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Superligue : L’Union européenne contre le foot ?
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donné un feu vert possible inespéré pour la Superligue. Au nom de ses principes libéraux, elle a sapé d’un seul coup l’autorité de l’UEFA et de la FIFA. Un séisme similaire à l’arrêt Bosman ? Cela reste à voir.
L’annonce de la décision de la CJUE a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Ils étaient nombreux à imaginer que cette juridiction ferait forcément obstacle à la Superligue et conforterait « l’exception sportive » dont bénéficiaient l’UEFA et la FIFA. Surtout après l’avis de son avocat général, un an plus tôt : « Les règles de la FIFA et de l’UEFA soumettant toute nouvelle compétition à une autorisation préalable sont compatibles avec le droit de la concurrence de l’Union. » Bref, que le football demeurerait en dehors de la stricte règle de la libre concurrence (dans la mesure où l’on considère, ce qui est évidemment faux, que les deux instances du foot ne sont pas des entreprises commerciales). Seulement, la Cour de justice a estimé dans une décision rendue ce jeudi matin que « les règles de la FIFA et de l’UEFA soumettant à leur autorisation préalable la création de tout projet de nouvelle compétition de football interclubs, telle que la Superligue, et interdisant aux clubs et aux joueurs de participer à celle-ci, sous peine de sanctions, sont illégales ».
Il s’agit évidemment d’une victoire, du moins médiatique, pour les maîtres d’œuvre de ce projet de ligue fermée. Il ne faut pas cependant en surestimer les conséquences immédiates. L’avocat Pierre Barthélémy l’a expliqué sur Twitter/X dans la foulée de ce communiqué : « La CJUE se fonde sur l’absence de critère garantissant transparence, objectivité, absence de discrimination et proportionnalité. J’en déduis qu’il suffirait à la FIFA et à l’UEFA de prévoir des critères garantissant transparence, objectivité, absence de discrimination et proportionnalité pour justifier d’une position dominante compatible avec le droit européen. Ça ne garantit donc pas la naissance d’une Superligue. » Même son de cloche chez l’économiste du sport Christophe Lepetit sur le même réseau social. Lui parle d’un « ni-ni européen, une victoire pour les uns et une défaite pour les autres. Mais ni triomphe ni camouflet. Juste la réaffirmation de la primauté du droit de la concurrence et de la spécificité sportive à démontrer pour prendre des décisions. »
La décision de la @EUCourtPress méritera d'être lue en intégralité car, contrairement aux analyses (très) à chaud qui en sont faites, elle ne semble pas être un blanc-seing à la #SuperLeague… tout en ne confortant pas (loin s'en faut) la FIFA et l'UEFA.
— Christophe Lepetit (@ChrisLepetit) December 21, 2023
La bataille des intérêts et la transformation du foot
Toutefois, l’inquiétude est désormais bien concrète. Un premier coin a été enfoncé dans la muraille que l’UEFA a bâtie autour de sa si rentable Ligue des champions (que même ce brave Gianni Infantino attaque avec son nouveau format de Coupe du monde des clubs). L’entreprise A22, promotrice de la Superligue, a évidemment fanfaronné : « Le monopole de l’UEFA est terminé. » L’interdiction de prendre des sanctions contre les clubs qui voudraient participer à cette nouvelle compétition constitue une autre source de satisfaction pour A22. Cette « arme massive de dissuasion » avait largement contribué à l’échec du putsch d’avril 2021, avec Florentino Pérez du Real Madrid en lider maximo. Il ne faut pas oublier l’opposition de la plupart des gouvernements nationaux concernés, dont une Grande-Bretagne désormais brexitée, ainsi que la mobilisation des supporters de nombreux clubs. Pierre Barthélémy insiste aussi sur cette mise en perspective, au-delà des décisions juridiques : « Plus largement, il ne faut pas donner au droit une portée qu’il n’a pas. Les principaux obstacles à la Superligue sont populaires et politiques. Ce ne sont pas les menaces (UEFA et FIFA) qui ont fait capoter la Superligue, mais l’opposition des supporters et des États. » De fait, la véritable bataille se joue également à ce niveau, notamment politique, dont personne n’avait pleinement conscience au moment où la Cour de justice des communautés européennes avait rendu l’arrêt Bosman en 1995. En outre, l’UEFA n’a eu de cesse de contrer le danger en proposant de son côté une nouvelle version de la C1, essayant aussi bien de combler les championnats de seconde zone que de rassurer économiquement les « gros » qui ont transformé, dès les quarts de finale, cette compétition en Superligue bien réelle.
Il ne faut malgré tout pas minimiser la décision de la CJUE. Le marathon judiciaire va se poursuivre. La logique libérale de l’UE conforte le projet de Superligue, sans lui garantir qu’il puisse prendre en revanche l’ascendant sur la marque « UEFA » déjà bien installée. En attendant, le foot, que ce soit la Superligue, l’UEFA avec sa nouvelle Ligue des champions ou la FIFA avec la Coupe du monde des clubs, s’éloigne du modèle sportif dit traditionnel, avec ses défauts, pour devenir de plus en plus une simple entreprise de spectacle. La Cour de justice de l’Union européenne lui demande juste d’y mettre un peu les formes.
Par Nicolas Kssis-Martov