la porte rétrécissait. Que les fenêtres se refermaient. Mais il y avait toujours un Bel-Ami, un opportuniste bienvenu, moins riche, mais plus spirituel, moins rutilant, mais plus élégant, pour se glisser dans l’interstice et insuffler à la fête un esprit novateur. Un magnifique lot de consolation, dans une compétition qu’on savait par ailleurs viciée et parasitée par la loi du plus riche. Voilà un plaisir éphémère, jouissif, mais inconséquent comme une révolte adolescente, dont nous voilà désormais privés. On n’y croyait plus, mais auparavant, on pouvait encore faire semblant. Agnelli et compagnie nous ont privés de notre dernier mirage. Il leur fallait tout, y compris nos ultimes fantasmes, ces chimères d’un football pluriel qui n’existait plus, mais qu’on pouvait encore s’imaginer. Pour beaucoup de monde, c’est une fiction salvatrice qui s’effondre, et celle-ci permettait à la Coupe d’Europe des clubs de rassembler bon gré mal gré des amoureux de foot sur tout le Vieux Continent.
Les raisons de la colère
Que leur reste-il, à ces fans-là ? D’abord une colère amère. Du genre qui tambourine le cœur et lacère le ventre. Elle ne sera pas productive, parce qu’ils ont déjà perdu. Parce qu’ils sont minoritaires, face aux dizaines de millions de fans partout dans le monde, que les douze clubs sécessionnistes priorisent désormais ouvertement. Il faudra bien s’embraser pourtant. Quitte à brûler quelques maillots. À refuser de regarder cette Superligue, déjà tant honnie. À hurler son rejet, à gueuler dans le désert. Cette fois, il faut exiger un châtiment proportionné à la hauteur du crime. Au bout de la route, il n’y aura pourtant ni victoire ni rétribution. Peut-être seulement un embranchement après une colère cathartique, où certains clubs et supporters sauront imaginer un autre football, qui ne sera plus si enclin à piétiner leurs songes.
Par Adrien Candau